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EAN : 9782226452351
368 pages
Albin Michel (28/10/2020)
2.75/5   2 notes
Résumé :
Depuis le XVIIe siècle, l'être humain est passé du statut de sujet à celui d'individu. Cette évolution concerne aussi le bébé, sur lequel le regard a changé. À partir des années 80, celui-ci est vu comme une personne, abstraction faite de son état de dépendance primitif. Unique, doté d'un potentiel à développer, l'enfant est d'emblée érigé en un individu dont le désir s'impose. La verticalité disparaît, et avec elle le principe d'autorité traditionnelle. La question... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
J'ai été alerté (puis accroché et séduit) un de ces derniers matins à l'écoute de France-Inter par des propos vigoureux et insolites sur un de ces grands médias généralement plus enclins à souffler l'air du temps qu'à y provoquer des remous. C'était un pédopsychiatre, Daniel Marcelli, interviewé à l'occasion de la sortie de son dernier livre, qui réagissait à l'éducation des enfants d'aujourd'hui… « L'individualisme, c'est l'individu qui se croit au-dessus de tout ou, plus exactement, qui croit qu'il n'y a rien au-dessus de lui. » « Les enfants sont élevés aujourd'hui dès leur naissance comme s'ils étaient des individus, c'est-à-dire des particules complètement indépendantes et complètement autonomes. » « D'après l'étymologie, l'éducation consiste à conduire l'enfant vers l'extérieur, c'est-à-dire vers la société ; aujourd'hui j'ai l'impression qu'elle consiste à conduire l'enfant vers lui-même. » « Une des difficultés éducatives majeures des nouveaux parents : faire en sorte que leur enfant arrive à tolérer la souffrance d'un désir non satisfait. » Critiques de l'individu-roi, de la toute-puissance du désir, de l'éducation exclusivement positive… voilà des propos qui trouvaient des échos favorables dans mon expérience de grand-père et mes préoccupations de pédagogue et de citoyen !


J'ai donc acheté et lu aussitôt le livre de Daniel Marcelli mais, hélas, je n'ai guère retrouvé le discours chevronné et le ton percutant qui m'avaient d'emblée impressionné que dans le premier chapitre et dans la conclusion, là où s'expriment directement son expérience de praticien et de témoin privilégié et le bon sens d'un honnête homme qui sait prendre du recul et résister aux sirènes du temps. Mais j'avoue avoir été déconcerté et déçu par toute la démarche intermédiaire qui entend produire, justement, les fondements théoriques de ce que je crois être pourtant une alerte juste (à la fois appropriée et légitime) tout autant que salutaire. Non pas que ce travail théorique ne m'apparaisse pas nécessaire ; bien au contraire… C'est même ce que je cherchais en me tournant vers le livre. Mais le résultat ne me paraît pas convaincant et une lecture attentive m'a même plongé dans un malaise croissant.


Passons sur le caractère hasardeux des reconstitutions de « paléoanthropologie développementale » (p. 213) fondées sur l'hypothèse d'un parallélisme entre l'épigenèse individuelle et l'ontogenèse de l'espèce qui permettent à l'auteur de dérouler des scénarios (imaginaires, pour ne pas dire fantaisistes) sur l'origine du langage, l'émergence de la conscience réflexive ou l'invention de l'outil. L'essentiel est ailleurs ; à savoir, tout le travail d'analyse notionnelle destiné à fixer les concepts, à lever les confusions et à corriger les errements et les prétentions de l'idéologie par une rigueur qui se voudrait toute scientifique. Par exemple en distinguant bien le sujet et l'individu (et accessoirement la personne). Ou en cessant de mélanger pouvoir et autorité.


Pour le premier point, D. Marcelli table sur un passage (historique, mais surtout progressiste) de la personne au sujet puis à l'individu, là où on pourrait, probablement plus justement (même si le choix des mots a toujours une part de convention), inverser l'ordre des termes. Sa cible en effet, c'est l'individu, cellule indivise et fermée sur elle-même, indifférente à côté des autres individus tous identiques. le quidam, qui est tout le monde et personne, de condition misérable quand il est abandonné à lui-même et de prétention dangereuse quand il se veut tout-puissant. Marcelli veut l'ouvrir aux autres pour qu'il s'enrichisse et s'augmente de cette relation et, pour ce faire, il dédouble et redouble curieusement la notion en distinguant l'individu nu de la multitude de « l'individu individualisé », épanoui et doté de la plus haute valeur individuelle (ce que la philosophie, depuis Kant et tout le courant personnaliste, nomme plutôt et sans ambiguïté la « personne »). Mais c'est surtout avec la notion centrale dans le livre de « sujet » que le traitement imposé par Marcelli m'a sidéré. Il ne retient en effet que le sujet de la sujétion, celui qui est soumis, dépendant et uniforme ou indifférent. Même s'il parle souvent de « subjectivité » et de « subjectivation » (citant même l'Herméneutique du sujet de Michel Foucault), c'est toujours au sens d'une soumission : sub-jectum, « sous le jet [d'un autre, d'un pouvoir] », sollicite-t-il sans cesse l'étymologie, alors qu'au sens philosophique le sujet/subjectum, c'est ce qui est « sous-jacent » à tous les actes, pensées, expériences, affects, etc. d'un individu. Non pas sans doute une « sub-stance », qui serait figée dans une identité absolue, mais au moins une continuité, assurée par le fil conducteur du temps, de l'histoire et de la mémoire (ce qui, sur la base de « l'ipséité » distincte de la « mêmeté », résoudrait au passage le problème de « l'identité » dans lequel s'emberlificote aussi l'auteur). Toujours est-il que, pour servir la thèse de ce dernier, le sujet qui émerge dans la réflexion et la conscience de soi me semble fournir une meilleure base que l'individu, même « individualisé ». Contre le cogito ou sujet cartésien qui pourrait certes donner l'illusion d'être une propriété native conduisant au solipsisme, la leçon du « stade du miroir » interprété par Lacan et évoqué par Marcelli n'est-elle pas que le Je ne se découvre et ne s'apprend que dans le miroir d'autrui (regard et jugement) et que la singularité du sujet ou de la personne (virtuelle autant que réelle) ne peut émerger que sous pression, menace et caution des autres ?


