En 1971, à Medellin, Colombie, les gangs de narcos ne s'entre-tuent pas encore sur la place publique et la ville n'a pas encore acquis sa sulfureuse réputation de repère de barons de la drogue, mais elle en prend tout doucement le chemin. En effet, Mono et sa petite bande de malfrats un tantinet bras cassés ont enlevé Don Diego, riche homme d'affaires, de quoi se faire de l'argent facile et une belle vie avec la colossale rançon que la famille ne manquera pas de payer. Croient-ils.
Don Diego vs Mono, tout les oppose : quartier riche et quartier pauvre, train de vie de sénateur et voyou à la petite semaine, opéras de Wagner et musique de juke-box, l'un vieux, prudent et réac, l'autre jeune, rebelle et tête brûlée. Un seul point commun entre les deux hommes : leur obsession pour Isolda, la fille de Don Diego.
Isolda, la blonde Isolda, petite princesse choyée par son père qui a fait bâtir une réplique de château-fort pour la protéger du monde extérieur si menaçant. Isolda, petit lutin doré, qui se sent pourtant enfermée dans ces hauts murs et dans ses robes de poupée, et qui, à la moindre occasion, s'échappe dans le vaste parc autour de la maison pour s'amuser avec ses chimères. Isolda l'inaccessible, épiée du haut des branches des arbres par Mono ou les gamins des quartiers défavorisés.
Le roman, centré sur l'enlèvement de Don Diego, alterne les époques, remontant le temps jusqu'à la rencontre de celui-ci avec sa future femme en Allemagne, et croise les points de vue, observant tour à tour le quotidien des ravisseurs et de leur précieux otage pendant les semaines de séquestration, et celui du château, où la police piétine près du téléphone. Le tout est encore parsemé d'épisodes où l'on suit la douce et aérienne Isolda dans son exploration du parc, interludes qui agissent comme de petites respirations oniriques et sereines dans un récit par ailleurs tendu et sombre.
Bien écrit, bien construit, malgré la touche fantastique qui tombe un peu à plat, ce roman, inspiré de faits réels, vaut surtout pour le huis-clos entre Mono et Don Diego, et la lutte psychologique où chacun tente de prendre l'ascendant sur l'autre, où chacun comprend, ou comprendra plus tard (trop tard), que l'amour obsessionnel rend prisonnier et conduit à la perte, de soi-même et de l' « objet » aimé. Une histoire d'enlèvement qui joue sur les thèmes de la vie et la mort, et de l'éternelle opposition entre liberté et évasion d'une part, et enfermement physique et mental d'autre part, et qui montre que le sort, ironique, contrarie les choix des hommes et souffle des grains de sable dans leurs projets les mieux réfléchis. L'emprisonneur emprisonné, en somme... La fin du roman reste (paradoxalement) ouverte, mais on sent que ça ne peut pas bien se terminer.
Se méfier du monde extérieur ? À voir... mais surtout à lire...
En partenariat avec les éditions Métailié.
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