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EAN : 9782070371945
448 pages
Gallimard (14/05/1980)
4.13/5   86 notes
Résumé :

Publié en 1897, La Femme pauvre évoque la misérable vie de Clothilde.

Pourtant dans la plus profonde détresse, elle reste toujours animée d'un sentiment religieux, d'une grâce divine, qui lui permet d'affronter ses souffrances.

Ce roman se distingue par sa stupéfiante splendeur verbale; sa composition obéit à des lois plus poétiques que romanesques. C'est un livre à l'image même de l'auteur : déroutant, dérangeant, romantique, ... >Voir plus
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De nos jours, Léon Bloy semble être en odeur de sainteté dans l'Eglise Catholique, même au sein du Saint Siège. le pape François n'a pas hésité à citer cet écrivain à la plume de feu et au coeur résolument tourné vers le Christ et la Vierge Marie. Etrange retournement de l'histoire, surtout quand on sait que Léon Bloy avait beau adoré la religion Catholique et ses traditions, il n'en demeurait pas moins très critique envers son clergé trop superficiel dans sa foi et parfois aussi le pape (Il détestait Pie X).

La Femme pauvre est un roman admirable. Divisé en deux grandes parties, on y apprend la triste histoire de Clothilde Maréchal, fille pieuse mais tourmentée, simple mais déchue, courageuse malgré son horrible tartuffe de mère ainsi que son alcoolique de compagnon revendiquant le droit d'être son père. Celui-ci est déjà mort depuis longtemps et sa mémoire est salie par la mère de Clothilde. Vivant dans une froide misère, Clothilde est obligée de pourvoir aux besoins de sa famille, qui ne se lasse pas de lui reprocher quantité de choses. C'est finalement en étant obligé de poser nue pour un peintre que Clothilde prend enfin un autre chemin.

Pélopidas Gacougnol artiste peintre exubérant et un peu grossier au premier abord, se prend rapidement d'affection pour cette étrange pauvrette dont l'âme n'en est pas moins riche et humble. Ensemble, il rencontre Caïn Marchenoir, le héros d'un précédent roman – le Désespéré – et aussi une des incarnations de Léon Bloy. Ce brillant mais féroce catholique s'est quelque peu assagi dans ce livre, il n'en a pas perdu sa verve à parler et à se battre contre ce Monde bourgeois et mécréant. Enfin, un troisième individu de cette trinité d'âmes hautes s'invite, Léopold, véritable flibustier de l'esprit et enlumineur de profession. C'est certainement le plus violent et orageux des trois, il ne se laisse pas faire, il n'hésite à s'attaquer directement à un adversaire par un discours enflammé et véhément.

De ces trois hommes, Clothilde en trouvera sa vie véritablement changée. La pauvrette qui dormait sur un matelas moisi dans la pièce commune du logis de sa matrone de mère découvre enfin une accalmie dans sa vie d'épave. Accalmie toute relative cependant, car c'est véritablement à un feu du Logos, du verbe, du Christ et de l'art qui pénètre son âme avec une force incommensurable. Clothilde ne dédaigne pas l'éducation de ces trois hommes là, elle en ressent le besoin. Lors d'une soirée lettrée, Gacougnol invite d'autres personnages, certains très proche de leur vision de l'art et de la religion catholique : Lazare Druide (Henry de Groux dans la réalité), Bohémond de l'Isle -de -France, (il s'agit bien évidemment du comte de Villiers de l'Isle d'Adam), et d'autres beaucoup plus fantaisistes : Folentin (Huysmans, ancien ami écrivain devenu ennemi pour Bloy), Crozant (un pianiste qui se prétends hanter par les morts). Derrière cette mosaïque de portraits se cache une poésie subtile et ardente. Plusieurs moments m'ont marqué durant cette soirée, le vibrant hommage de Caïn Marchenoir envers ce Moyen-âge millénaire mystérieux et indicible ainsi que ce vieux débat sur la musique de Wagner considéré comme proche du malin selon Marchenoir et qui rappelle l'essai de Baudelaire sur la représentation de Tannhäuser à Paris il y a quelques dizaines d'années auparavant…