Une semblable confusion me semble entourer également les notions de pouvoir et d'autorité, aussi essentielles, Marcelli en convient, en matière d'éducation que de politique. Daniel Marcelli veut, à juste titre, réhabiliter l'autorité et l'obéissance, aujourd'hui frappées de discrédit (ce qui laisse le champ libre à l'individualisme et conduit au délitement du lien social). Mais, après bien des tergiversations, il finit par réduire l'autorité à un pouvoir qui se retient et qui reste en suspens, le fort mystérieusement converti à la non-violence en quelque sorte. C'est que, révulsé par le modèle ancien et patriarcal de l'autorité, il voudrait une « autorité horizontale » (p. 191), plaçant à égalité les deux termes de la relation. Or (n'en déplaise à l'auteur comme à notre sensibilité moderne), l'autorité comme le pouvoir mettent en jeu une hiérarchie. Mais celle du couple maître/esclave ne se confond pas avec celle du couple maître/disciple. Si l'on tient à la représentation verticale, la première s'exerce de haut en bas et repose sur la contrainte (force ou ruse) alors que, dans la seconde, tout part du bas (même si dans son déploiement ultérieur la relation s'inverse) : à savoir, de la reconnaissance de celui qui se trouve investi d'une autorité par celui qui de lui-même se place sous cette autorité. le pouvoir s'impose toujours du dehors et d'en-haut, il met en jeu une relation d'extériorité et une dialectique des contraires (maître/esclave, bourreau/victime, fort/faible, riche/pauvre, savant/ignorant, etc.). Au contraire, nul ne détient l'autorité et celui qui s'en trouve investi (relativement et momentanément, c'est-à-dire toujours dans une relation particulière) l'est seulement par la reconnaissance de celui qui s'y soumet. « le plus faible [est] le seul à même de reconnaître qui a de l'autorité », dit justement Marcelli (p. 208). Oui, mais pourquoi ? Parce que celui-ci reconnaît en celui-là l'incarnation d'une valeur (expérience, compétence, sagesse, savoir, charisme, moralité…) à laquelle lui-même aspire et dont il espère être imprégné en retour à son contact ou à son école. Celui qui bénéficie d'une autorité n'impose rien ; il ne peut que proposer la valeur et les prescriptions qui vont avec au libre consentement des intéressés ; et en ce sens l'autorité est un modèle attractif, pas une force contraignante qui aliènerait les libertés. C'est pourquoi la relation d'autorité est difficile à établir et fragile, exigeant d'ailleurs plus, paradoxalement, de celui qui est le plus éloigné de la valeur honorée que de celui qui l'incarne (lequel joue en effet sur du velours tant que les conditions de son autorité sont assurées et qu'elle n'a donc pas à dégénérer en pouvoir). Assurément, elle s'adresse à un sujet éclairé plus qu'à un individu gonflé de suffisance. Mais il est à remarquer aussi que si l'autorité est tournée vers l'avenir en ce qu'elle fait croître (auctor : ce qui augmente) celui qui s'y soumet, enfant, apprenti ou citoyen, elle table sur des valeurs qui ont fait leurs preuves et qui, comme telles, sont toujours enracinées dans le passé et la durée. Attention donc ! Marcelli a peut-être tort d'ironiser (p. 191) sur le propos d'Hannah Arendt : « C'est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l'éducation doit être conservatrice » ou, disons, ne doit pas faire étourdiment table rase du passé et de la tradition.


Malgré toutes ces réserves, les prises de position et les mises en garde de Daniel Marcelli sur l'enfance et l'éducation ne me paraissent nullement invalidées ou même fragilisées, la solidité d'une longue pratique compensant très certainement les éventuelles faiblesses de l'étayage théorique. Et il faut lui savoir gré de dénoncer les progrès et les ravages de l'individualisme qui gangrène aujourd'hui nos sociétés jusqu'au coeur des relations familiales. Mais sur le plan politique (qu'il rapproche lui-même du plan pédagogique) les insuffisances de l'analyse le conduisent clairement à sous-estimer les dégâts déjà bien avancés de l'individualisme galopant : disparition d'un intérêt général ou d'un bien commun sous le déferlement des intérêts particuliers, discrédit de toute forme d'autorité (institutions, valeurs, savoirs…), décomposition du lien social, ingouvernabilité d'une multitude d'individus qui s'est progressivement substituée au peuple des citoyens, impuissance et discrédit du politique, vacillement des démocraties sur des bases déclarées obsolètes… Exprimant en effet, pour finir, ses craintes au sujet de l'avenir, n'en vient-il pas (p. 311) à souhaiter un « soutien » plus appuyé du « politique » aux associations qui recueillent aujourd'hui le souci du « vivre-ensemble » ? C'est sympathique assurément, mais tellement loin du compte !


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Vidéo de Daniel Marcelli
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