Ils sont fous, ces gaulois!
Babelio donne de ce livre un resume tres detaille: pliures au dos, exemplaire defraichi.
Je m'en vais chercher chez l'editeur,
Christian Bourgois: rien. Rien de rien. Pas un mot. Ils ont abandonne le livre a son defraichissement. Douce France. Doux pays de mon oubliance.
J'ai vite fait de passer la frontiere et je l'ai trouve en espagnol. C'est que j'y tenais. J'avais vu dans une liste (merci aux compilateurs) que
Milan Kundera le tenait en grande estime. Et moi, c'est
Kundera que je tiens en grande estime.
La historia corre por, pardon, j'ecris pour des gaulois, l'histoire se deroule dans la Boheme moyennageuse, ses villes fortifiees, ses cours d'eau, et surtout ses forets, boueuses en hiver, resplendissantes au printemps. En ces forets, des bandes nobles, des bandits de grands chemins, se terrent dans des tanieres non moins fortifiees, se chamaillent entre bandes rebelles pour un oui ou pour un tu vas dire oui de gre ou de force, s'unissent des fois pour batailler contre le roi, et surtout ranconnent toute leur contree, la saignant au propre et au figure. Et ce sont d'epiques cavalcades, et des marches forcees dans la boue, et des echauffourees, les hommes a l'epee, au poignard, a la lance, les femmes a la masse, au gourdin, qui d'un seul coup bien assene te plient le dos et te defraichissent (ca me rappelle quelque chose, mais quoi au juste?). Et ce sont des viols, et des rapts, de l'amour vache, mais amour quand meme, non orthodoxe mais incontestable, qui est tu, lecteur, pour juger de la noblesse des sentiments? Pour juger Marketa fille de Lazar, destinee au couvent mais esclave de l'amour?
Tout est epique dans ce livre, tout est mouvement, il est ecrit a bride abattue. Et l'auteur de s'immiscer dans le recit: il conseille ses personnages, il les avertit des dangers, et quand ils en font trop il les sermonne, les voue aux feux des enfers; il s'arrache les cheveux quand ses harangues sont ignorees. Et il interpelle sans arret le lecteur: que pense-t-il de telle action? Aurait-t-il fallu un autre deroulement? Ca ne lui semble pas tangible? Mais ne sait-il pas que la fiction depasse la realite? Et puis est-il vraiment competent pour juger? Parce que l'auteur, lui, descend directement de ces malandrins qu'il met en scene, il a en lui leur sang et leur ardeur, il les comprend mieux que quiconque, il se reconnait - de mauvaise grace mais n'y pouvant rien - en eux.
Quel livre! Une histoire d'epees sans cape, d'amours sans affeteries. A s'y perdre. Quel bonheur de s'y perdre! C'est une experience litteraire, ou l'auteur examine l'humain dans des situations limite. Vie et mort, verite et tromperie, gloire et deshonneur, responsabilite et desinvolture, foi en l'homme ou en Dieu. Mais quand l'action de l'homme est a blamer, Dieu, les dieux, peuvent-ils sevir? le veulent-ils? Ne crois-tu pas, lecteur, que les cieux sont vides? C'est toi, lecteur, qui devras te poser des questions et t'essayer a des reponses. L'auteur dissimule les siennes dans les brouillards de la foret, exaltant l'innocence du courage et reprouvant ses abus.
L'auteur?
Vladislav Vancura? Quel homme! Dans la Prague multiculturelle du debut du 20e siecle il fait des etudes de droit qu'il abandonne vite pour la medecine. Une fois medecin il delaissera sa clientele pour se consacrer a l'ecriture. Marketa Lazarova connait le succes a sa parution en 1931. Mais bientot c'est la tourmente: Hitler occupe la Tchecoslovaquie. Vancura se lance dans la resistance. En 1942 la Gestapo l'arrete, le torture et l'assassine. Il avait 50 ans. Noble fin pour un noble homme. Que sa memoire soit benie. Que ses oeuvres soient lues.