AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782130846963
192 pages
Presses Universitaires de France (22/03/2023)
5/5   3 notes
Résumé :
L`individu moderne est né comme une promesse de liberté. Mais passé le temps de ses victoires, il est aujourd`hui lui-même asservi, au sein d`une planète menacée. L`éthique de la défense des libertés et des droits individuels, jadis émancipatrice, mène à une impasse, et l`individu à de nouvelles servitudes, notamment numériques. La source de ces périls : la révolution qui intronisa, au Moyen Âge, la volonté comme faculté suprême de l`homme, au-dessus de la raison. À... >Voir plus
Que lire après Le second âge de l'individu: Pour une nouvelle émancipationVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Cette relecture du concept d'individu, de son rôle historique suivi de la mise en lumière claire et concise de l'impasse dans lequel l'éthique des droits de l'individu, pour libératrice qu'elle soit au départ, nous a conduit, m'a beaucoup impressionnée. je vais essayer de faire partager quelques idées qui ont retenu mon attention.
Il fait partir la révolution de l'individu, non pas des Lumières, mais des philosophes nominalistes (Duns Scot) de la fin du Moyen Âge qui instaure la volonté " habilité à faire ce qu'elle veut du moment qu'elle le veut". Il n'y a plus d'ordre du monde préétabli. le monde est ce qu'en fait la volonté. le Bien n'est plus donné.

Pour que la société fonctionne, les hommes ont inventé la notion de contrat qui fixe un cadre aux échanges entre des individus dotés d'une volonté libre et indépendante.
Les philosophes et surtout Rousseau ont inventé la notion de contrat social qui permet aux volontés individuelles de s'accorder sur un objectif commun en passant par la transcendance de la volonté générale qui est autre chose que la somme des volontés individuelles.
Or, l'auteur explique que la contractualisation, qui impose un rapport de force, est un outil de fragmentation du social. Dans le contrat chacun cherche à maximiser ses intérêts. le droit objectif reconnait une série de droits subjectifs qui sont des pouvoirs accordés aux individus au titre de sa liberté d'action. Chacun n'a donc plus qu'à s'inquiéter de lui même.


"Une fois que le grand contrat social a accordé à chaque individu une égale dignité et la plus grande part de liberté qui soit compatible avec celle de tous les autres, chacun peut se retirer sur son lopin juridique garanti, et y agir librement ; pour peu qu'il respecte les barrières de l'éthique des droits sur lesquelles tous se sont accordés. le contrat social originaire ouvre ainsi la porte à une myriade de petits contrats que chacun peut passer avec n'importe quel autre, à son meilleur avantage. C'est par ce mécanisme que le contrat devient un outil anti-social : le contractualisme généralisé alimente l'individualisme minimaliste que le contrat social était appelé à surmonter." (page 44)


Quel effet produit l'éthique des droits sur le monde? il ne s'agit de d'étudier l'énoncé de ces droits en eux mêmes, tels qu'ils figurent dans les textes mais de voir ce qu'ils produisent en réalité dans le monde. Pour l'auteur, tout en garantissant l'ensemble des droits et libertés individuels, nos sociétés ont vu s'imposer des modes de vie extrêmement contraignants (bureaucratisation, soumission au marché, judiciarisation des relations humaines, standardisation des comportements sociaux) auquel nul ne peut se soustraire alors même que l'éthique des droits prône l'autonomie individuelle et le droit de choisir le mode de vie qui convient à chacun. Les individus ont des droits, mais se sentent dépossédés du monde, ce qui entraine un sentiment d'impuissance, de résignation ou de colère. Les individus titulaires de droits ne peuvent échapper aux mode de vie qui leur sont imposés dans la mesures où ces modes de vie respectent la seule éthique des droits des individus. En conclusion pour l'auteur" La victoire de l'individu que célèbre l'éthique des droits signe en réalité la victoire du système. C'est pourquoi on peut parler d'un effet réversif : sa défense de l'individu se retourne mécaniquement en emprise du système sur lui. Voilà donc ce qu'elle fait, au-delà de ce qu'elle dit" (page 56)

L'auteur évoque le caractère hypertélique de la civilisation emportée dans un emballement de consommation que rien ne vient limiter et donc l'incapacité de faire face à l'idée que notre Terre ne peut nous fournir toutes les ressources que notre mode de vie nécessite. Toute tentative pour modérer cet emballement est perçu comme attentatoire aux libertés.
L'auteur souligne que le Sommet de Rio a apporté une inflexion importante en imposant à l'action humaine un critère extérieur à elle-même à savoir l'intégrité de l'environnement avec le principe de précaution. Pourtant celui ci constitue un simple facteur stabilisateur qui empêche ses conséquences les plus graves sans le remettre en question.

