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EAN : 9782358872454
216 pages
La manufacture de livres (12/10/2017)
3.84/5   35 notes
Résumé :
Deux jeunes filles d’une quinzaine d’années et un petit garçon aiment à s’aventurer dans une forêt du Massif Central, au bord d’un lac qui vient d’être vidé. Autour d’eux, les adultes vaquent à leur existence, égarés, tous marqués de séquelles plus ou moins vives et irréversibles. Il y a les anciens, ceux qui sont nés ici, aux abords des volcans d’Auvergne. Il y a les moins anciens, il y a les très jeunes, puis ceux qui viennent d’ailleurs. Il y a aussi ceux qui son... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Dans ce roman éblouissant, il semble que les liens de causalité, comme l'ébauche au crayon structurant un tableau, aient été effacés, mais que leur architecture subsiste. L'écriture s'évertue à rendre au plus près la substance, la matière des faits et des êtres. Chaque personnage est comme une abeille aveugle dans un essaim, le membre involontaire d'un fonctionnement collectif fou. Certains y prospèrent, d'autres y sont détruits, digérés, annulés, et le seul point commun qu'ils semblent avoir est leur ignorance de cette logique dans laquelle ils sont pris comme des moucherons dans une gélatine.
Il y a Bébé, le grand-père, un monstre ordinaire qui écrit sa propre histoire et en vit, en sous-marin de sa propre vie, une autre moins avouable, qui s'autodétruit au fur et à mesure qu'elle se tisse, ne laissant de traces que sur les autres.
Il y a la jeune Roberto, déterminée au plus haut point, se dirigeant inexorablement vers la réalité objective de son existence : rien.
Il y a l'émouvante Ouafa, la seule finalement à n'être pas qu'un rouage anonyme d'une machine aveugle, la seule à faire preuve d'une volonté propre, laquelle ne peut être que de résistance.
Il y a Oé, le type même de l'élément défectueux à éliminer.
Et puis les autres, et les arbres, et les villages engloutis, les livres enterrés comme des morts promis à renaissance, et l'écriture incroyable qui fait de ce bric-à-brac un tout, déterminé par l'incohérence et la cruauté, mais aussi la beauté. On ne peut détailler toutes ces trajectoires mais elles ont toutes, même la plus infime, une existence indispensable à la cohérence générale. (...)
Restent la beauté de l'amitié entre les trois enfants maudits, chacun à sa manière. Reste aussi la beauté étonnante d'une écriture qui pourtant ne cesse de racler et renâcler, évitant toute quête esthétique, sautant stylistiquement du coq à l'âne et mâtinant un vocabulaire simple et précis voire trivial à une syntaxe sophistiquée. Et cette écriture est bouleversante malgré sa sécheresse calculée, elle génère des vagues d'émotion et d'émerveillement. (...)
Et pour encore citer Séverine (parlant de l'arrivée de Ouafa dans la région où se déroule le récit), voilà ce qu'on ressent à la lire :
« Ce fut une perfusion prodigieuse.
Un éblouissement. »
Lonnie dans Double Marge (Extrait)
Lien : https://doublemarge.com/les-..
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Il aurait dû y avoir trois corps, ce matin-là, quand l'employé de la chambre funéraire entra. Deux vieux et une jeune. Micheline Broume, dite Roberto. Il ne savait pas pourquoi on l'avait surnommé ainsi. Un prénom d'homme. Il savait simplement qu'elle était la fille de Lipo, la petite-fille de Bébé. Il la voyait passer, parfois, sur sa mobylette orange, walkman sur les oreilles. L'employé savait qu'un touriste l'avait retrouvée pendue au viaduc, en aval du barrage. Pendue, sa robe orange volant au gré du vent... Ce fut la même nuit que disparurent les bêtes. Alors ça fit causer. Au café, dans les champs, à l'épicerie. Même si ces deux disparitions n'avaient aucun lien. On pensait surtout à Lipo, à Bébé. Comment faire le deuil d'une enfant dont le corps n'était plus ?

Un petit village au coeur du massif central. Ses habitants qui se connaissent tous. Lipo et sa fille, Roberto. Fortuna, étranger venu s'installer ici dont tous se méfient. Ouafa et Oé, les deux amis de Roberto. Mais il y a aussi des secrets, des rancoeurs, des douleurs, des désillusions, des rêves déchus, des envolées, des pleurs, des drames, de la misère, aussi bien affective que sociale, de l'insouciance, un été trop chaud et du rien, du vide. Un vide que l'on comble comme l'on peut. Au coeur de ce paysage coupé du monde, asséché, déboisé, Séverine Chevalier nous offre un roman âpre, profondément noir et envoûtant. La justesse des mots, ciselés, pesés, et la prose presque lyrique apportent tout à la fois lumière et ombre.
Un roman écorché, rugueux, empreint d'une émouvante fragilité...
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Il y a les histoires qu'on raconte, tout ourlées  de fil blanc, tissées serré,  rebrodées d'images et avec une fin finement ouvragée, une fin qu'on a senti venir de loin et qui s'esquisse dès les premières lignes, avec ce petit fil d'or qui en surligne finement les occurrences et en prépare l'apothéose.