Ces instants de grâce, Clothilde les perdra brusquement. Sans trop en révéler sur le roman, dès la seconde partie, Clothilde retombera dans une période misérable à la suite d'un drame atroce, puis sera sauvée à nouveau par le mariage avec une âme providentielle. Ensemble, ils devront néanmoins se battre contre les affres du Monde. le malheur étant toujours un créancier très douloureux, les rares moments de bonheurs seront toujours payés par de longs hivers de souffrances. La pauvreté, l'injustice, le mépris, les drames et enfin la solitude seront les nombreux obstacles qui se dresseront sur la route de Clothilde. (Mention spéciale aux voisins « Poulot », véritables êtres infâmes de l'espèce humaine)

Ce chemin laborieux n'en reste pas moins poétique. Il y a là les plus belles pages qu'aient pu écrire Bloy. Malgré les ténèbres les plus épaisses, l'espoir à travers le Christ permet aux héros de ce roman de tenir, d'avancer. En cela, la phrase finale de Clothilde résonne comme un écho encore dans ma tête : « Il n'y a qu'une tristesse, c'est de N'ETRE PAS DES SAINTS ».
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Terminer un livre de Léon Bloy se mérite. Ma progression dans l'oeuvre a été laborieuse, mais finalement enrichissante.

L'auteur y aborde le destin d'une fille pauvre, Clotilde, que tout aurait dû pousser vers l'abîme et la perdition ; mais que sa pureté (non son innocence), sa piété mystique (sans bigoterie), et sa haute intelligence (éveillée par la fréquentation inespérée d'artistes et de grands intellectuels chrétiens) ont préservée de la médiocrité qui aurait pu être la sienne.

Cette femme a rencontré le Christ en la personne d'un évêque orthodoxe qui a vu en elle le poids de l'élection et celui du malheur. Et telle sera bien sa vie, vouée à la spiritualité, à la pauvreté, au dévouement, et soumise au chagrin et à la perte des êtres chers.

Le roman de Léon Bloy est la parabole d'une vertu chrétienne essentielle, fondamentale, indispensable : la pauvreté. La Femme, selon Bloy, personnifie la pauvreté en ce qu'elle vient au monde dénuée de pouvoir, subalterne, soumise à l'ordre social, aux caprices des hommes, dépendante. Sa liberté, elle la conquiert à travers son chemin spirituel de renoncement. La femme pauvre personnifie une des vertus évangéliques.

L'écriture de Bloy est riche, expressive, incrustée de mots rares. Il a des envolées d'érudition et des réflexions toutes simples et foudroyantes d'évidence, telles que : "Les faits sont inexorables, ils ne connaissent pas la pitié" ou "Nous sommes tous des misérables et des dévastés mais peu d'hommes sont capables de regarder leur abîme".

Le style est quelquefois boursouflé. Chez Bloy, cela devient même un charme. C'est un point commun à cette génération d'écrivains catholiques, tels J.K Huysmans ou Barbey d'Aurevilly. Leur verve est vigoureuse, crue souvent jusqu'à la truculence : dès les premières pages, à la description du père adoptif de Clotilde, ivrogne, traitre à l'âme de souteneur, on se dit que Céline n'a pas été aussi novateur qu'on l'a beaucoup répété. Et, sans surprise, Léon Bloy figure bien au Panthéon personnel de Céline, qui le découvrit pendant son séjour au Danemark.

Le risque avec cette oeuvre, serait de s'en laisser détourner par anti-catholicisme, anti-cléricalisme, par idéologie agnostique ou athée. Ce serait dommage : Bloy est un grand : indépendamment de ses idées, c'est un artiste. Si on veut goûter à l'art véritable, il faut savoir mettre de côté ses opinions et faire crédit à l'auteur des siennes, les partager le temps de la lecture. Tout artiste s'exprime par le médium qui lui est propre, il ne faut pas l'en priver, ni se priver par la même occasion d'une rencontre avec la beauté.

