De nos jours,
Léon Bloy semble être en odeur de sainteté dans l'
Eglise Catholique, même au sein du Saint Siège. le pape François n'a pas hésité à citer cet écrivain à la plume de feu et au coeur résolument tourné vers le Christ et la Vierge Marie. Etrange retournement de l'histoire, surtout quand on sait que
Léon Bloy avait beau adoré la religion Catholique et ses traditions, il n'en demeurait pas moins très critique envers son clergé trop superficiel dans sa foi et parfois aussi le pape (Il détestait Pie X).
La Femme pauvre est un roman admirable. Divisé en deux grandes parties, on y apprend la triste histoire de Clothilde Maréchal, fille pieuse mais tourmentée, simple mais déchue, courageuse malgré son horrible tartuffe de mère ainsi que son alcoolique de compagnon revendiquant le droit d'être son père. Celui-ci est déjà mort depuis longtemps et sa mémoire est salie par la mère de Clothilde. Vivant dans une froide misère, Clothilde est obligée de pourvoir aux besoins de sa famille, qui ne se lasse pas de lui reprocher quantité de choses. C'est finalement en étant obligé de poser nue pour un peintre que Clothilde prend enfin un autre chemin.
Pélopidas Gacougnol artiste peintre exubérant et un peu grossier au premier abord, se prend rapidement d'affection pour cette étrange pauvrette dont l'âme n'en est pas moins riche et humble. Ensemble, il rencontre Caïn Marchenoir, le héros d'un précédent roman –
le Désespéré – et aussi une des incarnations de
Léon Bloy. Ce brillant mais féroce catholique s'est quelque peu assagi dans ce livre, il n'en a pas perdu sa verve à parler et à se battre contre ce Monde bourgeois et mécréant. Enfin, un troisième individu de cette trinité d'âmes hautes s'invite, Léopold, véritable flibustier de l'esprit et enlumineur de profession. C'est certainement le plus violent et orageux des trois, il ne se laisse pas faire, il n'hésite à s'attaquer directement à un adversaire par un discours enflammé et véhément.
De ces trois hommes, Clothilde en trouvera sa vie véritablement changée. La pauvrette qui dormait sur un matelas moisi dans la pièce commune du logis de sa matrone de mère découvre enfin une accalmie dans sa vie d'épave. Accalmie toute relative cependant, car c'est véritablement à un feu du Logos, du verbe, du Christ et de l'art qui pénètre son âme avec une force incommensurable. Clothilde ne dédaigne pas l'éducation de ces trois hommes là, elle en ressent le besoin. Lors d'une soirée lettrée, Gacougnol invite d'autres personnages, certains très proche de leur vision de l'art et de la religion catholique : Lazare Druide (Henry de Groux dans la réalité), Bohémond de l'Isle -de -France, (il s'agit bien évidemment du comte de Villiers de l'Isle d'Adam), et d'autres beaucoup plus fantaisistes : Folentin (Huysmans, ancien ami écrivain devenu ennemi pour Bloy), Crozant (un pianiste qui se prétends hanter par les morts). Derrière cette mosaïque de portraits se cache une
poésie subtile et ardente. Plusieurs moments m'ont marqué durant cette soirée, le vibrant hommage de Caïn Marchenoir envers ce Moyen-âge millénaire mystérieux et indicible ainsi que ce vieux débat sur la musique de Wagner considéré comme proche du malin selon Marchenoir et qui rappelle l'essai de
Baudelaire sur la représentation de Tannhäuser à Paris il y a quelques dizaines d'années auparavant…
Ces instants de grâce, Clothilde les perdra brusquement. Sans trop en révéler sur le roman, dès la seconde partie, Clothilde retombera dans une période misérable à la suite d'un drame atroce, puis sera sauvée à nouveau par le mariage avec une âme providentielle. Ensemble, ils devront néanmoins se battre contre les affres du Monde. le malheur étant toujours un créancier très douloureux, les rares moments de bonheurs seront toujours payés par de longs hivers de souffrances. La pauvreté, l'injustice, le mépris, les drames et enfin la solitude seront les nombreux obstacles qui se dresseront sur la route de Clothilde. (Mention spéciale aux voisins « Poulot », véritables êtres infâmes de l'espèce humaine)
Ce chemin laborieux n'en reste pas moins poétique. Il y a là les plus belles pages qu'aient pu écrire Bloy. Malgré les ténèbres les plus épaisses, l'espoir à travers le Christ permet aux héros de ce roman de tenir, d'avancer. En cela, la phrase finale de Clothilde résonne comme un écho encore dans ma tête : « Il n'y a qu'une tristesse, c'est de N'ETRE PAS DES SAINTS ».