On appelle ça une chute.

La Chute, c'est l'Aboutissement de l'Histoire:  elle en éclaire le sens, en délivre l'énigme au lecteur reconnaissant, comme un bonbon à l'enfant sage, comme un bon point au bon élève.

Et puis il y a des histoires comme celle des Mauvaises.

Des histoires  tues, des histoires muettes, des histoires sans nom, des histoires sans mots. Des qu'on enterre, des qu'on oublie.

Des qui restent en suspens.

Suspendues à un fil, comme la pauvre Roberto, petite coiffeuse aux mains ravagées par les produits capillaires, petite funambule en robe orange,  privée de fil, petite-fille abusée, désabusée d'affection, petite enfant abandonnée par une maman éphémère.

Il y a des histoires qui pianotent, en avant,  en arrière,  sur le clavier du 11 août 1988, comme une mélodie qui se cherche, cherche son début, sa fin.

Cherche ses points d'accroche: Ouafa, Oé, Fortuna, les amis aux solitudes jumelles... Ses points d'anicroche: Bébé, pervers pépère, Natacha que rien n'attacha....

Sa chute.
 
Mais non: pas de chute quand on n'arrive pas à  coudre ensemble les pièces de l'histoire.

Reste un patchwork impressio-triste, un concerto en corde mineur, un poème pour fille seule.

Reste une ode à  toutes les solitudes sans mots, à  toutes les histoires sans chute et qui n'en finissent pas de tomber, pourtant, comme les pétales et les feuilles dans l'eau noire des lacs volcaniques, ou sur la terre âpre où les animaux, les enfants fous, les misérables et les Mauvaises n'en finissent pas de crier leur plainte sans paroles.

Les mauvaises histoires font des livres inoubliables, sous la plume enchantée de Severine Chevalier.

Merci à toi, Ziliz, patiente découvreuse de trésors silencieux!
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Petite silhouette orange, elle se balance au bout d'une corde, sous le viaduc désaffecté. Une mobylette est garée pas très loin, orange aussi...

Cette histoire sombre est tissée de trous et de fils.

Les trous : des volcans d'Auvergne, des cratères, un lac artificiel vidé, des fosses préparées pour des morts, des parents absents, des mains crevassées, des coeurs perforés, des manques affectifs, des amnésies, des disparitions, l'exode rural...
Avec ces trous : des chutes (on s'en relève, ou pas).
Mais aussi des choses enfouies, enterrées dedans ou dessous.

Les fils : un câble de funambule, une corde de pendu(e), un viaduc qui surplombe le gouffre et relie les rives, des ficelles tendues entre des branches d'arbres, un bout de laine pour tenir un ami par la main, des traces blanches d'avions dans le ciel, un chemin de fer, des élastiques...
Les fils sont emmêlés ou détruits, les repères brouillés, les rôles parfois inversés - quand, par exemple, 'Bébé', c'est le grand-père (un grand-père qui n'a jamais appris les codes familiaux ?).


Je ne suis plus tentée par les romans dits 'du terroir'. J'en ai trop consommé dans les années 80-90's, peut-être.
Les descriptions de paysages, végétaux & animaux me lassent vite. Je n'ai rien contre l'idée de communion avec la nature, mais je préfère pour cela la vraie vie au nature-writing, où le rythme est souvent lent et centré sur des sujets qui m'ennuient (chevaux, bétail, pêche, chasse...).

Ce roman de Séverine Chevalier m'a immédiatement séduite.
La plume est sensible et visuelle, 'à l'os', sans chichis, sans métaphores éculées, sans termes vaporeux rebattus.
Ce style très personnel est 'sauvage', sincère, et j'imagine un long travail de réécriture (ou un immense talent spontané) pour parvenir à un tel raffinement, à cette simplicité apparente, que j'admire et envie.
Du diamant brut, totalement en phase avec l'histoire noire de Roberto et de ses proches.

Tout mérite qu'on lise soigneusement, lentement, et même qu'on s'arrête (les images, les détails, les mots et leur agencement sur la page), et tout m'a éblouie, jusqu'aux noms/surnoms des personnages et animaux.
Tout, sauf la fin. Qui ne m'a pas déplu, mais déroutée - la forme des derniers chapitres, et peut-être aussi le final abrupt.

Pour tout le reste, je recommande ce roman, grandiose !
Et je vais m'empresser de découvrir les deux autres de cette auteur qui, paraît-il, change de registre à chaque fois.

