Aucun siècle n'a produit autant de correspondances de qualité que le dix-huitième, mais les huit lettres qui constituent la correspondance complète d'Henriette et de Rousseau comptent parmi les plus fulgurantes, les plus richeset les plus belles de ce siècle. Les cinq missives de cette mystérieuse Henriette (aujourd'hui encore son identité demeure inconnue) suffisent à la placer au même rang que Julie de l'Espinasse ou que Madame d'Épinay et souvent en avant quant à l'originalité de la pensée et à la qualité de son expression.
Cette correspondance est d'autant plus précieuse que Rousseau, qui s'est toujours décrit comme inapte à la relation épistolaire, rechignait à répondre aux multiples sollicitations dont il était l'objet. Comment expliquer dèslors cette distinction opérée en faveur d'une anonyme ?
La réponse est Henriette elle-même. Jeune femme instruite, intelligente, lectrice attentive de Rousseau et sur-tout terriblement mélancolique, elle écrit au philosophe parce qu'elle se dit peu douée pour le métier de vivre.
On décèle dans l'écriture d'Henriette les prémices d'un romantisme naissant mais ce qui frappe plus que tout c'est la question de sa place dans la société. N'ayant pu se marier, elle estime être libérée de son statut social de femme (Moi isolée, je ne suis d'aucun sexe). Mais si elle semble souffrir de cette marginalité, elle jouit également sans réserve de la liberté qu'elle en tire, pour… penser, lire et se consacrer à l'étude. À une société qui l'a laissée de côté, Henriette ne doit rien en tant que femme. Elle se doit tout à elle-même en tant qu'être souffrant occupé à combattre par tous les moyens une affreuse douleur psychique.
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Moi, isolée, je ne suis d'aucun sexe, je suis seulement un être pensant et souffrant, qui reste là aux alentours d'une société où on ne m'a point donné de place, comme une pierre, que l'on n'a point employée, reste près d'un bâtiment dont elle n'a pu faire partie. Elle n'est ni pierre d'angle, ni pierre d'appui, on n'en a rien fait, elle n'est seulement qu'une pierre que l'on range pour ne pas embarrasser les passants.
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
« Neuvième promenade », _in Les confessions de J.-J. Rousseau,_ suivies des _Rêveries du promeneur solitaire,_ tome second, Genève, s. é., 1783, pp. 373-374.
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