Je ne connaissais pas l'existence de cette utopie réaliste, j'étais très curieuse d'en apprendre plus, d'autant que j'adore la plume de
Cathy Ytak et les éditions Talents Hauts. Les deux osent aborder des sujets délicats, ne se censurent pas, ne prennent pas les enfants pour des quiches^^, les aident à comprendre le monde dans lequel ils vivent et les ouvrent à plus de tolérance. Pour exemple, le magnifique
D'un trait de fusain, lui aussi de
Cathy Ytak chez Talents Hauts.
Pendant les vacances d'été 1913, alors qu'Emile, treize ans, s'occupe de sa petite soeur Marie, quatre ans, il fait la connaissance de Louise au bord de l'eau. Elle veut se baigner alors que lui a peur de l'eau. Il est étonné qu'elle sache nager, alors elle lui raconte l'endroit merveilleux où elle habite. En l'espace de cinq pages, le décor de la quête d'Emile est planté. Il traite Louise de menteuse, et n'aura de cesse de vérifier par lui-même ce que la jeune fille lui a raconté.
Pour commencer, il a du mal à croire que Louise n'ait qu'un frère, lui qui a six frères et soeurs dont quatre encore à la maison, sans compter la petite soeur décédée. Pour lui, une femme n'a pas le choix que d'être régulièrement enceinte quand elle est mariée. Un de ses deux grands frères s'est engagé dans l'armée, et le deuxième travaille à l'usine, et sa soeur Léonie, qui a neuf mois de plus que lui, alors qu'elle rêve d'être institutrice, est contrainte de rester à la maison pour aider sa mère jusqu'à son mariage. On comprend mieux pourquoi il est incrédule face aux histoires de château de Louise.
Quand Emile décide de partir retrouver Louise et son palais, c'est sa soeur Léonie qui l'aide à trouver son adresse grâce à la « réclame » laissée par le frère de celle-ci à l'école quand il est venu installer le nouveau poêle Godin. Il part alors pour de riches aventures, officiellement pour voir sa Tante Germaine à Amiens puis son frère à Saint Quentin. Suite à un quiproquo, il se retrouve avec suffisamment d'argent pour financer son périple, pendant lequel il va de découverte en découverte, certaines plus tragiques que d'autres. Il est confronté à son statut de fils de paysan, et à la misère qui règne aussi à la ville… Cette partie du roman se lit toute seule, tant on a envie de savoir si et quand il arrivera finalement à bon port !
On n'arrive réellement au familistère qu'au 2/3 du roman. La première vue qu'Emile a de l'endroit est celle que vous verrez ci-dessous, la façade et la statue de
Jean-Baptiste André Godin, le fondateur. C'est un peu frustrant de tant attendre avant de découvrir enfin le palais, même si il était important de comprendre le quotidien d'Emile pour mieux apprécier l'incroyable vie au familistère.
Car une fois sur place, Emile découvre une micro-société idéale, où les ouvriers et ouvrières peuvent faire garder leurs enfants même très jeunes pour aller travailler, où tous les enfants sont scolarisés au moins jusqu'à quinze ans. Ils ne peuvent en effet pas intégrer l'usine avant cet âge, M. Godin tenant à ce qu'ils aient une bonne éducation.
Au sein du Familistère, où Emile est accueilli par la famille de Louise, il va de découverte en découverte. En effet, les loisirs ne sont pas en reste. Piscine, théâtre, orchestre, bals sous la verrière le week-end… tout est fait pour que les ouvriers se sentent bien, et restent. Pour notre jeune héros, la piscine est sans doute le plus important, car sa petite soeur s'est noyée, et il a l'eau en horreur.
Dans ce monde parfait, on peut même faire ses courses à des prix négociés, et beaucoup plus abordables qu'en ville. Tout est fait pour que les ouvriers et ouvrières des usines Godin vivent le mieux possible, que leurs enfants, éduqués, aient le choix de leur avenir. Rester travailler à l'usine, où les horaires sont adaptés suivant les postes, ou partir travailler à la ville, c'est au choix de chacun.
Les vraies richesses est un roman d'aventures dans la première partie, quand on suit Emile dans sa quête (semée d'embûches) du Familistère, ce château habité par des ouvriers, puis dans la deuxième partie, on découvre ce fameux endroit, où les ouvriers et leurs familles semblent si heureux… La question qui m'est venue à l'esprit en découvrant l'histoire du lieu, c'est « pourquoi n'y en a-t-il pas eu qu'un seul ? ». Si le modèle n'avait pas été économiquement viable, j'imagine que
Jean-Baptiste André Godin, qui était avant tout chef d'entreprise, aurait laissé tomber. Mais ses ouvriers restaient longtemps (pas besoin de former des nouveaux en permanence) et étaient aussi productifs que ceux des autres entreprises, tout en travaillant moins. Je ne comprends du coup vraiment pas pourquoi cette expérience n'a pas été renouvelée, à l'époque ou plus tard d'ailleurs…
Les vraies richesses est aussi un roman qui éveille la conscience sociale, en montrant la différence abyssale entre la vie dans les fermes, de familles souvent très nombreuses, et celle des ouvriers de chez Godin. Un monde les sépare, et pourtant aucun d'eux n'a fait d'études… Certains ont simplement eu la chance de croiser la route d'un homme qui respectaient les autres, et avait compris que le bonheur au quotidien fait des ouvriers plus efficaces, et qu'il avait intérêt à cet échange de bons procédés. Une fois de plus,
Cathy Ytak comme les éditions Talents Hauts ouvrent à une réflexion intéressante, à hauteur d'enfant, sur les travers toujours actuels de notre société. Ils leur montrent que plus de justice sociale et d'égalité n'est pas forcément que du domaine de l'utopie pourvue que tout le monde y mette du sien… C'est une lecture brillante, pleine d'espoir dans notre monde toujours plus individualiste.
Je tiens à remercier l'équipe du Familistère de Guise qui m'a envoyé un dossier complet avec notamment les photos ci-dessus, et m'a autorisée à les utiliser pour illustrer ma chronique.
J'ai reçu la version papier de ce livre de la part des éditions Talents Hauts. Merci à eux pour la confiance.
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