____

♪♫ https://www.youtube.com/watch?v=jbaKcxTW7A8
(mentionné p. 159)
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La forêt, le lac, le barrage : autant de terrains de jeu et d'évasion pour Roberto, Oé et Ouafa, adolescents de cette terre qui fut autrefois celle des volcans. Un petit monde parallèle à celui de Natacha, Bébé, Fortuna, Vincent, Jean-Guy ou Athel, les adultes fixés ici depuis toujours ou échoués par les hasards de la vie.

Tout ce microcosme cohabite plutôt bien. Apparemment. Jusqu'à ce que le corps d'une des jeunes filles soit retrouvé pendu au viaduc du barrage. Puis que son corps disparaisse le lendemain de la morgue où il reposait.

Se jouant des époques et alternant les allers-et-retours temporels, Séverine Chevalier nous propose dans Les Mauvaises un roman noir atypique, brouillant à l'envie les repères du lecteur, l'étourdissant pour qu'il s'extraie de cette simple histoire de fait divers pour mieux s'abandonner à l'étude des âmes et des coeurs.

Le temps d'un livre, elle ouvre le barrage et libère les eaux, dévoilant au grand jour ce qui était jusque-là caché par tous et chacun, grand déballage qui renvoie chaque protagoniste à sa conscience et à la responsabilité de ses actes. Avant de tout remettre en eau pour passer à autre chose. Car il faut bien continuer à vivre, même après les drames.

Comme souvent avec Séverine Chevalier, l'ensemble est intime et terriblement bouleversant ; touchant dans la mise à nu pudique des sentiments comme des petites et grandes faiblesses humaines ; violent dans tous ces questionnements qui restent sans réponses acceptables.

Les Mauvaises est d'autant plus touchant qu'il m'aura semblé être le plus personnel des livres de l'auteure, lorsqu'elle évoque le lumineux Oé et la différence, lorsqu'elle nous entraîne dans les ambiances enfumées des cafés de village ou lorsqu'elle termine le livre dans un style annonçant l'exercice quotidien désormais pratiqué sur les réseaux.

« Oé était un mystère et une ode, une joie déglinguée, une impossibilité permanente pour le monde tel qu'il était façonné ».

Et puis, il y a cette phrase qui résonne encore après ma lecture, que l'on devrait se répéter chaque matin : « Elle avait déjà compris quelque chose qu'il avait mis des années à saisir, et qui tenait au fait qu'il ne fallait surtout pas chercher l'équilibre, mais faire avec le déséquilibre, plutôt ».

Faire avec donc. Et lire. Et écrire

« Personne ne saura jamais
pour les cadavres enterrés
sous les lacs de barrage

personne ne saura jamais
qu'un peu partout enfouis
sous la terre de ce petit pays
du Centre
il y a des livres
devenant racines. »
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Les prunelles braquées comme des fusils près à dégainer sur les fous, les pas nets, les dangereux, les détritus sociaux. ( p 84) .

.
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Elle se tenait face au barrage, face aux vestiges d'un autre monde, face à la lune en forme de D, lune montante éclairant relativement bien ce paysage de fond de lac, même si tout se dégradait de noir à blanc, en passant par tous les gris.
Même s'il n'y avait plus de couleurs.
C'était très beau, presque aussi beau que ce qu'ils avaient vu sous l'orage, avec Ouafa et le petit, et qui les avait encore plus profondément liés, comme peuvent le faire entre les hommes certains lieux, certaines circonstances.
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pendant longtemps on a pas su
que sur cette terre du Centre
avant bien avant
il y avait eu des volcans

c'est drôle d'imaginer
tout ce qu'on ne sait pas
comme un volume gigantesque
un univers latent
invisible
creusant et poussant et grouillant et rampant à notre insu
au-dedans
de nous
tout ça pour finir par mourir comme les autres
au bout d'un moment

c'est quand même drôle
de se croire si libres
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Il avait passé une nuit entière à établir mentalement un programme d'entraînement, pour elle, elle se débrouillait étonnement bien pour quelqu'un qui débutait sur le fil mais il fallait encore du travail, beaucoup de travail, même si elle avait déjà compris quelque chose qu'il avait mis des années à saisir, et qui tenait au fait qu'il ne fallait surtout pas chercher l'équilibre, mais faire avec le déséquilibre, plutôt.
(p. 105)
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Son patron qui, nu et ruisselant et dans la nuit, n'était plus son patron, comme disparaissent en général la nuit tous les rôles sociaux, les apparats, ce qu'on se sent obligé d'être le jour, pour que se maintienne l'ordre des choses.
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Vidéo de Séverine Chevalier
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- Connemara, Nicolas Mathieu, Actes Sud, 22€ - Reine de cœur, Akira Mizubayashi, Gallimard, collection Blanche, 19€ - Jeannette et le crocodile, Séverine Chevalier, La Manufacture de livres, 16,90€
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