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EAN : 9782267050615
232 pages
Christian Bourgois Editeur (17/08/2023)
3.72/5   67 notes
Résumé :
Marie et Mathieu sont mariés depuis une vingtaine d’années, leur fille Jeanne vient de quitter la maison. Leur vie professionnelle prend toute la place que leur relation ne remplit plus tout à fait. Mais aucun des deux ne se doute que la réception rue Royale à laquelle Marie emmène son mari un soir de printemps va changer leur destin. Une conversation anodine et quelques échanges de regards avec Xavier, un des convives, suffisent pourtant à troubler Mathieu, et à lu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
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Mathieu est un adolescent qui assume son homosexualité, y compris dans les établissements scolaires qu'il fréquente, ce qui provoque du harcèlement, mais il sait s'y montrer insensible. Pourtant, l'âge adulte venant, il va décider de mettre cette orientation entre parenthèses, de « devenir hétéro », afin d'avoir la vie bourgeoise qu'il souhaite. Il se marie avec Marie et ils ont vite une fille, Jeanne. Leur vie professionnelle les occupe énormément, au détriment de leur vie de couple. Un soir – Jeanne a alors dix-huit ans –, Marie insiste pour que Mathieu la suive à un dîner professionnel rue Royale, et là, il fait la connaissance de Xavier. Ils vont tomber éperdument amoureux l'un de l'autre et vivre une histoire clandestine, jusqu'au terrible accident de voiture de Xavier… ● Je vous ai raconté toute l'histoire, mais je n'ai rien divulgâché car on apprend tout cela dans les premières pages du roman. le problème, c'est qu'ensuite il ne se passe plus rien… Pour la tension narrative, on repassera… ● Cédant à la mode du moment, l'auteur fait alterner trois narrateurs, Mathieu, Xavier et Marie, mais ils nous racontent tous la même histoire – avec les mêmes mots et surtout le même style –, seuls quelques détails supplémentaires sont apportés sur la vie de celui ou celle qui raconte. ● Les dialogues sonnent faux. ● le style est guindé ; à la lecture on se prend à souhaiter que l'auteur se lâche un peu. ● J'ai vu que des lecteurs le comparent à Philippe Besson ; certes le point commun est l'homosexualité, mais à part ça, c'est très différent ; Philippe Besson sait raconter une histoire, et son style n'est pas ainsi corseté dans un classicisme suranné. ● Premier roman de la rentrée littéraire que je lis, cet Empêchement ne m'a guère convaincu.
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Les trois versions de l'histoire

En confiant à Mathieu, Xavier et Marie le soin de nous confier leurs versions respectives de cette histoire de passion et de renoncements, d'amour et de drames, Jérôme Aumont réussit une belle entrée en littérature.