Un développement intéressant est consacré à l'impact du numérique. L'auteur rappelle le contexte d'apparition de cette explosion : la rencontre entre la contre-culture américaine de la côte ouest la plus individualiste avec les progrès de la technologie informatique soutenue par la puissance de l'infrastructure militaire et industrielle des années 60. Il démontre au passage l'inanité de la pensée libertarienne qui n'en fait que le résultat du génie individuel de quelques puissants.
Le numérique se veut un outil d'expansion des libertés individuelles (et il peut l'être dans quelques usages minoritaires) "mais il n'y a point d'assujettissement si parfait que celui qui garde les apparences de la liberté" (Rousseau)
Chaque outil numérique est constitué pour deux objets : sa finalité affichée (réserver un resto ou consulter la météo ) et sa finalité sous-jacente qui est accumuler les données sur les utilisateurs, données qui ont une valeur marchande considérable. Alors que l'individu pense développe ses capacités d'action, le système l'observe pour mieux le rendre dépendant de son offre.

La liberté dont nous disposons sur la toile n'est que le résultat d'une offre. La formule de l'auteur est remarquable " une liberté de supermarché' au sein d'une offre pléthorique déterminée par les offreurs et " qui se paye au prix d'un dépendance au supermarché" .
L'auteur fait le rapprochement avec la servitude volontaire de la Boétie. Ici, il ne s'agit d'une servitude à l'égard d'un tyran mais de la même façon l'attachement à la tyrannie à un aspect libidinal. Pour la Boétie, c'est la servitude qui créé la tyrannie car la désir de sécurité est plus fort que l'envie de liberté. La société technologique offre une extraordinaire variété de plaisirs libidinaux immédiatement accessibles. Mais là où les tyrans évoqués par la Boétie bafouaient les droits humains, la société technologique se conforme à l'éthique des droits, voire s'en réclame.
La volonté générale, qui permettait de transcender la volonté individuelle vers un bien commun, s'est émoussée au profit de la satisfaction du désir immédiat, la faculté rationnelle de juger et de décider est évacuée au profit de la satisfaction immédiate proposée par la société technologique. "du moment que l'individu pense agir de lui-même, de son plein gré et sans contrainte, son action est à ses yeux parfaitement valide [..] ce que je fais vaut non en tant que témoignage de ma volonté raisonnée, mais du simple fait que cette action est mienne".

"La force du capitalisme de surveillance [..] c'est de savoir s'adresser à ses utilisateurs comme des individus libidinaux, c'est à dire des êtres mus par le désir de satisfaire leur désir. Il ne s'adresse pas à eux comme à des êtres capables de jugement, de discernement ou de réflexion, mais comme à des êtres libidinaux mus par le principe de commodité : aller au plus rapide, au plus direct, au plus immédiatement satisfaisant, bref, à ce qui énergiquement le moins coûteux en termes cognitifs, physiologiques, temporels. Aller en permanence vers le plus pratique : voilà la possibilité qu'offre désormais en continu le numérique, qui permet ainsi, par une médiation technique soigneusement ajustée aux profils individuels, la parfaite réalisation de son essence, qui a toujours été la satisfaction marchande du désir" (page 86)

Le numérique est devenu un passage obligée de notre médiation au monde et pas seulement pour faire dans le monde. le numérique se substitue à notre relation naturelle au monde dans tous les domaines de notre expérience et produit une standardisation des comportements nécessaire pour être efficace, et donc une deshumanisation. le numérique poursuit donc l'amplifiant un mouvement de rationalisation. Mais il va au-delà : dans le monde numérique, tout désir est pris en charge immédiatement . " C'est le rêve de l'individu nominaliste : poser ses propres fins, et les exécuter aussitôt, au moindre effort possible"



Le numérique offre une liberté d'action, une diversité d'activité dont le seul but est d'alimenter le système des données des utilisateurs. Cette liberté est un leurre dont s'illusionne l'utilisateur, aveugle face à sa dépendance contextuelle. de plus la médiation obligée du monde que propose le numérique nous contraint à nous ajuster aux prescription techniques faute de voir notre action vouée à l'échec.
La liberté de l'individu devient la liberté de répondre en permanence à une offre numérique" dans une liberté de supermarché" et non pas la liberté spontanée d'explorer. Aurions-nous rechercher cette satisfaction si elle n'était pas à portée de clic?

