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Sophie Voillot (Traducteur)
EAN : 9782207261132
368 pages
Denoël (11/03/2010)
3.58/5   12 notes
Résumé :

Réchappé d'une tentative de suicide, le narrateur, immigré originaire d'un pays oriental, est contraint de suivre une psychothérapie. Entre le récit des séances et de ses errances dans un Montréal spectral, dévoré par la neige et le froid, on découvre peu à peu une âme perdue, déracinée, incapable de survivre à un passé dévastateur ni de reprendre pied dans ce pays qui ne semble pas, lui non plus, trop pressé de l'accueillir. Fou amoureux de Shoreh, une ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Je voudrais commencer par la métaphore éponyme. Je trouve dans le cafard une articulation à trois niveaux, dont l'alternance anime l'ensemble du roman.
1. La "métamorphose" en cafard (et ce mot, dès le tout début du roman, indique évidemment que la référence kafkaïenne est entièrement assumée) c'est l'enfance du narrateur, son principal "noeud" psychanalytique par rapport à ses relations (doublement culpabilisantes) avec sa soeur :
"C'est ma soeur qui m'a métamorphosé. [...] Elle m'a dit : Viens. Viens jouer. Et elle a relevé sa jupe, elle a posé l'arrière de ma tête entre ses jambes, elle a levé ses talons en l'air et elle s'est mise à agiter lentement ses jambes au-dessus de moi. Elle a dit : Regarde, ouvre les yeux, et elle m'a touché. Ça, c'est ton visage, ici c'est tes dents, et mes jambes sont tes longues, longues moustaches. On a ri, on a rampé sous les draps et on s'est mutuellement mordillé le visage. Elle a dit : Bloquons la lumière. Bordons l'édredon sous le matelas, bien serré pour empêcher la lumière d'entrer. Jouons sous terre." (p. 14)
Le fil rouge de l'évitement de la lumière - assez déconcertant dans la littérature migrante, sachant le rôle nostalgique du "soleil du pays", et surtout de l'obsession du climat glacial de Montréal qui est aussi un thème récurrent ; le système de métaphores du sous-sol et de la disparition dans les égouts (comme forme de fuite dans la régression) ; ainsi que d'autres détails des relations intimes/sexuelles du narrateur tout au long de la narration trouvent ici leur explication.
2. La condition de cafard du narrateur, c'est aussi, logiquement et de façon rationalisée, son statut social aussi bien pré- que post-migratoire. Sa capacité de s'introduire subrepticement dans les maisons (à fin de larcin ou non), de se faufiler par la tuyauterie (métaphorique naturellement), son parasitisme social, outre toutes les connotations habituelles de malpropreté, de dégoût, d'abjection que Kafka avait déjà employées, sont inclus dans cette image de soi. Une image parfois froide et détachée, parfois pleine d'auto-commisération, et encore, à trois reprises, hallucinatoire : "[...] l'énorme cafard albinos à rayures [...] dressé sur deux de ses pattes." (p. 240)
3. Dans un discours politico-social très haineux, indigné et révolté contre le pays mal accueillant et contre le monde des nantis tout entier, enfin, les cafards, dans une revanche millénariste, représentent les miséreux, les laissé-pour-compte : "[...] aucune barricade ne tiendra devant le puissant flot de semence des affamés, des opprimés. Je lui ai promis qu'un jour, tout ce qu'il servirait sur ses sièges de soie, ce serait des blattes géantes." (p. 43-44) Bien que le monde précarisé et prolétarisé des immigrés soit exploré avec une certaine proximité (ce qui se retrouve souvent précisément dans la "littérature de migration") et parfois identifié dans cette troisième catégorie du "cafard", les immigrés ne sont pas tous des congénères du narrateur, qui dénonce comme hypocrite la dénégation du leur vrai statut (chez "le professeur"), comme poltronne voire mercantile une attitude socialement trop intégrée (Réza, le patron du restaurant iranien, peut-être Majid aussi). Dans cette perspective, l'anti-cafard est pour le narrateur un objet de mépris et de "lutte de classe" (Sylvie et ses copains, la correspondante du professeur, dans un certain sens la psychothérapeute Geneviève aussi) à laquelle il se tient sans défaillir.