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Léon Bloy (1846 – 1917), est un romancier et essayiste français, polémiste célèbre. Sans trop entrer dans le détail de sa biographie, juste cet épisode marquant qui donne une bonne idée du personnage : En 1877 il perd ses parents, effectue une retraite à la Grande Trappe de Soligny, la première d'une série de vaines tentatives de vie monastique, et rencontre Anne-Marie Roulé, prostituée occasionnelle, qu'il recueille, et convertit, en 1878. Rapidement, la passion que vivent Bloy et la jeune femme se meut en une aventure mystique, accompagnée de visions, de pressentiments apocalyptiques et d'une misère absolue puisque Bloy a démissionné de son poste à la Compagnie des chemins de fer du Nord. Son roman La femme pauvre date de 1897.
Le roman se déroule en grande partie à Paris, débutant en 1879 et courant sur une petite dizaine d'années. Clotilde, l'héroïne du livre, vit avec sa mère et le concubin de celle-ci, tous deux ont connu des jours meilleurs mais aujourd'hui c'est la grande misère et son cortège d'alcoolisme, de violence et autres misérables conditions de vie dans un taudis infâme. Quand le hasard lui fait rencontrer Gacougnol, artiste peintre, Clotilde pense être sortie de sa triste condition ; il l'engage comme modèle puis la prend sous son aile amicale et chaste comme dame de compagnie, faisant son éducation intellectuelle et l'éloignant de ses parents ignobles. Mais le destin n'en aura pas fini avec Clotilde quand son protecteur sera assassiné par son beau-père et qu'elle se retrouvera sans le sou…
Si vous n'avez jamais lu cet auteur, sachez que c'est une expérience qui peut être tentée mais qu'elle n'est pas donnée à tous.
Tout d'abord il s'agit d'un roman datant d'un autre siècle, il faut donc s'attendre à être plus ou moins déstabilisé par la mentalité des personnages, le style de l'écriture mais je suppose que la majorité d'entre vous connaissez cette situation. Sauf que là, l'écrivain c'est Léon Bloy et ça fait une grosse différence avec ce que vous pouvez imaginer.
D'emblée le lecteur est plongé (noyé ?) dans une écriture asphyxiante au vocabulaire luxuriant de mots rares, spécialisés, régionaux… ; d'images fortes (« … le chiendent d'une séditieuse moustache qu'il eût été préférable d'utiliser pour l'étrillage des roussins galeux ») ; de vacheries (« … méprisé par les gazouillards de la Comédie Française et les liquidateurs de diphtongues du Conservatoire… ») ; de tournure de phrases extravagantes sur un ton de déclamation souvent. A ce stade de l'affaire, soit vous vous émerveillez devant cette avalanche, cette logorrhée sans fin, soit vous pliez bagage. Les plus courageux devront affronter une autre épreuve et ce n'est pas la moindre, tout le roman baigne dans la religiosité et une recherche d'absolu qui aujourd'hui plus qu'hier déjà, alourdit le roman, clôture de barbelés qui en éloignera de potentiels lecteurs.
Car qu'en est-il exactement du roman ? Clotilde rebondit avec Leopold, l'épouse et accouche d'un petit ; la cécité atteint son époux qui doit se reconvertir, retour à la case misère. Je vous épargne toutes les horreurs que devra endurer le couple, la mort qui frappe à la porte deux fois et notre héroïne désormais seule à jamais et dans le plus complet dénuement mais qui trouve enfin le bonheur dans cette situation de pauvreté extrême, sauvée par sa foi qui la rapproche un peu plus de son Dieu.
Un roman costaud qui se mérite, donc pas pour tout le monde. Je ne dirai pas que je me suis régalé, ni le contraire d'ailleurs mais l'expérience est très intéressante.
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La Femme pauvre est le chef d'oeuvre de Léon Bloy, chef d'oeuvre ultime, absolu, total, où l'écriture se fait exigeante et implacable, consolante et humaine, terrible et impossible, chaleureuse et charitable.
On y recroise Caïn Marchenoir du Désespéré, on y croise des critiques vitupérant contre son ancien ami Huysmans. On y lit des veuleries et des envolées, des bassesses et des élévations, des stupeurs et des sauvetages, des effrois et des réconforts.
Finalement, ce roman contient toute l'humanité. Il est immense, il est grand, il est énorme, si inspiré qu'une vie humaine ne suffira pas à comprendre la profondeur et le bouleversement que contient le moindre paragraphe.
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En lisant ce livre, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que Léon Bloy n'était pas vraiment un romancier. le titre du livre et la biographie de l'auteur, qui a connu lui-même le dénuement complet, m'avaient pourtant laissé espérer une aventure dans laquelle je pourrais toucher du doigt le quotidien d'une femme pauvre dans le Paris de la fin du XIXe siècle.
Le début du roman est pourtant prometteur : la description du milieu dans lequel a grandi Clothilde, de son appartement et du caractère de sa mère crée immédiatement une ambiance pathétique qui m'a donné envie d'aller plus loin. Mais voilà, tout à coup, Clothilde est provisoirement « sauvée » de son entourage délétère, et l'ambiance change radicalement. le nouveau cercle dans lequel elle se retrouve projetée, composé d'artistes, est plutôt propice à de longs apartés polémiques, des discours qui peinent à trouver une résonance aujourd'hui et qui font référence à des débats de l'époque que je n'ai pas toujours pu comprendre. L'intrigue commence alors à traîner en longueur et lorsqu'on arrive à la fin de la première partie, on se rend compte que le résumé de l'histoire tiendrait aisément en une phrase.
La deuxième partie est clairement plus romanesque : plusieurs années de la vie de Clothilde y sont passées en revue sur un rythme bien plus enlevé. Mais là encore, on retrouve ce qui m'a dérangé tout au long du livre : l'usage d'une langue et d'un vocabulaire volontairement alambiqués et des personnages qui, hormis Clothilde et son entourage, sont tous des modèles de méchanceté et d'hypocrisie.
Au final, il y a de très belles pages dans La femme pauvre, mais si certains passages m'ont marqué, j'ai toujours gardé la désagréable impression que l'ensemble manquait d'unité et que le roman passait plus de temps à dénoncer le comportement des hommes qu'à exprimer clairement ce qui faisait de Clothilde une héroïne.
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Citations et extraits (130) Voir plus Ajouter une citation
Les histoires vraisemblables ne méritent plus d'être racontées. Le naturalisme les a décriées au point de faire naître, chez tous les intellectuels, un besoin famélique d'hallucination littéraire.
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Les femmes sont universellement persuadées que tout leur est dû. Cette croyance est dans leur nature comme le triangle est inscrit dans la circonférence qu’il détermine. Belle ou laide, esclave ou impératrice, chacune ayant le droit de se supposer la FEMME, nulle n’échappe à cet instinct merveilleux de conservation du sceptre dont la Titulaire est toujours attendue par le genre humain.

