Emportée dès la première page sur ce plateau de Lozère par le talent d'écriture de
Laurence Biberfeld, pianiste extrême des mots, jouant d'eux dans des accords qui nous kidnappent toutes affaires cessantes.
Inventivité des images, choix redoutable des adjectifs , tout cela sans l'impression de labeur mais au contraire d'une intense évidence ; les phrases semblent exister depuis toujours , avoir toujours dû exister comme telles, exhumées pantelantes des sentiers ancestraux de Lozère. On les relit plus lentement pour le plaisir, envie de les dire à voix haute pour mieux en sentir la rotondité.
Elle achève nos dernières résistances par une ambiance à la Frank Bouysse, qui nous téléguide vers le fin fond du plateau de la Margeride, avec ses autochtones tous plus AOC les uns que les autres.
On sent à merveille une jubilation d'auteur, de quelqu'un qui se plaît à tripoter les mots, les chausser jusqu'à trouver celui qui portera le mieux l'image qui ondule dans sa tête à la recherche de son incarnation.
Une connexion lecteur-écrivain qui profite aux personnages ; mais bien sûr ! on les connaît, revenus d'il y a peu, quand la plupart d'entre nous avions des ancêtres les pieds dans la tourbe, la glaise, le varech, et tous sens en alerte à surveiller les vents, les neiges, la vague, décomposant leurs mille nuances pour en extraire leur survie. Personnages de paysans, intubés aux éléments naturels, avec des mains « qui ressemblent plus à des outils », des perceptions archaïques et surdéveloppées, collectant des micro-informations essentielles qui nous échapperaient totalement.
Neige qui tombe, ne tombe plus, se retient de tomber, puis recouvre tout, se déversant du ciel « qui fait ventre ». La neige , personnage protéiforme, divinité terrestre, dotée d'un lexique mûri par des milliers d'années d'observation vissée au ciel, comme sous d'autres cieux un marin vous parlerait des vagues et des nuages, cheminant étroitement enlacés et décidant de sa vie.
Ça me fait mal, mais j'ouvre quand même un tout petit cahier de doléances : l'intrigue polar fourvoie pour moi ce magnifique récit, avec quelques précipitations, certaines incongruités, qui ankylosent le rythme majestueux de l'histoire. Les ficelles font grosses, un peu apprenti 1ère année en CAP boucherie, boudinant le rôti qui s'indigne et se récrie sous l'affront. Ça frise la comédie policière, style « les barbouzes » de Lautner. Pas grave !
C'est un aparté qui n'enlève rien à mes yeux de la puissance et beauté du texte, comme on apprécie jusqu'aux défauts de ceux qu'on aime.
Oui car on s'est régalé de pied en cap, on a bu du petit lait, ou du lait ribot (ça rafraîchit et ça picote), on s'endormirait sous la neige, ravis-bercés par ce talent qu'elle a pour cuisiner ses phrases, l'esprit qu'elle insuffle sous leur peau, et qui nous font écho d'ancestrales figures, réminiscence de solidarités oubliées.