Cette Antigone est une pure merveille !
Si l'on devait le résumer, ce pourrait être cela :
« Afghanistan. Province de Kandahar. Un drone américain a décimé les habitants d'un village. Les survivants prennent les armes et attaquent en représailles la base militaire américaine. Bilan : tous les attaquants sont morts. Quelques soldats également. Tous les survivants sont épuisés, atteints, blessés, à bout.
Ils voient s'approcher du périmètre de sécurité de la base, une forme humaine dissimulée sous une burqa, se déplaçant cahin caha dans une charrette, à la force de ses bras. Cet être humain mutilé, qui se traine sur ses moignons, c'est Nizam, la soeur du chef des attaquants, qui vient réclamer le corps de son frère pour l'enterrer dignement, selon les rites musulmans.
Les soldats américains sont persuadés qu'il s'agit d'un terroriste : homme dissimulé sous une burqa ou femme déterminée à mener une attaque suicide ? Que vont-ils faire d'elle, de sa supplique et de la dépouille de son frère qui pourrit à la chaleur du désert ? »
Si l'on devait le résumer, ce pourrait être aussi cela :
«Etats-Unis. Ville de New York.
Joydeep Roy-Bhattacharya, écrivain américain d'origine indienne entreprend la ré-écriture du mythe d'Antigone. Il est Nizam mutilée sous la burqa, dans la poussière du sable brûlant sur la terre craquelée d'Afghanistan, récitant la janaza, face à face avec l'oeil au sang séché d'un visage défoncé. Il est le lieutenant
Frobenius, jouant la guerre et la misère des tragédies antiques, crachant sang et sable dans les bras d'Emily. Il est Youssouf, ce frère chéri, pourrissant et empestant l'air chaud de son pays. Il est toubib sous les balles sifflantes, tirant par les épaules le soldat au corps explosé de balles. Il est interprète engagé volontaire pour servir les libérateurs de son pays. Il est soldat, le bras tatoué, pour ne pas oublié : 09/11, perdant tous ses idéaux guerriers, devant la grandeur d'âme d'une Antigone afghane :
« Ce ne sont pas les armées qui gagnent les guerres : ce sont les peuples. Les peuples ressentent des choses comme le sacrifice, la perte, la douleur. Les Pachtouns sont impliqués dans cette guerre en tant que peuple. Et cette fille sans jambe dans sa charrette fait partie de ça. Ils savent ce pour quoi ils se battent – ils se battent pour survivre, pour leurs maisons, pour leurs croyances. (…) mais nous, pour quoi on se bat ? »
Pas de vérités données, et encore moins dictées, pas de condamnations ni jugements, mais ce sentiment d'absurdité face à la guerre, et la douloureuse prise de conscience de cette incommensurable incompréhension mutuelle qui enlise encore et toujours...
Et cette beauté des mots dans la bouche d'une Antigone et entre les pages du journal du lieutenant, le Jour, la Nuit :
"Des kilomètres au loin. J'ai vingt-quatre ans, mais j'ai tant vieilli. Mes yeux sont des trous dans lesquels la lumière ne pénètre plus."