Cela a des conséquences majeures; l'individu attend du système une réponse immédiate à ses désirs, quels qu'ils soient. L'obsession de la satisfaction de nos désirs nous poussent au repli sur soi, sur sa sphère de satisfaction. "Je" ne se confronte plus à l'autre, ne cherche plus ce qui est la base des sociétés humaines démocratiques; c'est à dire à chercher une entente, se décentrer de soi, privilégiant son confort libidinal dans sa bulle.

Dans sa bulle, relié au monde par le numérique qui satisfait ses désirs, l'humain libidinal attend une sécurité et une fiabilité toujours plus grande dans la réalisation de ses désirs, rejette l'incertitude qui est au coeur de notre rapport au monde et donc la nécessité de la confiance qui est une forme de transcendance car elle implique une incertitude fondamentale. Il espère un monde où la société sera sous pilotage automatique, et se fascine pour les régimes autoritaires.

L'éthique des droits n'a pas causé en elle même ces évolutions mais elle ne permet pas d'en sortit et de faire face aux enjeux de l'époque

Quelles sont les solutions proposées par l'auteur?

Une des solutions réside dans l'éducation, en cultivant le sens de la transcendance, en parlant du passé, en apprenant à prendre en compte le point de vue de l'ennemi, en se penchant sur le sort des oubliés. Il s'agit d'élever l'esprit pour changer sa relation au monde. Un monde idéal ne saurait apparaitre du jour au lendemain mais il s'agit de protéger l'esprit humain et de le laisser se déployer selon les modalités qui lui sont propres, sans l'asservir au système, pour permettre à l'esprit humain de s'élever au-dessus de son individualisme.

Mais cela le suffit l'éthique des droits doit être soumis à plus grand qu'elle, un commun de conviction qu'il faut faire émerger sur les enjeux essentiels que sont le changement climatique, la régulation écologique et la place du numérique.
L'auteur prend l'exemple de la convention des Nations unies sur les grands fonds marins qui soustrait à l'individualisme des Etats l'utilisation de ces espaces. Il propose de déclarer l'esprit humain patrimoine commun de l'humanité et de veiller au respect des conditions d'épanouissement de l'esprit humain. C'est à dire donner la priorité à l'épanouissement de l'esprit humain et non aux droits subjectifs de ceux qui ont pouvoir sur cet objet (comme les géants du numérique), à une écologie de l'esprit..


" Il n'est pas normal que le business plan des réseaux sociaux soit ainsi fait que plus on y ment, plus on y provoque, plus cela rapporte de l'argent à leur propriétaire, parce que la viralité vaut bien plus que la vérité. Il n'est pas normal de laisser faire ces technologues de l'esprit, au prétexte qu'ils peuvent rendre ce système conforme à nos idéaux individualistes - ce qui ne fait plutôt que rendre éclatante l'insuffisance congénitale de l'éthique des droits à enrayer la colonisation de l'esprit. Il n'est surtout pas normal de trouver cela normal simplement parce que nous sommes éblouis par tout ce qu'on peut faire faire à nos petites puces de silicium" (page 174)

" S'est progressivement imposée sous nos yeux, à bas bruit, une conviction d'une tout autre nature, selon laquelle ce qui compte, ce n'est plus tant la recherche de la vérité que l'affirmation de soi. L'identité plutôt que la vérité. Crier haut et fort ce que l'on est, clamer ce que l'on veut, penser ce que l'on pense et le faire savoir, voilà la grande affaire. Polarisation entre communautés irréductibles, fragmentations des revendications, populisme et fake news s'alimentent de ce même primat de l'identité sur la vérité : ne compte que ce qui me renforce dans mes convictions. Ce qui, au-delà de toutes leurs différences réunit ces forces divergents, c'est précisément cette attitude, inspirée d'un nominalisme diffus, de brutale affirmation de soi qui refuse toute transcendance à soi même : je veux ou je désire quelque chose parce que je suis ce que je suis, point barre".
Il faut donc retrouver le sens des limites, mettre un terme à l'arrogance de la volonté de l'individu nominaliste "ouvrir l'esprit à plus important que soi ne le rabaisse pas mais l'élève"