Mathieu dresse le bilan de sa vie dès la première phrase de ce roman, et il n'est guère réjouissant: «Je suis l'homme qui a tout perdu». Un constat amer qu'il va toutefois falloir nuancer, car le drame vécu par Mathieu s'accompagne d'un amour passionné.
Au sortir de l'adolescence, il passe son temps avec la belle Stéphanie et passe quelques jours avec sa famille à Trébeurden en Bretagne. C'est là qu'il découvre son attirance pour le père de sa petite amie. Mais ce n'est que lorsqu'il rencontre Franck quelques temps plus tard qu'il peut vivre son homosexualité lors d'une parenthèse enchantée à Nice. Ses études, les conventions, le sida le poussent cependant à oublier cette déviance: «Non, je n'étais pas gay, je ne l'avais jamais été. Non, je n'étais pas PD, j'étais un mec, un vrai, rien ne me détournerait du droit chemin. J'allais fonder une famille, avoir des enfants. J'allais avoir une existence rangée, normale.»
Une décision à laquelle il se tiendra scrupuleusement. Il épouse Marie et passe une vie tranquille à ses côtés et à ceux de leur fille Jeanne. Une vingtaine d'années sans histoire. Maintenant que Jeanne a quitté le domicile familial, ils sortent davantage et, lors d'une réception, il croise le regard de Xavier et retrouve la passion amoureuse. Une double vie qui va s'achever dans un fracas de tôles arrachées, quand un accident de la route emporte ce nouvel amour, laissant Mathieu exsangue. Claude Sautet dirait que ce sont Les choses de la vie.
Thierry Aumont choisit alors de donner la parole au défunt. C'est donc un Xavier post-mortem qui va nous livrer son histoire et raconter sa relation avec son dernier homme. C'est aussi à lui que l'auteur confie le soin de refermer cette nouvelle parenthèse: «Pour peu enviable que soit mon sort à présent, je te plains de toutes mes forces. Tu vas devoir continuer à vivre dans ton bel appartement bourgeois, avec ta femme délicieusement dépressive, tes week-ends sur l'île de Ré chez tes beaux-parents, tes déjeuners professionnels interminables, tes rares soirées "entre mecs". Toutes ces obligations qui scandaient ta vie et te tenaient par là même éloigné de moi avec une cruauté métronomique. Tout ce qui rendait au reste du monde ton existence respectable et bien rangée. Cet emploi du temps, tu vas désormais devoir continuer à le respecter comme si tu avais toujours tout, alors que toi et moi savons que tu as tout perdu.»
Dans ce roman choral, c'est à Marie que Jérôme Aumont confie la dernière partie. Je vous laisse découvrir son parcours d'enfant modèle, puis d'étudiante accomplie, son parcours professionnel brillant jusqu'à prendre la tête du premier magazine féminin de France avant de devenir, après «une longue série de sacrifices et de désillusions», une femme insatisfaite.
Si la force du désir est l'un des thèmes majeurs de cette rentrée littéraire, l'homosexualité figure aussi en bonne place avec notamment Plexiglas d' Antoine Philias, La prochaine fois que tu mordras la poussière de Panayotis Pascot et par La vie nouvelle de Tom Crewe. Trois autres variations autour du sentiment amoureux, du trouble qui l'accompagne et ici, du doute engendrée par une nouvelle relation différente.

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Histoire d'une passion amoureuse incontournable malgré les barrières qu'avait érigées Mathieu depuis longtemps. Dix huit ans d'un mariage de convenance n'ont pas atténué le désir qui le porte vers les hommes. Incarné par Xavier, l'amour ne s'épanouira cependant pas, puisque le destin lui impose une double peine : la perte de son amant dans un accident et la révélation à sa famille !

A travers trois récits, ce roman choral retrace ce parcours complexe fait de renoncement, de doutes et de désir.

Peu adepte de cette littérature, qu'elle concerne les amours hétéronormées ou homosexuelles, je n'ai pas été séduite par l'intrigue, ni par l'écriture qui m'a paru trop lyrique.

Ce roman trouvera certainement son public, mais je n'en ferai pas partie

232 pages Bourgois 17 août 2023
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Ce roman est d'une élégance et d'une maîtrise qu'on trouve rarement dans un premier ouvrage. Rien d'étonnant. Les premiers romans écrits par les gens de 50 ans ont une profondeur à laquelle les plus jeunes ne peuvent prétendre. Il n'y a eu qu'une seule exception : Françoise Sagan.
De surcroît, la prise de risque était maximale car Jérôme Aumont a choisi de raconter une histoire d'amour. Il s'en sort avec les honneurs. Son triptyque fonctionne. Marie aime Mathieu qui aime Xavier. L'auteur a choisi la forme du roman choral pour se mettre dans la peau de ses personnages et donner leur vision d'un amour contrarié, d'une vie conduite à contre sens, d'« Un empêchement ».
Tous trois m'ont touchée, à leur manière. le dévouement et les hésitations de Mathieu : « j'appartiens à une génération qu'on a très tôt persuadée que tout devrait se faire dans la douleur ». La marginalité assumée de Xavier : « (…) J'étais bien plus à l'aise dans la peau du petit garçon qui s'ennuie et développe des trésors d'imagination pour embellir sa triste existence que dans celle du petit prince qui régente sa cour miniature ». Et enfin, Marie, l'ambitieuse complexée, femme si active qu'elle en devient une parodie d'elle-même, une version édulcorée de mère et d'épouse.
La critique des mères (ménagères) de famille des années 60, produit dérivé du patriarcat, est cruelle mais juste (remarquables passages p120 et p186).
Un très bon premier roman dont l'atmosphère, la finesse et les dialogues m'ont rappelé les merveilleux films du réalisateur turco-italien Ferzan Özpetek.
Bilan : 🌹🌹🌹
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Trois voix pour raconter la même histoire, celle d'un amour qui a failli exister, d'un bonheur qui aurait pu - enfin- survenir, l'histoire d'un trio qui a fait l'expérience d'une « presque-vie », d'un « presque-bonheur ».

