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EAN : 9782907681995
272 pages
Tristram (27/03/2014)
3.83/5   3 notes
Résumé :
En 1759, dans un petit village anglais, une effroyable controverse déchire la paroisse. Elle oppose le pasteur et son bedeau John,, bientôt soutenus par le reste de la communauté, au sacristain un dénommé La Tripatouille. Celui-ci multiplie démarches et manigances pour s'accaparer...un vieux manteau et une culotte de peluche noire usée. L'affaire prend des proportions colossales.

Le Roman Politique, qui rapporte cette histoire édif... >Voir plus
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Le Roman politique (titre original : A Political Romance) est le premier livre de Laurence Sterne, immédiatement brûlé en 1759, quelques mois avant la parution des premiers volumes de Tristram Shandy. Ledit roman est très bref, constitué d'abord de 25 pages contant l'«histoire d'un excellent manteau, bien chaud et d'un bon rapport, dont l'actuel possesseur ne daigne se couvrir les épaules qu'à la condition expresse de pouvoir se faire tailler dedans un jupon pour sa femme et une paire de braies pour son fils». Pas une affaire d'Etat, a priori, même si la bataille du manteau n'est pas tout et qu'il y a aussi les affaires de la «Paire-de-vieilles-Culottes-en-Peluche-noire» et «du grand Tapis vert de Lutrin et du vieux Coussin de Velours». Suivent un «Post-scriptum» de 5 pages, 15 pages d'un chapitre intitulé «la Clef» qui prétendent éclairer le texte du début et l'embrouillent prodigieusement, et deux lettres de Laurence Sterne qui constituent l'«Appendice» de ce Roman politique. Il y a en outre un «dossier» réunissant divers documents de Sterne ayant peu ou prou trait au scandale, le reste, pas loin des deux tiers du volume, étant constitué de «notes et commentaires» de Guy Jouvet, le traducteur de ce texte comme il a été le nouveau et remarquable traducteur de Tristram Shandy en 1998, et qui ne ressemblent certes pas aux éditions critiques habituelles de quelque texte que ce soit.



Dans la réalité de 1759, cette guerre picrocholine met en cause deux clans d'ecclésiastiques (Sterne étant dans cette carrière et partie prenante de ce conflit). L'écrivain traite l'affaire avec un humour et une exagération manifestes - et traîne tout le monde dans la boue, son camp comme l'autre, définissant chacun avec une psychologie inventive. «La Tripatouille était le Genre d'Homme sur qui les Oripeaux exerçaient une attirance irrésistible, et qui eût mieux aimé posséder la plus loqueteuse des Défroques - surtout s'il la voyait portée par un autre -, pourvu qu'elle eût été à l'origine l'habit de la plus riche Etoffe, plutôt que d'avoir sur lui le vêtement le plus sobre, le plus neuf et le plus confortable, dont les fuseaux de sa Femme eussent filé pour lui la fibre.» Puisqu'il s'agit manifestement d'un roman à clef, le chapitre «la Clef» en présente un bon nombre. Naît un délire interprétatif dû à ce que chacun ne s'intéresse qu'à sa seule hypothèse, voyant là le roi de France et là celui de Prusse ou d'Angleterre, le géographe se passionnant pour «les Braies», qui de toute évidence désignent Gibraltar, tandis que le tailleur n'en a que pour la «Paire de Culottes» qui ne peut renvoyer qu'à la Sicile, et ainsi de suite, si bien que, en fait de clef, on se retrouve avec tout «un Trousseau» dont il est naturellement impossible au malheureux (mais bienheureux) lecteur de savoir laquelle ouvre quelle porte.

«Cette Interprétation était trop ingénieuse pour qu'on la dédaignât tout à fait ; et, à la vérité, si elle péchait à quelque endroit, c'était par l'excessive Chaleur du ton qui (ainsi que le souffla un Apothicaire assis au coin du Feu à l'oreille de son Voisin le plus proche) affectait profondément le Laïus jusque dans ses Détails les plus insignifiants et y causait une si puissante Effervescence qu'il était impossible qu'il produisît l'Effet désiré.» Guy Jouvet montre dans ses notes et commentaires comment Laurence Sterne entreprend de parodier dans ce Roman politique à peu près tout ce qu'il est possible de parodier, mais lui-même manifeste, à défendre l'auteur du XVIIIe siècle et sa propre traduction de Tristram Shandy contre de mystérieux ennemis (pas nommés mais qui se reconnaîtront), une «Chaleur de ton» qui contribue au charme du volume puisqu'on ne sait plus bien si le traducteur parodie Laurence Sterne ou ses personnages. Guy Jouvet tire sur tout ce qui bouge, qu'il ait ou non évoqué Sterne. Henri Bergson se voit renvoyé à l'ignominie raciste. Henri Fluchère, spécialiste de Shakespeare qui a écrit un livre sur Sterne (et est mort en 1987), se retrouve dans le proche entourage de Goebbels. La «confrérie» des universitaires qui a ricané de la traduction de Tristram Shandy se prend une raclée quand la taille des tirets dans le texte devient une affaire aussi importante que celles du manteau et de la paire de culottes. Même Swift et Rabelais, Saint-Simon et Kafka sortent abaissés d'une comparaison avec Sterne. «Je parle ici de ce genre de modèle qu'on m'oppose chez les savants ricaneurs qui affirment étouffer sous le "fatras" de mes commentaires», écrit Guy Jouvet. Or il est vrai qu'on n'étouffe pas avec les notes de Guy Jouvet, fussent-elles d'une longueur inaccoutumée. D'une part, parce qu'elles sont reléguées en deuxième partie de volume et qu'il n'est pas nécessaire d'interrompre sa lecture de Sterne pour s'y plonger (on peut les garder pour la fin). Et, d'autre part, parce que leur érudition échevelée, qui les rend d'une certaine manière si peu nécessaires, leur confère une tout autre nécessité.

Mathieu LINDON

http://www.libération.fr
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