Nous étions libérés. Dans les rues, les enfants chantaient :
Nous ne les reverrons plus
C'est fini, ils sont foutus.
Et je me répétais: c'est fini, c'est fini.
C'est fini: tout commence, Walberg l'ami américain des Leiris, nous promena en jeep dans la banlieue: c'était la première fois depuis des années que je roulais en auto.
...ils (les livres) montraient de quelle manière consternante la morale, l'éducation, le style de vie, la science, les sentiments s'en étaient trouvés transformés. Ce pays, naguère épris d'individualisme et qui encore aujourd'hui traitait avec mépris les chinois de "peuple de fourmis", était devenu un peuple de moutons; brimant, en soi et chez les autres, toute originalité, refusant la critique , mesurant la valeur au succès, il n'ouvrait d'autre chemin à la liberté que la révolte anarchique : ainsi s'expliquait la dépravation de la jeunesse, son recours aux drogues, ses violences imbéciles.
Certes, il restait des hommes en Amérique qui se servaient de leur yeux pour voir: ces livres mêmes et quelques autres, certains films aussi le prouvaient.
quand un homme meurt, quand pour lui le temps s'est arrêté, sa vie se caille en un seul bloc où les années se superposent et se chevauchent ; ainsi se coagulaient derrière moi en une masse indistincte tous les moments passés : joie, larmes, colère, deuil, triomphe, horreur. La guerre était finie : elle nous restait sur les bras comme un grand cadavre encombrant, et il n'y avait nulle place au monde où l'enterrer.
Quelques revues littéraires, quelques feuilles politiques presque confidentielles osaient prendre parti contre l'opinion publique. Mais la plupart des journaux de gauche avaient disparu. La Nation, New Republic ne préservaient qu'avec parcimonie quelque indépendance d'esprit.
Le New yorker était devenu aussi bien pensant que Partisan Repiew.
Depuis la guerre de Corée, mon aversion pour l'Amérique n'avait pas diminué.
La ségrégation était combattue par le gouvernement avec une relative vigueur, une grande partie de la nation la refusait, l'industrialisation du Sud la vouait à disparaître ; elle n'en avait pas moins entraîné ces dernières années des scandales bouleversants : l'execution de Mac Gee; le lynchage d'Emmet Till, accusé à quatorze ans, sans preuve, d'avoir violé une Blanche, et l'acquittement de ses assassins; les violences commises en Alabama contre les étudiants de couleur qui voulaient se mêler aux Blancs; et en dehors de ces éclats, je savais ce qu'elle impliquait, aujourd'hui comme hier.
Mes mémoires m'absorbaient moins que mon étude sur la Chine, je lus davantage. Des amis me prêtèrent des ouvrages, dont les conclusions convergeaient, où des américains analysaient leur société:
- The lonely crowd de Riesman, les essais de Wright Mills, The organisation man de Whyte, the Exurbanist de Spectorky. Ils décrivaient, dans ses causes et ses conséquences, ce conformisme qui m'avait déçue en 47 et qui n'avait fait que s'accentuer.
L'Amérique, devenue essentiellement une société de consommation, avait passé de l'intéro-conditionnement puritain à l'extéro-conditionnement qui donne pour règle à chacun non son propre jugement, mais la conduite d'autrui;
Vous connaissez Simone de Beauvoir, mais peut-être pas sa soeur Hélène. Pourtant, cette artiste peintre s'est elle aussi engagée pour la cause des femmes.
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