C'est l'histoire d'un amour éternel et banal, celui d'un homme pour un autre homme, rencontré fortuitement à deux reprises, comme si le destin s'acharnait à les jeter dans les bras l'un de l'autre.

C'est l'histoire de Mathieu, qui a découvert son homosexualité à l'adolescence, se voyant plus que troublé par le corps du père de son amie. Puis qui a dû subir les méchancetés - parfois ignobles - et les moqueries les plus dégradantes de la part de ses « copains » de classe. Mathieu qui, mettant son orientation sexuelle de côté comme pour y revenir plus tard, fait le choix de se ranger, un mariage bourgeois, des études de qualité, une profession rémunératrice, bref, il « rentre dans le rang », oubliant juste l'essentiel de lui-même. Sa femme Marie sent bien qu'il n'est pas un mari comme les autres. Qu'importe, elle mène sa vie et sa carrière dans un tournoiement parisien bon chic bon genre et quand leur fille Jeanne vient au monde, grandit et prend son envol, c'est là que tout bascule.

Car Mathieu a rencontré Xavier dans une soirée organisée par la très médiatique Marie, et puis le croisera au Grand-Palais alors que lui-même est accompagné de Jeanne, sa fille encore petite. Combien de temps va-t-il falloir aux deux hommes pour se reconnaître, s'aimer, s'engager l'un envers l'autre ?

Mais quand l'amour est là, enfin autorisé par soi-même, quand le choix de vie se précise (je quitte Marie, je vis avec Xavier) se produit l'indicible, l'impossible, le dernier virage d'un amour fulgurant et total : la perte de contrôle du petit bolide anglais, le virage manqué, l'accident, la douleur, la mort.

Trois voix racontent la même histoire, d'une écriture élégante qui recourt parfois à des facilités telles que des jeux de mots un peu inutiles, trois voix qui expriment le chagrin d'amours difficiles, impossibles, d'espoirs nourris puis déçus et quand enfin celui qui détient la clé est prêt à s'engager, quand Mathieu fait enfin son choix, c'est la rupture définitive avec l'espoir.

Le texte est parfois bouleversant mais les points de vue un peu trop similaires et le sujet aura peut-être du mal à trouver ses lecteurs. C'est un premier roman empli de sincérité et de sensibilité. de ce point de vue, il est prometteur. A charge cependant que les thèmes abordés ne soient pas systématiquement ceux de l'homosexualité et de l'amour impossible.


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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
MATHIEU
Je suis l’homme qui a tout perdu. L’homme qui a
échoué. Je suis l’homme échoué. Faut-il que je me lève? Faut-il que j’affronte dorénavant chaque nouvelle journée pesante et prétende qu’elle m’est supportable?
J’ai tant fait semblant. Tant fui la vérité. Et voilà qu’elle me rattrape, me traque, me détraque. Je suis l’homme à qui l’on a tout donné. L’homme abandonné. Je suis terrifié. Je t’ai perdu Xavier. Je suis désolé.
J’avais tout imaginé. Craint le pire. Mais jamais je n’aurais pu imaginer te perdre comme ça. Depuis le coup de fil de cet imbécile de gendarme, je n’ai pas fermé l’œil une seule seconde. Impossible de trouver le sommeil. Je
ne suis bon qu’à ressasser tout ce que j’ai raté, toutes les chances que je n’ai pas su saisir. Toutes les fois où la perspective d’un énième mensonge m’a privé de toi. Car ce sont bien mes mensonges qui m’ont privé de toi. Et
l’imbécile, c’est moi. Un imbécile malheureux.

