J'étais le capitaine de l'Exodus

Un des épisodes les plus émouvants et dramatiques de l'après-guerre, grâce à la perfide Albion de Clement Attlee, premier, et surtout Ernest Bevin, son ministre des affaires étrangères, est sûrement celui du bateau 'Exodus 47'.
En 1947, un grand nombre de rescapés des camps nazis se trouvaient toujours dans des camps en Allemagne, maintenant sous contrôle des alliés. Pour la plupart une rentrée chez eux n'était guère envisageable. C'etait notamment le cas des 'Ostjuden' ou juifs de l'est. Staline enfermait purement et simplement tous ceux qui étaient sortis de la patrie et ailleurs, comme en Pologne, ils étaient tout sauf la bienvenue, comme l'àvait démontré le pogrom de Kielce, en juillet 1946. Pratiquement tous rêvaient donc de partir en Amérique ou en Palestine. Seulement des visas pour les États-Unis étaient donnés au compte-gouttes et les anglais avaient introduit un système de quotas rigoureusement restrictif. Résultat : des candidats de plus en plus nombreux pour l'émigration illégale vers leur 'Eretz Israel'.
C'est dans ce contexte que se situe l'épopée de l'Exodus, qui défie l'imagination. Imaginez un vieux bateau destiné aux excursions paisibles sur les lacs d'Amérique du Nord ; un capitaine d'à peine 23 ans ; des patrouilles constantes de bâtiments de guerre britanniques ; et 4.554 passagers tassés à bord, dont 1017 jeunes et 655 enfants !
C'est du port de Sète que le bateau est parti le 11 juillet 1947, sous le commandement du jeune Yitzhak Aronowicz - surnommé 'Ike' - vers la Palestine. 7 Jours plus tard, il fut attaqué et araisonné par des navires anglais, et tout le monde fut obligé de débarquer près de Haifa et était transféré dans un camp à Chypre (sauf 3 juifs qui y ont trouvé la mort). Après de multiples pourparlers et complications, le gouvernement britannique decide que ces malheureux survivants de l'holocauste doivent retourner d'où ils viennent, c-à-d en France. le 29 juillet, c'est l'arrivée à Port-de-Bouc, où ils resteront jusqu'au 22 août à bord de 3 bateaux dans des conditions lamentables qui provoquent une grève de la faim. de Paris l'ordre est donné de les faire débarquer de force, mais les autorités locales, très courageusement d'ailleurs, s'y refusent. Finalement, après un voyage et une escale à Gibraltar éprouvants, les malchanceux arrivent à Hambourg, le 7 septembre, dans le secteur d'occupation britannique d'Allemagne, pour être transférés dans un camp à Poppendorf, où se termine leur périple abominable.
Que cette équipée ait inspiré plusieurs auteurs et suscité plusieurs témoignages n' étonnera personne. Signalons le roman de Leon Uris, 'Exodus' de 1958, qui a incité Otto Preminger à faire un film à succès avec le même titre et comme acteur principal Paul Newman. D'autres ouvrages ont suivi de notamment Dan Uri, Aviva Halamish, Ramon Basagana et surtout de Ruth Gruber. En effet, son livre avec le sous-titre significatif de 'The Ship That Launched a Nation' (le bateau qui a lancé une nation) est un document important dans la mesure, qu'en tant qu'observatrice américaine, elle a été une des rares personnes à suivre de très près cette ténébreuse affaire et à être autorisée à monter à bord des bateaux à Port-de-Bouc.
Il est vrai que la jeune Gruber avait déjà fait ses preuves en accompagnant et coordinant le transfert exceptionnel de 1000 juifs d'Allemagne aux États-Unis, à la suite d'une initiative du président Roosevelt, ou plutôt de son épouse Eleanor, en pleine guerre en 1944. de son aventure elle a également écrit un livre : 'Haven', qui vaut la peine d'être lu. Un détail pour la petite histoire : Ruth Gruber est décédée en novembre dernier à l'âge de 105 ans.
Elsa Guiol mérite, selon moi, toute notre appréciation : d'abord pour avoir pris l'initiative de laisser à Ike, un an avant sa mort, l'opportunité de faire le récit de ses exploits, d'autant plus qu'il s'agit de la seule et unique fois qu'il a accepté de le faire. Ensuite, pour avoir fait de son récit un ensemble cohérent et logique qui se lit facilement, malgré la complexité de cet odyssée.