L’affreux cuistre Schopenhauer, qui passa sa vie à observer l’horizon du fond d’un puits, était certes bien incapable de soupçonner l’origine surnaturelle du sentiment dominateur qui précipite les hommes les plus forts sous les pieds des femmes, et la chiennerie contemporaine a glorifié sans hésitation ce blasphémateur de l’Amour.

De l’Amour, assurément, car la femme ne peut pas être ni se croire autre chose que l’Amour lui-même, et le Paradis terrestre, cherché depuis tant de siècles, par les dons Juans de tous les niveaux, est sa prodigieuse Image.

Il n’y a donc pour la femme, créature temporairement, provisoirement inférieure, que deux aspects, deux modalités essentielles dont il est indispensable que l’Infini s’accommode : la Béatitude ou la Volupté. Entre les deux, il n’y a que l’Honnête Femme, c’est-à-dire la femelle du Bourgeois, réprouvé absolu qu’aucun holocauste ne rédime.

Une sainte peut tomber dans la boue et une prostituée monter dans la lumière, mais jamais ni l’une ni l’autre ne pourra devenir une honnête femme, – parce que l’effrayante vache aride qu’on appelle une honnête femme, et qui refusa naguère l’hospitalité de Bethléem à l’Enfant Dieu, est dans une impuissance éternelle de s’évader de son néant par la chute ou par l’ascension.

Mais toutes ont un point commun, c’est la préconception assurée de leur dignité de dispensatrices de la Joie. Causa nostræ lætitiæ ! Janua coeli ! Dieu seul peut savoir de quelle façon, parfois, ces formes sacrées s’amalgament à la méditation des plus pures et ce que leur mystérieuse physiologie leur suggère !…

Toutes – qu’elles le sachent ou qu’elles l’ignorent, – sont persuadées que leur corps est le Paradis. Plantaverat autem Dominus Deus paradisum voluptatis a principio : in quo posuit hominem quem formaverat. Par conséquent, nulle prière, nulle pénitence, nul martyre n’ont une suffisante efficacité d’impétration pour obtenir cet inestimable joyau que le poids en diamants des nébuleuses ne pourrait payer.