2
Ma mère, économe en tout, avait pour habitude de me dire que j’avais presque trop d’amour à donner. L’axiome me semblait incongru. Je ne voyais pas bien à quelle réserve naturelle de sentiments elle faisait référence. Mais je n’ai
jamais douté de ma capacité à aimer. Elle a toujours été là, vivante, brûlante. Pour quelle raison aurais-je soudain dû m’économiser ? Mettre de côté pour plus tard ? Tout cela relevait d’un postulat par trop comptable. On aime
et puis on verra bien où cela nous mène. On ne peut pas toujours parier sur l’avenir. On se met à nu et, quand vient le moment de se rhabiller, on rassemble gauchement ses oripeaux, on compte ses abattis. On s’échappe et on se reconstruit comme on peut. Du plus loin que je me souvienne, j’ai très tôt vu les obstacles et les chicanes fondre sur moi. Mais j’étais décidé à ne pas me laisser décourager. Au sortir d’une enfance ordinaire, ni douloureuse, ni tout à fait épanouie, je me suis composé un personnage d’adolescent mystérieux et discret. Je crois
avoir vite compris que mon adolescence ne serait qu’un brouillon de l’âge adulte dont j’observais à la loupe les quelques spécimens que j’avais sous les yeux : mon père, ma mère, leur cercle d’amis, mes oncles et mes tantes, les
voisins. Je ne cherchais pas à les imiter, mais je ne voyais pas non plus l’intérêt de les contrarier pour le plaisir ou de me faire remarquer pour de mauvaises raisons.
Je n’y mettais pas plus d’enjeux que ça. Pour l’essentiel, j’attendais que cette période ingrate se passe d’elle-même, sans laisser trop de séquelles, de traumatismes ou de mauvais souvenirs. J’ai dû commettre un ou deux actes
de bravoure, mais davantage pour prouver que j’étais un enfant puis un adolescent comme un autre. Je connaissais le terrain de jeu, ses règles. Mes parents les avaient très tôt explicitées, détaillant les pénalités encourues. Je gardais donc l’essentiel pour moi. Ce que j’ai, plus tard, identifié comme une forme de trouble originel. Le tableau était presque parfait, et j’avais le sentiment d’accomplir un sans-faute. Je respectais les consignes, mettais une
énergie considérable à faire mien le protocole, à ne pas décevoir, à me rendre utile, à occuper une place. C’est seulement le soir, regagnant ma chambre bien rangée puis me glissant sous les draps, que je sentais mon corps se relâcher et m’échapper. J’avais alors l’impression d’être
dépossédé de mes résolutions, de tout ce qui rendait ma vie domptable et prévisible. Comme si un changement de garde s’opérait et que, profitant de ce moment d’inattention, un petit malin prenait les rênes pour me soumettre
au supplice ou, plus exactement, à la tentation.
Je venais d’avoir 17 ans. C’était un soir de printemps.
Une famille avait emménagé dans la maison d’à côté peu de temps auparavant, une petite meulière dont le pignon tutoyait la fenêtre de ma chambre. Mathilde et Paul M., la quarantaine comme mes parents, et Stéphanie, leur fille unique, vinrent se présenter. Restés sur le pas de la porte, ils étaient les premiers intimidés par cette visite qui trahissait l’envie maladroite et trop manifeste de sympathiser avec leurs nouveaux voisins. Un peu pris au dépourvu par cette initiative, mes parents firent leur possible pour ne pas accueillir les M. trop fraîchement.
Je m’efforçais quant à moi de donner une raison d’être au timide sourire de Stéphanie, que l’on avait traînée là malgré elle. Mais pourquoi est-ce son père que je ne pouvais quitter des yeux ? Et pourquoi la vision de cet homme me nouait-elle ainsi l’estomac? Qu’était-il en train de se passer? Ce rire nerveux et ces picotements dans les mains. Cette envie de prendre mes jambes à
mon cou, de détaler comme un lapin. Et pour aller où d’abord? J’ignore ce que je laissais deviner de mon trouble, mais je crois qu’il ne me quitta plus. Cet homme, par sa simple présence, me faisait changer de comportement de manière incompréhensible. Irrationnelle. Et
je ne parvenais pas à savoir si tout cela procédait d’une quelconque hostilité ou d’autre chose, une gêne.
Fils unique, j’avais très tôt appréhendé les adultes sans le filtre d’un frère cadet ou d’une sœur aînée qui vous cantonne à la table des petits. Personne ne se préoccupait de savoir si je m’ennuyais ou s’il était pertinent que mes
oreilles traînent trop près des conversations lors des repas de famille ou des apéritifs décontractés entre voisins.
On baissait juste la voix de temps en temps, quand elles prenaient un tour grave ou grivois. Les adultes qui m’avaient vu grandir et que j’avais vu vieillir faisaient donc partie de mon environnement naturel. Je ne comprenais pas pourquoi Paul M. ne s’inscrivait pas dans ce paysage.
