Amoureux de l'Atlantique, des îles de Ré ou de Noirmoutier, n'avez-vous jamais craint que, sur ces aquarelles qui ont changé ces vues en clichés, le lavis qui en rend les côtes alanguies ne les délave au point de les dissoudre ?
Ces dunes d'où émerge la silhouette heureuse d'une bicyclette, ces volets bleus que l'on ouvre quand sonne l'heure de l'estive, les barques de pêche et les cornets de frites. Bottes en caoutchouc, ciré jaune. Chocolat chaud et embruns authentiques.
Vincent Delerm jamais loin. Chatenay-Malabry et pull croisé sur les épaules. C'est pas que je n'aime pas, j'en suis bien trop proche pour dire cela. C'est que ça peut finir par être terne. Terne, affecté et très vide.
Aussi, quand sur les conseils insistants d'une amie, j'ai commencé
le goût de la trahison et me suis immergée dans ce petit monde bourgeois en villégiature à Noirmoutier, j'ai vraiment tendu le dos, attendant comme une fatalité les cartes postales égocentrées d'une petite élite donnant à ses minuscules problèmes la résonnance de drames métaphysiques.
Et du terne, il y en a. Une écriture sans aspérité ni effet de manche qui décrit sobrement les occupations de Marc, cadre dans une cimenterie à Saint Nazaire et sa petite famille. Sa femme Hélène, leurs jumeaux et lui profitent d'une petite maison de famille des années 60 pour passer leurs week-ends sur l'île de Noirmoutier. « Leurs week-ends obéissaient à des règles tacites. le samedi matin, Hélène dormait tard. Marc, lui, se levait vers sept heures trente. Il prenait son petit déjeuner dans la cuisine, comme son père avant lui, puis il se rendait à l'Herbaudière pour son entraînement de tennis. » du terne millimétré donc. Dans des chapitres très courts ne laissant jamais place à autre chose que cette narration imparablement classique et ordinaire.
On ne rentrera pas dans la psyché des personnages car eux-mêmes n'y ont pas accès. Au moment de se rencontrer, Marc et Hélène découvrent « qu'ils avaient une façon commune d'envisager la vie. Avec distance, disait Hélène. Sérieux, complétait Marc. Un mélange de rationalité et de lucidité dont ils ignoraient l'origine – pourquoi cette alchimie les constituait -, mais qu'ils acceptaient chacun comme étant leur nature. » Une telle opacité à soi-même dans un univers qui n'attend rien d'autre de vous, c'est un coup à vivre son existence comme une longue et très plate promenade sur une jetée interminable, immensément grise.
L'arrivée à la cimenterie de
Paul Delacroix va faire événement. Enfin, façon de parler car il ne s'agit de rien d'autre que d'un nouveau collègue qui, lui aussi, passe ses week-ends à Noirmoutier et, lui aussi, joue au tennis. Ce qui, vues les origines socioculturelles des deux personnages, n'a rien de très disruptif. Voilà donc les deux hommes commencer à se fréquenter, à s'apprécier. Les couples à se recevoir les uns chez les autres.
C'est là que la narration sans relief prend tout son intérêt. S'en tenant à l'énumération factuelle des événements, les chapitres sont réunis dans des sections dont les titres participent à cette platitude assumée : « Paul et Marc étaient devenus amis » et quelques pages plus loin « le samedi matin, ils se retrouvaient à l'entraînement » ou encore « Les mois passaient ». Pas de quoi écrire à la famille, me direz-vous.
Et pourtant, au sein de ce dispositif exagérément morne, c'est à un anéantissement auquel on assistera. Dans toute la violence que contient en soi un tel effondrement renforcée de notre impuissance à atteindre ceux qui le vivent. Tiédeur fade et grise. Pulvérisation. Conventions gentillettes et petitement snobinardes. Effondrement.
Le tour de force de ce roman réside aussi dans ce qu'il n'est pas. On ne verse pas dans le thriller même si certains ressorts y appartiennent. On n'est pas dans l'explication psychologisante qui ruinerait les effets soigneusement mis en place. Il n'y a pas vraiment de morale ni de message à retenir de cette histoire. L'air de pas y toucher, dans un décor de vacances idéales, pour des raisons qui peuvent rester habilement obscures, on est au plus près de l'abime. Et c'est glaçant.
Je ne verrai plus jamais les roses trémières et les façades blanches, les familles égayées à la pêche aux coques, de la même façon désormais.