Jugez de ce qu’elles donnent quand elles se donnent et mesurez leur sacrilège quand elles se vendent !

Or voici la conclusion tirée des Prophètes. La femme a RAISON de croire tout cela et de prétendre tout cela. Elle a infiniment raison, puisque son corps, – cette partie de son corps ! – fut le tabernacle du Dieu vivant et que nul, pas même un archange, ne peut assigner des bornes à la solidarité de ce confondant mystère ! (partie I, chapitre 20)
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Serait-ce que la plupart des hommes ont oublié qu’étant eux-mêmes des créatures ils n’ont pas le droit de mépriser l’autre côté de la Création ? Saint François d’Assise, que les plus impies ne peuvent se défendre d’admirer, se disait le très proche parent, non seulement des animaux, mais des pierres et de l’eau des sources, et le juste Job ne fut pas blâmé pour avoir dit à la pourriture : « Vous êtes ma famille ! »

J’aime les bêtes parce que j’aime Dieu et que je l’adore profondément dans ce qu’il a fait. Quand je parle affectueusement à une bête misérable, soyez persuadé que je tâche de me coller ainsi plus étroitement à la Croix du Rédempteur dont le Sang, n’est-il pas vrai ? coula sur la terre, avant même de couler dans le cœur des hommes. Elle était bien maudite pourtant, cette mère commune de toute l’animalité. Je sais aussi que Dieu nous a livré les bêtes en pâture, mais il ne nous a pas fait un commandement de les dévorer au sens matériel, et les expériences de la vie ascétique, depuis quelques dizaines de siècles, ont prouvé que la force du genre humain ne réside pas dans cet aliment. On ne connaît pas l’Amour, parce qu’on ne voit pas la réalité sous les figures. Comment est-il possible de tuer un agneau, par exemple, ou un bœuf, sans se rappeler immédiatement que ces pauvres êtres ont eu l’honneur de prophétiser, en leur nature, le Sacrifice universel de Notre Seigneur Jésus-Christ ?… (partie I, chapitre 15)
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Il disait, par exemple, n’avoir jamais rien compris à ce qu’on est convenu d’appeler la philosophie, n’ayant pu arriver à la préalable conception du toupet des cuistres qui osent tenter la mise en équilibre des conjectures sur les hypothèses et des inductions sur les postulats. À ce propos, il se répandait en malédictions contre l’Allemagne, qu’il accusait avec justice d’avoir, de son lourd esprit domestique, attenté au bon sens des races latines éternellement désignées, malgré tout, pour la domination sur cette racaille.

– Laissez-moi donc tranquille ! criait-il à Clotilde qui ne le tourmentait guère pourtant, il n’y a que deux philosophies, si on tient absolument à ce mot ignoble la spéculative chrétienne, c’est-à-dire la théologie du Pape, et la torcheculative. L’une pour le midi, l’autre pour le nord. Voulez-vous que je vous fasse en deux mots cette histoire de dégoûtation ? Avant votre Luther, on n’était pas déjà trop brillant dans le monde germanique. Quand je dis votre, j’entends le Luther de cette nation crapuleuse. C’était une ingouvernable pétaudière de cinq ou six cents États dont chacun représentait un grouillis de caboches obscures, imperméables à la lumière, dont les descendants ne peuvent être orientés ou disciplinés qu’à coups de trique. L’autorité spirituelle était là-dessus comme l’abeille sur le fumier. Luther eut cet avantage suprême d’être le Salaud attendu par les patriarches de la gueuserie septentrionale. Il incarnait à ravir la bestialité, l’inintelligence des choses profondes et le croupissant orgueil de tous les buveurs de pissat de vache. Il fut adoré, naturellement, et tout le nord de l’Europe s’empressa d’oublier la Mère Église pour aller dans les fientes de ce marcassin. Le mouvement continue depuis bientôt quatre siècles et la philosophie allemande, exactement qualifiée par moi tout à l’heure, est la plus copieuse ordure tombée du protestantisme. Ça se nomme l’esprit d’examen, ça s’attrape avant de naître, aussi bien que la syphilis, et il se trouve de petits français assez engendrés au-dessous des dépotoirs pour écrire que c’est tout à fait supérieur à l’intuition de notre génie national. (partie I, chapitre 22)
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Une fois, pourtant, l’envié Maréchal surprit sa femme en compagnie d’un gentilhomme peu vêtu. Les circonstances étaient telles qu’il aurait fallu, non seulement être aveugle, mais sourd autant que la mort, pour conserver le plus léger doute.

