Jean-Philippe Blondel revisite son enfance à travers son personnage Philippe Goubert et ressuscite la figure maternelle, enseignante en petite section et directrice, sous les traits de Michèle Goubert. Une scolarité, années 70, dans une ville de province, facile à identifier pour les lecteurs fidèles à cet écrivain apprécié.
Le récit qui met en scène Philippe, gosse de dix ans, dans une position très périlleuse, débute par un insoutenable suspense comme un « cliff-hanger ». De la graine de « Sylvain Tesson », cet adepte de stégophilie !
On suit ce gosse dans son quotidien : l'élève, le fils, et le copain au sein de sa bande.
Le portrait s'étoffe : empoté, gaucher, et surtout enfant non désiré, la mère aurait souhaité une fille. Une blessure pour le môme et des moments de solitude.
La bande de gamins, que d'aucuns nomment « vauriens » est dépeinte dans leurs jeux : construction de leur cabane refuge ; plus dangereux, car flirtant avec la mort, leurs défis de traverser la voie ferrée juste avant le passage du train (sorte de bizutage). « Çà rit, bouillonne, éructe, crie, se bat, méprise le danger et les trouillards ». Leur hiérarchie est décryptée ainsi que l'évolution de leurs liens. Disputes, délitement de ce « groupe solaire » qu'ils ont formé. Ils grandissent et s'émancipent. Toutefois, devant l'épreuve qui les aura mûris, ils vont se ressouder, s'épauler et « adresser un adieu silencieux à l'enfance ».
L'habitat est quasi un huis clos, puisque les familles d'enseignants ont droit à des logements de fonction. de construction ancienne, le couloir menait à chacune des pièces, mais pas de communication entre elles, fait remarquer l'auteur.
Quand en plus l'appartement donne sur les trois cours, cela constitue un poste de vigie idéal pour Geneviève Coudrier, celle qui a tout d'une concierge et aime potiner ! Ainsi, elle va entrapercevoir, subodorer une liaison extra conjugale, espionner et pister ces faux couples.
Le grenier est aussi exploré… Lieu d'où l'on a frôlé des drames.
La cave abrite ceux désireux de se rapprocher, voire de s'étreindre. Et d'aucuns vont imaginer « des scènes torrides » transformant « le groupe scolaire en lupanar » !
Une galerie interminable de personnages défile : factotum, directeurs,directrice, inspecteurs, familles d'enseignants, élèves, mères d'élèves, dans le même périmètre.
On croise des êtres charismatiques, des autoritaires (façon militaire), des enseignants « vieille école » à la main leste : « touffes de cheveux arrachées, gifles retentissantes, et même « une crème, ce Lespinasse, toujours obéissant, voire servile ».
D'autres, comme Florimont, sont conquis par la méthode Freinet qui va révolutionner l'apprentissage. Avec lui, plus d'autonomie laissée aux élèves.
La dame de service,Reine Esposito, source de scandale, ne passe pas inaperçue. Tout le quartier est alerté et le lecteur est de nouveau dans l'expectative.
L'auteur portraitiste croque aussi les passagers de « l'Arbalète » que côtoie Geneviève Coudrier désireuse de confondre des amants clandestins.
Le récit prend une allure cinématographique quand on est témoin de ce qui se passe dans ce train ! La camera zoome sur les protagonistes d'un wagon à l'autre, suit leurs déplacements et leurs regards ! Alors qu'ils ignoraient leur présence dans ce train, ils se retrouvent tous les 4 au bar à deviser. On les imagine mal à l'aise, car ils n'avaient pas prévu ce scénario. Comique de situations.
Avec ironie, l'auteur effectue un arrêt image sur la « grosse dame qui parcourt son Télé 7 Jours comme si c'était un Prix Goncourt » !
Certains personnages se découvrent sous une différente facette à travers d'autres regards.
Jean-Philippe Blondel qui connaît bien le milieu de l'Éducation Nationale rend hommage dans ce roman au personnel enseignant, en particulier aux « institutrices dévouées, travailleuses acharnées, infatigables, correctrices, passeuses de savoir.. »
Il ne manque pas d'évoquer la fête de l'école : « c'est toute une alchimie, la réussite » d'une telle manifestation. Il rappelle le moment où la mixité fut introduite dans les classes.