Cela prendra peut être un peu de temps et nous le l'avons probablement pas !
Commenter  J’apprécie          10
Un livre de philosophie écrit de manière très accessible et pourtant d'une grande profondeur. Profondeur historique d'abord, puisqu'il retrace l'histoire de la pensée occidentale de l'individu. Profondeur morale ensuite, puisqu'il invite son lecteur à penser les dégâts que le libéralisme et sa caution morale, l'éthique des droits individuels, a occasionné sur notre liberté effective et notre rapport au monde. Des dégâts encore aggravés par l'emprise du numérique et du capitalisme de surveillance. Profondeur philosophique enfin, puisqu'il propose un changement de paradigme: dépassement de l'éthique des droits individuels par une éthique du commun, promotion d'une éducation de l'esprit visant à le nourrir, à lui rendre désirable une nouvelle émancipation, au-delà de la seule satisfaction immédiate de ses désirs individuels.
L'auteur argumente un constat sur l'individu occidental de ce début de XXIe siècle, et dessine également sa vision d'une nouvelle émancipation de l'individu. À la fois pragmatique et morale, individuelle et transnationale, sa vision peut sembler utopique, mais elle ne l'est peut-être pas davantage que ne le fut au XIVe siècle l'affirmation du primat de la volonté individuelle sur la volonté divine.
Les ouvrages philosophiques m'intéressent, mais certains me sont trop difficiles d'accès ou ne m'accrochent pas. J'ai lu cet ouvrage en deux jours ( de vacances), curieuse à tout moment de voir où la pensée de l'auteur allait l'amener, et m'amener.
Commenter  J’apprécie          20


critiques presse (1)
LaCroix
15 mai 2023
Le philosophe Mark Hunyadi interroge les angles morts de l’éthique des droits individuels et invite à reconstruire du commun dans l’ouvrage « Le Second âge de l’individu. Pour une nouvelle émancipation ».
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
...une possible éthique de l'esprit, éthique non métaphysique dépassant mais ne reniant pas les acquis de l'éthique des droits qu'il s'agit toutefois d'ordonner à plus grande qu'elle. L'enjeu est de dépasser l'éthique de l'individu dans laquelle - au cours de son premier âge, nominaliste - il s'est laissé enfermer, par une éthique de l'esprit qui l'ouvre à un deuxième, capable de renouveler son rapport à soi, aux autres et au monde.
Commenter  J’apprécie          00
Toutes les forces sociales, économiques, politiques concourent à renforcer l'individu libidinal, pour renforcer le système : l'éthique des droits le justifie, le numérique l'accomplit, l'individu y tient.
Commenter  J’apprécie          10
Le pari sur l'esprit, c'est l'idée d'un individualisme non individualiste: d'un individualisme qui aurait surmonté la doctrine, qui s'est avérée toxique, de l'éminence de la volonté, et l'éthique des droits qui la consigne ; d'un individualisme où chacun ne vivrait plus dans sa zone auto-administrée, mais s'ouvrirait au monde en s'ouvrant à ses propres limites.
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Mark Hunyadi (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Mark Hunyadi
A partir d'un exposé pédagogique sur la théorie de la confiance qu'il a été le premier à formuler, l'auteur pose un diagnostic philosophique sur la source des crises que nous devons affronter et offre un outil critique permettant d'entrevoir les alternatives possibles.
En retraçant la genèse de l'individualisme moderne, Mark Hunyadi développe la profondeur historique du problème de la confiance, ainsi que la raison philosophique pour laquelle ce thème – pourtant unanimement reconnu comme essentiel – a été largement négligé dans la littérature philosophique. Au fil de nombreux exemples, il montre, que la confiance est relation au monde, avant d'être relation au risque, contrairement aux théories dominantes, de nature essentiellement économique. L'emprise du numérique sur nos existences a pour effet d'éliminer tendanciellement les relations de confiance, au profit de relations sécurisées. Ce phénomène dessine l'horizon d'une société automatique, d'où sont chassées les relations naturelles de confiance qui nous lient au monde – aux objets, aux autres, aux institutions. Ce livre s'inscrit donc dans la longue tradition de la théorie critique de la société dont l'auteur est un spécialiste reconnu.

Dans la collection
À ceux qui veulent changer le monde
+ Lire la suite
autres livres classés : philosophieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (7) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
439 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}