L’austère matrone, qui le cocufiait avec un enthousiasme évidemment partagé, n’était pas assez littéraire pour lui servir le mot sublime de Ninon : « Ah ! vous ne m’aimez plus ! vous croyez ce que vous voyez et vous ne croyez pas ce que je vous dis ! » Mais ce fut presque aussi beau.

Elle marcha sur lui, gorge au vent, et d’une voix très douce, d’une voix profondément grave et douce, elle dit à cet homme stupéfait :

— Mon ami, je suis-t-en affaires avec Monsieur le Comte, allez donc servir vos pratiques, n’est-ce pas ? Après quoi elle ferma sa porte.

Et ce fut fini. Deux heures plus tard, elle signifiait à son mari de n’avoir plus à lui adresser la parole, sinon dans les cas d’urgence absolue, se déclarant lasse de condescendre jusqu’à son âme de boutiquier et bien à plaindre, en vérité, d’avoir sacrifié ses espérances de jeune fille à un malotru sans idéal qui avait l’indélicatesse de l’espionner. Elle n’oublia pas, en cette occasion, de rappeler sa naissance illustre.

À dater de ce jour, l’épouse exemplaire ne marcha plus qu’avec une palme de martyre et l’existence devint un enfer, un lac de très profonde amertume pour le pauvre cocu dompté qui se mit à boire et négligea ses affaires.
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Videos de Léon Bloy (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Léon Bloy
http://le-semaphore.blogspot.fr/2015/.... Le 29 novembre 2015 - pour l'émission “Les Racines du ciel” (diffusée tous les dimanches sur France Culture) -, Leili Anvar s'entretenait avec François Angelier, producteur de “Mauvais genres” à France Culture, chroniqueur au Monde, auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels on peut citer le “Dictionnaire Jules Verne” (Pygmalion, 2006) et le “Dictionnaire des voyageurs et explorateurs occidentaux” (Pygmalion, 2011). Il vient de publier “Bloy ou la fureur du juste” (Points, 2015), essai dans lequel il revient sur la trajectoire de Léon Bloy, qui ne cessa, entre la défaite de 1870 et la Première Guerre mondiale, de clamer la gloire du Christ pauvre et de harceler sans trêve la médiocrité convenue de la société bourgeoise, ses élites et sa culture. Catholique absolu, disciple de Barbey d'Aurevilly, frère spirituel d'Hello et de Huysmans, dévot de la Notre-Dame en larmes apparue à La Salette, hanté par la Fin des temps et l'avènement de l'Esprit saint, Léon Bloy, écrivain et pamphlétaire, théologien de l'histoire, fut un paria des Lettres, un « mystique de la douleur » et le plus furieux invocateur de la justice au coeur d'une époque dont il dénonça la misère sociale, l'hypocrisie bien-pensante et l'antisémitisme. Bloy ou le feu roulant de la charité, une voix plus que présente - nécessaire. Photographie : François Angelier - Photo : C. Abramowitz / Radio France. François Angelier est aussi l'auteur de l'essai intitulé “Léon devant les canons” qui introduit “Dans les ténèbres”, livre écrit par Léon Bloy au soir de sa vie et réédité par Jérôme Millon éditeur.
Invité : François Angelier, producteur de l’émission « Mauvais Genres » à France Culture, spécialiste de littérature populaire
Thèmes : Idées| Religion| Leili Anvar| Catholicisme| Mystique| Douleur| Littérature| François Angelier| Léon Bloy
Source : France Culture
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