Quelque chose coinçait. Il n’était ni un modèle, ni un repère, alors qu’était-il ? Un soir que je me caressais dans ma chambre, la réponse s’est imposée d’elle-même.
En général, je montais me coucher après le journal télévisé, sauf le mardi et le samedi soir où j’avais le droit de regarder le film avec mes parents. J’étais censé réviser ou lire un peu avant l’extinction des feux à 22 heures.
Ma mère ne montait jamais avant la fin du film. Cela me laissait le temps de me masturber une, deux, voire trois fois les bons soirs. J’avais sacrifié une paire de chaussettes dans laquelle je me vidais les couilles. Je n’aimais pas trop
la sensation du sperme chaud sur mon ventre. Je les roulais ensuite en boule sous mon lit, où régnait un bazar suffisant pour que j’estime mon secret bien gardé. Le lendemain matin, les chaussettes étaient un peu raides et j’étais
sans doute le seul à ne pas remarquer l’odeur âcre qu’elles dégageaient dans toute la chambre. Mais ma mère ne m’a jamais fait la moindre réflexion. Au début, je venais très
vite, sans même avoir besoin de fermer les yeux. Puis des images commencèrent à apparaître. Un visage bientôt. Un corps. Un soir, j’ai installé ma chaise de bureau devant la fenêtre, et là, les yeux braqués sur la salle de bains de la maison d’à côté, j’ai attendu. J’ai attendu qu’apparaisse Paul M. Tapi dans le noir, soustrait à tout jugement extérieur, je me suis préparé au seul spectacle qui valait toutes les soirées télé. La vision de cet homme de 40 ans, nu dans sa salle de bains avant d’enfiler ce pyjama qu’un
jour, le cœur tambourinant dans ma poitrine, je finirais par aller décrocher du fil à linge. Sans doute un dimanche après-midi qu’un match de foot ou un grand prix de Formule 1 avait vidé le quartier, hommes vautrés dans leur canapé, femmes courbées sur leur planche à repasser.
Était-ce pour me racheter à mes propres yeux que je me mis ensuite en tête de séduire sa fille Stéphanie? Ou me rapprocher de celui dont j’enfilais désormais le pyjama et en frottais l’étoffe contre mon sexe, les yeux collés au
carreau ? Je me souviens seulement que Paul accueillit cette idylle adolescente avec résignation et bienveillance, voyant en moi un garçon sérieux, mature et responsable.
Ce petit jeu dura un été je crois. J’avais 17 ans et je laissais déjà une indicible schizophrénie s’emparer de moi.
Stéphanie et moi passions nos après-midi à errer dans les rues toutes identiques de notre petite ville de banlieue, parfois en compagnie d’autres filles ou garçons de notre âge. Sans but mais sans vraiment ressentir l’ennui pour
autant. Elle était belle comme un cœur, douce, sereine, drôle. J’aurais voulu être amoureux. Être à la hauteur.
Je serrais sa main, sa taille ou son épaule comme si ma vie en dépendait. Comme si quelque chose allait forcément finir par se passer, comme si ma détermination allait payer, congédier mes mauvaises pensées. Je me dégoûtais. Je haïssais ce simulacre auquel je ne voyais aucune issue. La journée, je parvenais par je ne sais quel miracle à ne pas me laisser gagner par la vision nocturne de son père nu dans leur salle de bains, à la lumière d’un
tube fluorescent qui rendait sans doute sa peau un peu plus blanche qu’elle ne l’était en vérité. Mais, le soir, rendu à l’intimité de ma chambre, c’est bien à lui que je pensais, et son corps que j’explorais dans ce demi-sommeil honteux et douloureux.
À la fin de l’été, le père de Stéphanie est passé à la maison un soir. Je bouquinais dans un coin du salon. Je ne l’ai pas entendu sonner. Et il était là, dans l’entrée, face à ma mère. Il souriait, un peu décoiffé je crois. D’un geste maladroit et levant les yeux au ciel, maman m’a fait signe d’ôter le casque que j’avais sur les oreilles :
— Paul, enfin, Monsieur M. est gentiment venu t’inviter à partir en week-end avec eux en Bretagne. Cela te fera du bien de voir la mer avant la rentrée des classes.
Ça te dit mon grand ?
— Si ça me dit ? Plutôt deux fois qu’une ! Merci,
c’est trop gentil ! Stéphanie est au courant ?
— Évidemment, gros nigaud ! Mais c’est une idée de Monsieur M., tu peux donc le remercier en effet. Il ne va pas vous déranger au moins, vous êtes sûr ?
— Non, au contraire, ça nous fait plaisir. C’est un bon gars votre fils, vous savez. Et puis, c’est seulement
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... Tu ne peux pas tomber éperdument amoureuse d'un garçon décérébré mais avec un corps de rêve et, la semaine d'après, lui faire la gueule parce qu'il passe son temps libre entre le stade et la retransmission de matchs à la télé ! Tout ça c'est couru d'avance.