C'est sans doute cette construction tripartite qui démarque cette oeuvre du simple roman de "littérature de migration" ; sa complexité sur le plan symbolique outre que narratif (admirables dialogues de sourds avec la psychothérapeute), sa vérité loin des stéréotypes faciles et des clichés du genre, sa profondeur rendue principalement par les menus détails - et aussi par une prose contemporaine efficace -, sa trame tout simplement me l'ont faite grandement apprécier. C'est un roman que j'ai une forte envie de faire lire autour de moi et de relire un jour.
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Après avoir lu son excellent "De Niro's game", je ne pouvais pas faire l'impasse sur "Le cafard", deuxième roman de l'écrivain canadien d'origine libanaise Rawi Hage.

Qu'évoque donc cet animal, hormis l'image de saleté, d'insalubrité, voire de misère, qui lui est si souvent associée ? Je pense bien sûr au célèbre roman de Kafka, et j'imagine qu'il était de la volonté de Rawi Hage, en écrivant "Le cafard", que le lecteur établisse ce rapprochement.
En effet, son narrateur, qui se prend ponctuellement pour l'insecte sus mentionné, fait lui aussi la douloureuse expérience, parce qu'il est différent, du rejet et du mépris. Sauf que ce n'est pas de son apparence d'insecte (la métamorphose n'a lieu ici que dans l'esprit du narrateur) que découle cette différence, mais de son statut d'immigré sans le sou. Originaire d'un pays oriental, il peine à s'intégrer dans une société canadienne où il se sent décalé, indésirable, invisible. D'ailleurs, nous ne connaîtrons jamais le prénom ni le véritable pays d'origine du héros, l'auteur insistant ainsi sur la notion d'anonymat, d'insignifiance de l'individu. Condamné à la solitude et à la précarité, il se définit lui-même comme une vermine qui, pour survivre, rampe à ras du sol... Ses seules fréquentations sont des immigrés comme lui qu'il juge tour à tour avec mépris ou attendrissement, mais qu'il considère néanmoins comme ses semblables.
Suite à une tentative de suicide, il est suivi par une psychothérapeute. Leurs entretiens sont l'occasion d'évoquer le passé du narrateur, un passé difficile, mais qu'il relate de façon détachée, presque avec froideur. A contrario, il exprime à certains moments, sans motif apparent, de la tristesse, de l'amertume, de la peur, et un certain malaise qui se traduit par des manifestations plus ou moins extraordinaires, allant jusqu'à des hallucinations.

Je resterai davantage marquée par le premier roman de l'auteur que par ce "Cafard", qui en dépit de ses qualités, n'a pas été un coup de coeur. L'alliance de l'imaginaire fantasmagorique du narrateur et de son quotidien trivial et déprimant donne certes une touche d'originalité au récit, et l'écriture de Rawi Hage (ou tout du moins sa traduction), à la fois efficace et élégante, rend la lecture plaisante... alors quoi ?
C'est assez difficile à formuler... disons que l'impression que j'en garderai sera celle que laisse un bon souvenir, mais il est probable que d'ici quelques mois, je serai incapable de m'en remémorer l'essentiel. Tout comme je me sens aujourd'hui incapable de vous expliquer clairement les raisons de ce sentiment mitigé.

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Je suis amoureux de Shoreh, mais je ne me fie plus à mes émotions.
C’est quand la prochaine fois que tu gagnes aux courses pour m’offrir un Mac Book Pro à 2,8 GHz ?
Je suis un cafard, ma sœur m’a métamorphosé en insecte.
Un soir il était venu la chercher et l’avait conduite droit chez le curé, qui avait d’abord refusé de les marier, prétextant que la fille était mineure. L’homme avait dégainé son révolver et menacé le curé, lui avait fait signer le papier, puis avait ramené ma sœur dans sa maison maternelle. Il avait commencé par vider son verre puis il l’avait déflorée, et quand elle lui a demandé de l’argent pour acheter à manger, il l’avait battue. Le psy m’a interrompu : « Et comment vous sentez-vous par rapport à ça ? »
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Video de Rawi Hage (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Rawi Hage
Dans La Grande Librairie du 25 septembre 2008, François Busnel reçoit : Richard Ford pour L'État des lieux (L'Olivier) Rawi Hage, de Niro's Game (Denoël) Eddy L. Harris, Jupiter et moi et Harlem (Liana levis) Joann Sfar, le Petit Prince (Gallimard)
François Busnel propose en direct chaque jeudi à 20h35 sur France 5, un magazine qui suit de près l'actualité littéraire avec pour seul mot d'ordre, le plaisir.
Retrouvez toutes les informations sur les invités et leur actualité sur notre site : http://www.france5.fr/la-grande-librairie https://www.facebook.com/pages/La-Grande-Librairie/512305502130115 https://twitter.com/GrandeLibrairie Et réagissez en direct pendant l?émission avec le hashtag #LGLf5.
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