L'idée défendue dans «
Le courage de la nuance » est,comme son titre l'indique, d'oser la nuance dans un monde où il est désormais difficile de s'exprimer librement, avec nos doutes et nos contradictions.Birnbaum reprendra à plusieurs reprises la sentence d'Albert Camus qu'il fera sienne : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ».
Nous ne pouvons être que d'accord avec le constat de l'essayiste : Il est désormais difficile de débattre en public. D'un côté, on n'ose plus critiquer « ceux de son clan » et de l'autre, on charge à bout portant sur l'adversaire avec l'objectif d'enterrer l'ennemi vivant, avant même qu'il ait pu ouvrir la bouche. Il s'ensuit une polarisation des débats où les extrêmes obtiennent la parole, la rendant par le fait même homogène. L'un des objectifs du livre, il me semble, est de nous inviter à la discussion, à réinvestir le débat !
À suivre son propos, ce n'est pas parce que nous sommes d'accord avec son idée, avec son constat que l'on doit s'accorder avec tout ce qu'il affirme, au contraire. Je prends alors la balle au bond pour soulever certains questionnements qui me sont apparus lors de cette lecture, somme toute très bien menée, agréable lors de la lecture. D'abord, nous pouvons nous questionner sur le choix des auteurs présentés, grandes figures d'intellectuels que sont Camus, Orwell, Arendt, etc. S'il est effectivement réconfortant de retrouver ces grandes figures, il me semble que la prise de risque (le courage!) aurait pu être plus grande afin de mieux asseoir le propos. Parler de
Woody Allen, de
Peter Handke aurait certainement donné une autre saveur à la nuance, l'aurait du moins porté à un autre niveau. Critiqué Camus, ou Hugo, comme l'avait fait
Calaferte dans ces carnets, voilà qui nécessite de la précision, de la nuance. En fait, j'aurais aimé connaître les auteurs, polémiques, contemporains, que l'essayiste aurait secrètement aimé présenter, ceux qui ne font pas l'unanimité, les marginaux,les nuancés (si cela est encore possible), d'aujourd'hui.
Il est vrai cependant que les propos de ces écrivains et intellectuels,à leur époque respective, n'étaient peut-être pas si évidents à tenir, mais avec les années, ces mêmes propos me semblent avoir perdu de leurs mordants. Si ce choix peut être défendu selon d'autres critères, comme celui de« recouvrer l'espoir » ce recours fait surgir une autre question, plus profonde sur notre époque. À plusieurs moments,
Jean Birnbaum relate les disputes, querelles, que ces différents auteurs ont dû essuyer, pour montrer que la nuance, ne veut pas dire effacement, dérobade, mais qu'elle est radicale à un point qu'elle peut entraîner des ruptures, des isolements, des solitudes. Les propos sont parfois virulents, parce que exigeants. Si l'on est d'accord sur le fond, à plusieurs reprises, les citations présentées dans l'essai, retirées de leur contexte, semblent parfois bien près des reproches adressés par l'auteur à la haine, ou la méfiance, qui déferlent sur les réseaux sociaux. C'est devant les énervements de Camus, de Arendt que les questionnements apparaissent : Pourquoi lorsque Barthes lance « ce film est de la merde », il y a courage, alors que lorsqu'il s'agit d'un internaute cela s'appelle de la brutalité ? Pourquoi les auteurs mobilisés, d'ailleurs, proviennent-ils tous de l'époque avant la fin des grands récits pour reprendre l'expression de
Lyotard ? Cette question en soulève une autre, plus fondamentale, il me semble, celle de l'autorité. Qui a autorité pour dire son opinion, aujourd'hui ? Qui est légitime, au moment où tous peuvent émettre leur opinion ? Il me semble que ce soit l'un des enjeux centraux que soulève les réseaux sociaux autant que les média en général. Qui a autorité lorsque tous ont droit à la parole ? C'est cette question que j'aurais aimé voir formulée (et développée) par l'auteur du « courage de la nuance ».