![]() |
Le secret d'un couple réussi, c'est de ne pas confondre l'amour et le désir, me disait un jour un conseilleur intéressé. Ainsi, poursuivit-il, le désir est mauvais guide puisqu'il s'essouffle toujours, tandis que l'amour est éternel. Ceci dit, je restais circonspecte car un amour peut être éternel lorsqu'il concerne une boisson (la chartreuse) ou une expérience esthétique (un coucher de soleil sur le lac Léman) mais, dans le cadre d'une situation de couple, un amour aveugle au désir n'est-il pas une relation de prostitution non déclarée ? Un pur amour peut-il finir par susciter le désir ? Je ne le crois, car rien de sexuel ne s'érige en moi lorsque je jette une pensée tendre vers ma bouteille de chartreuse malgré tous les bienfaits qu'elle me procure. Amour éternel, désir spiritualisé, couple défiant toute concurrence – les trois assemblages de termes, ainsi ressassés par le conseiller conjugal de lui-même, commencèrent à me faire tourner la tête, ne trouvant rien là que de l'encamemberrage visant à me rendre tributaire de mots derrière lesquels ne se trouvait aucune expérience réelle. Certains y croient. On peut très vite y croire, croyez-moi. L'amour se porterait bien mieux si on ne lui demandait rien. Il s'en porterait bien mieux car on cesserait peut-être de le rendre mirobolant pour nous rendre, nous, par contrastes, pouilleux et détrempés. Oh le grand amour : tu le mérites ; non, tu ne le mérites pas ; mais pourquoi ? Que me veut-il ce putain de grand amour ? D'ailleurs, n'aimerais-je pas le découvrir enfin juste pour en être débarrassée ? Ouf, on va pouvoir passer à autre chose. Quelle fatigue, on en viendrait à regretter les jeux de quilles de notre enfance. André va bien avoir le temps de penser à toutes ces conneries maintenant que, cocufié par sa bonne femme, il s'en est retourné auprès de son ami Cyprien dont l'esprit semble plutôt libre de toute contrainte sur le plan de l'idéologie amoureuse. Pris bientôt par de nouvelles crises juponnières qui lui donnent envie de se la fourrer partout, André recommencera sa chasse à la bonnasse. Ce que l'on choisit, c'est finalement toujours ce qui nous semble plutôt bon, ou ce que l'on connaît déjà. Être choisi par l'autre ? Laissez-moi rire. Les filles, c'est de la merde, se dit André après une ou deux autres déceptions, et retournant à nouveau chez Cyprien, il découvre que celui-ci vit désormais en concubinage avec une femme qui pourrait être sa grand-mère : « Mélie — c'est le nom de ma femme — est une brave fille, […] elle a de sérieuses qualités, […] elle remplit enfin toutes les conditions d'un dernier idéal qui m'était poussé : trouver une dame, mûre, calme, dévouée, sans besoins amoureux, sans coquetterie et sans pose, une vache puissante et pacifique, en un mot ». Et le bestiau démontre ses prouesses sous l'oeil amusé de son homme et sous l'oeil ébahi de l'ami : bons plats ragoûtants, une descente laissant coite la concurrence, une indifférence totale aux idéaux du romantisme, pas garce pour un sou, pas séductrice, émue par la baise autant ou aussi peu que tout le reste. Cyprien révèle le secret d'une vie de couple réussie : à tout homme bien averti, il faut une femme simple qui facilite la vie, une femme qui attendrisse les nerfs et qui rende la sensibilité moins criarde. André finira par retrouver une bonne femme, sa bonne femme en fait, parce qu'elle ou une autre, c'est toujours pareil de toute façon. « Ce n'est pas mauvais d'être vidés comme nous le sommes, car maintenant que toutes les concessions sont faites, peut-être bien que l'éternelle bêtise de l'humanité voudra de nous, et que, semblables à nos concitoyens, nous aurons ainsi qu'eux le droit de vivre enfin respectés et stupides ! » + Lire la suite |