Le romancier prof aborde l'éducation et le rapport maître/élève, enfants / parents, époque où la gifle et la fessée n'étaient pas bannies par la loi. Les magazines traitent d'ailleurs, à la veille de la rentrée d'un sujet récurrent : quel prof ou instit a changé votre vie ? Ne font -ils pas naître des vocations ? On constate ici la mue de Philippe Goubert : « moins craintif, plus déterminé ». Toutefois, faute d'oser se confier à son maître, il choisira, curieusement, en guise de journal intime pour s'épancher...un agenda. Car le besoin de raconter, de retranscrire les récits des autres est en germe !
Julien, lui, est « devenu le meilleur en anglais » pour plaire à sa prof qu'il dévorait des yeux parce « qu'elle représentait l'Angleterre pour lui » !
le récit interroge sur la transmission et la paternité. Que lègue-t-on à ses enfants ?
La perte d'un enfant et la douleur incommensurable sont évoquées.
Le chapitre au titre prémonitoire « La fête est finie » annonce l'épilogue dramatique. Poignant soliloque intérieur qui prend le lecteur de court et montre comment les allégations, les rumeurs peuvent détruire un individu. Un thème abordé dans Un hiver à Paris. le scandale qui a éclaboussé Lorrain serait-il à l'origine de cette tragédie ?
Avec le recul, l'écrivain porte son regard féministe sur le statut des femmes à cette époque. Ne leur demandait-on pas d'être bonne cuisinière, de savoir repasser pour retenir un homme ?! Il explore les couples légitimes (qui battent de l'aile) ou non : « un couple, c'est un homme et une femme qui se rencontrent charnellement parce que c'est important de se reproduire, et qui vivent ensuite en bonne intelligence, en respectant chacun la liberté de l'autre ». Il révèle des idylles naissantes entre partenaires mariés d'où la culpabilité de l'adultère, des escapades clandestines qui tournent au fiasco! Et les mensonges pour couvrir ces aventures.
Il souligne la violence verbale de certains maris au sein de couples mal assortis.
Le romancier énumère au fil des pages tout ce qui change : l'abaissement de la majorité à 18 ans, la succession des hommes politiques ( Giscard, Barre), l'obligation de boucler sa ceinture (« les accidents de voiture deviennent un fléau national »), on chante Bob Dylan, on danse sur Boney M( rires : « pourquoi pas sur Bonnet C »!). L'anglais fait sa percée, envahit les ondes et même la fête de l'école ! « Ces satanés Yankees vont bientôt coloniser notre langue » !
C'est l'époque où l'on roule en : 403, 204, 2CV, où le magasin de la ville non citée Les élégantes avait pignon sur rue, ainsi que la grande librairie de la Rue Emile Zola !
Il ressuscite le train mythique « L'Arbalète » qui menait à Paris, dont la voiture 4 était un wagon -restaurant. le romancier aubois évoque le lac de la forêt d'Orient censé « jouer le rôle de régulateur de la Seine », la réhabilitation du centre-ville, la transformation « des ruelles noires et sales en patrimoine médiéval ».
Il montre comment le refus d'un de ses textes a conduit Philippe Goudert à se remettre en cause, à prendre conscience de ses défauts et a forgé sa persévérance.
Nombreux sont les auteurs qui se sont vus refuser leurs premiers manuscrits.
D'ailleurs Jean-Philippe Blondel a déjà évoqué cette situation à ses débuts.
A noter qu'ils sont rares les écrivains qui consignent en fin de leur ouvrage une table avec titres de chapitres, si appréciable.
Jean-Philippe Blondel signe un roman aux accents autobiographiques dans lequel il déroule une fresque de la société post 68 si détaillée que maints lecteurs se souviendront avec émotion de leurs propres parcours au sein de ces bouleversements.
Il radiographie le microcosme enseignant avec beaucoup de justesse.
Un récit en partie choral, qui dresse les vicissitudes à surmonter dans une carrière, avec une once de nostalgie, un zeste d'humour. Sa plume quelque peu malicieuse fait mouche ! Une trilogie est annoncée, on s'en réjouit déjà !
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