Cet ouvrage, peu connu, au titre iconoclaste, constitué d'une série d'articles que Bloy avait fait paraître dans la revue le Chat noir en 1884, marque les débuts littéraires de cet auteur.
Mais pourquoi le lire aujourd'hui ? Voici mes raisons ; elles m'ont poussé à écrire ce billet.
● Les textes de ce livre sont d'une violence pamphlétaire rarement vue, sauf peut-être, mais dans un genre tout à fait différent, plus populiste, plus libertin, plus licencieux, dans les libelles et pamphlets sur
Marie- Antoinette.
Pour atteindre une telle intensité, pour manifester une colère offensive si constante, Bloy a recours à une écriture d'une force inouïe. Et ça, j'adore !
● Pour les amoureux, comme moi- de la langue française c'est un vrai plaisir de lire cet écrivain au style flamboyant et provocateur, qui excelle dans l'art du portrait en charge, saisissant d'un trait de plume virulent les traits les plus marquants du sujet -un écrivain le plus souvent- pour le présenter de façon caricaturale et offensante.
Voyez plutôt : « M. Dumas fils n'est pas seulement un pédant… M. Dumas fils est encore et surtout un PRUDHOMME (1), mais un de ces prud'hommes immenses comme la poésie n'en invente pas. Il est l'Apollon du Belvédère, le Jupiter tonitruant de la prudhomie. La Dame aux Camélias est une mosaïque de tous les clichés d'amour, de paternité ou de repentir humainement dégorgeables en l'espace de quatre heures par une quinzaine de personnes qui n'auraient rien d'autre à faire. »
Ce livre dans son intégralité est un exemple, ô combien parlant, de la puissance littéraire et de la véhémence pamphlétaire de celui qui utilise toutes des ressources du français pour atteindre son objectif. Il le fixe d'ailleurs clairement dans son adresse au dédicataire : « (mettre de) sincères coups de botte dans le derrière maculé d'un grand nombre de mes contemporains. »
● Son identité : « Pamphlétaire !!! Sans doute que je le suis, pamphlétaire, parce que je suis forcé de l'être (…). Tout homme qui écrit pour ne rien dire est, à mes yeux, un prostitué et un misérable, et c'est à cause de cela que je suis pamphlétaire. {…] Pamphlétaire ! Ah, je suis autre chose pourtant...mais si je suis pamphlétaire, moi, je le suis par indignation et par amour ; et mes cris, je les pousse, dans mon désespoir morne sur mon idéal saccagé. » in
Belluaires et porchers.
● Il démolit, en effet, tout le monde ou presque avec comme cibles privilégiées des écrivains catholiques comme lui (il n'est pas à un paradoxe près),« la République des Jules », et« le cochon de bourgeois » qu'il abhorre et exécute sans pitié comme dans cet extrait : « Les bourgeois les plus cancéreux, les plus oxydés, les plus fangeusement égoïstes, auront toujours au fond de leurs immondes entrailles un borborygme de sensibilité quand on leur parlera de l'horrible massacre de la Saint-Barthélemy, que j'appelle moi, un acte de légitime défense et que je trouve répréhensible en ce seul point, qu'il fut déplorablement raté. »
● Il tempête, il vocifère contre tous ceux qui ont contribué à la décadence morale, sociale , religieuse de cette fin de siècle et critique de façon acerbe cette société contemporaine en pleine déliquescence, ses valeurs, ses injustices, sa tartufferie. C'est magnifique et d'une richesse verbale incomparable !
Toutefois, au-delà du pamphlétaire et de ses charges polémiques, nous avons affaire à un des prosateurs les plus sublimes de la langue, qui utilise un français des plus imagés et des plus audacieux pour exprimer ses convictions personnelles . Des écrivains comme
Bernanos ou Céline -et quelques autres- ne peuvent nier leur parenté avec l'auteur de Propos d'un entrepreneur de démolitions...et de
la femme pauvre. Puisse-t-il aussi être lu par les jeunes romanciers en herbe pour qu'ils voient l'usage que l'on peut faire de notre belle langue.
1) A ici le sens de « bourgeois médiocre et vaniteux qui aime faire des déclarations emphatiques, solennelles dont le contenu est niais et banal « CNRTL