... Tu veux qu'il devienne une version améliorée de lui-même, parce que tu ne comprends rien à la VO, parce que tu ne veux pas faire l'effort de lire les sous-titres. Si tu veux un mec qui s'occupe de toi ... ne va pas t'imaginer que tu peux choisir n'importe quel mec bien foutu...
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Avant de devenir une femme insatisfaite je fus d'abord une enfant modèle, puis une étudiante accomplie. J'ignore dans quelle mesure une étape à influencé l'autre. Et je ne suis pas certaine que l’on puisse parler ici de réussite. Cela ressemble davantage à une longue série de sacrifices et de désillusions. Pas mal d’amitiés laissées sur le bas-côté aussi. p. 184
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Pour peu enviable que soit mon sort à présent, je te plains de toutes mes forces. Tu vas devoir continuer à vivre dans ton bel appartement bourgeois, avec ta femme délicieusement dépressive, tes week-ends sur l’île de Ré chez tes beaux-parents, tes déjeuners professionnels interminables, tes rares soirées «entre mecs». Toutes ces obligations qui scandaient ta vie et te tenaient par là même éloigné de moi avec une cruauté métronomique. Tout ce qui rendait au reste du monde ton existence respectable et bien rangée. Cet emploi du temps, tu vas désormais devoir continuer à le respecter comme si tu avais toujours tout, alors que toi et moi savons que tu as tout perdu. p. 92
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Après avoir pris possession de tout l'espace, après l'avoir annexé pendant dix-huit ans, notre enfant nous le restituait du jour au lendemain, comme une scène de théâtre sur laquelle plus aucun acteur n'osait monter de peur d'y oublier son texte. Son absence trônait au milieu de chaque pièce, arrogante, indéboulonnable, fière de son œuvre. Tout était à reconstruire : le volume sonore, le rythme de nos soirées, le samedi matin, la chambre vacante.
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Vidéo de Jérôme Aumont
Jérôme Aumont vous présente son ouvrage "Un empêchement". Parution le 17 août 2023 aux éditions Bourgois. Rentrée littéraire automne 2023.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2882067/jerome-aumont-un-empechement
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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