Une curiosité ancienne à l'égard des soeurs Mitford m'a guidée vers cette biographie de la plus célèbre d'entre elles, Nancy. Je n'ai aucunement été déçue par le travail de Jean-Noël Liaut, le sérieux de ses recherches et son style vif, mais j'avoue avoir été déçue par Nancy Mitford elle-même. Certes, le personnage est haut en couleur mais guère sympathique. Peut-être la faute en incombe-t-elle à l'éducation reçue, mélange d'indifférence affective et de haute conscience du rang social, d'endurance et de dédain à l'égard des moins armés pour la joute sociale ? Jean-Noël Liaut nous dépeint une société aristocratique où l'excentricité la plus folle le dispute à un sens des convenances sociales le plus rétrograde. Ses membres peuvent se promener sur la Tamise en gondole, voyager en train avec une chèvre, entretenir leur chevelure avec de la poudre d'or ou encore posséder un caniche appelé Léon Blum ou des reptiles rebaptisés Gloria Swanson ou Greta Garbo, mais ils n'oublient jamais les passages obligés de leur caste : Eton pour les hommes, la présentation à la cour et le mariage pour les jeunes filles, la saison londonienne, les escapades à Paris, Rome, Florence pour les jeunes couples et la chasse dans leur retraite campagnarde pour les plus mûrs. Ainsi Nancy, bien que séparée depuis longtemps de son mari, continuera à se faire appeler Mrs Peter Rodd, comme si sa reconnaissance passait par son statut d'épouse. Plus surprenant, à côté des dépenses fastueuses de cette gentry, le recours aux expédients de toutes sortes s'impose en cas de revers de fortune ou de ruine. L'oisiveté mène à bien des turpitudes et l'entourage des soeurs Mitford en montre de nombreux exemples, à commencer par le mari de Nancy, Peter Rodd.
Si certains traits de la personnalité de Nancy Mitford révèlent un indéniable courage – notamment pendant le blitz londonien – d'autres trahissent une jalousie exacerbée à l'égard de sa soeur Diana, une cruauté mâtinée de vengeance envers ses parents, un redoutable talent de langue de vipère dans ses relations sociales. Ne connaissant pas ses oeuvres, je ne puis porter un jugement sur leur qualité, cependant les propos de l'auteur m'incitent à les découvrir au plus vite. Evelyn Waugh, fidèle parmi les fidèles, ne ménageait pas ses compliments à la sortie de chaque nouvel opus de l'écrivain, mais je ne m'y fierai pas, connaissant sa propension à encenser une amie aussi précieuse que dangereuse dans le petit monde des happy few qu'il a eu tant de mal à intégrer.
L'ouvrage de Jean-Noël Liaut se lit avec plaisir mais il n'est pas certain que son héroïne passe à la postérité. Que restera-t-il d'elle maintenant que s'efface des mémoires le souvenir des excentriques et scandaleuses soeurs Mitford ? le sillage mélancolique d'une femme qui a gommé toute la tristesse de son existence pour n'en arborer que les éclats ensoleillés, à l'instar de son parfum Après l'ondée de Guerlain dont les senteurs d'orage se dissipent peu à peu pour laisser place aux parfums exhalés par la caresse du soleil.
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Elle [Nancy] reprenait la classification de Ross – « U » pour Upper Class désignait tout ce qui était élégant, et « Non-U », tout ce qui ne l’était pas – mais elle en donnait une interprétation très personnelle. « C’est en silence […] qu’il faut supporter d’entendre de vagues relations vous appeler par votre prénom ou, ce qui est plus horrible encore, d’être présenté par vos nom et prénoms sans aucun préfixe. Cet usage inqualifiable se retrouve parfois dans les lettres (« Chère Nancy Mitford »), que je déchire silencieusement en morceaux. » Telle une guêpe joyeuse et déchaînée, Nancy piquait, piquait, piquait. Elle affirmait qu’il était « Non-U » d’envoyer son courrier par avion et de dire « dentier » pour « fausses dents ».
Adultère, divorce, mariage secret, fugue, tentative d’enlèvement, nazisme et rumeur de fiançailles avec Adolf Hitler, communisme et guerre d’Espagne… Si un romancier avait emprunté de tels ingrédients pour écrire une histoire, ne l’aurait-on pas accusé d’avoir la main lourde ? Et pourtant il ne s’agissait que d’un avant-goût de ce qui allait suivre. En l’occurrence une tentative de suicide pour Unity et des années de prison pour Diana.
« Nos années d’enfance sont celles de nos aventures essentielles. Nous y préparons notre avenir, jusque dans ses moindres détails », écrit Léon-Paul Fargue. "Nous accumulons, sans y songer, les matériaux de notre œuvre future. " Sa famille était un filon d’or, les galeries de la mine Mitford regorgeaient de pépites, et Nancy sut l’exploiter en temps et en heure.
Nancy, dont l'humour et la causticité perçaient à jour en un instant les aveuglements de ses interlocuteurs, ne parvenait pas à faire preuve de lucidité dés que sa vie privée était concernée. En amour, elle fut, sa vie durant, un instrument désaccordé.
La princesse insoumise de Jean-Noël Liaut aux éditions Allary
https://www.lagriffenoire.com/la-princesse-insoumise.html
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