A Mineo, l'été explose soudain sans prévenir personne. A peine quelques jours plus tôt, en descendant par la Varanna ou par l'Itria, l'on peut rencontrer des paysans emmitouflés dans leur châle noir, le pantalon tout crotté, qui dévalent la pente abrupte et boueuse, jonchée de morceaux d'ordures, qui augmentent jour après jour à chaque coin de rue et assombrissent l'air. Mais il suffit d'une semaine pour que le soleil devienne violent, et les masures tordues, amoncelées les unes sur les autres, laissent évaporer leur humidité, deviennent sèches et brûlantes comme des fours. Dans les ruelles, la pussière se soulève en nuage chaque fois que quelqu'un passe, tandis que les excréments jaunissent au pied des portes basses des maisons, et les pierres affleurent blanches, jaunes, noires. On dirait que les pierres se libèrent, suivant leur propre rythme égal et tranquille, car on les voit se détacher de la ravine sèche du Château, rouler par la pente des Mura - où déjà les orties roussissent et meurent et les figuiers de Barbarie semblent se plier sous le poids de la chaleur - et l'on trouve des pierres même sur les toits des maisons, où elles brillent, selon les différents moments de la journée, comme autant de symboles intangibles et sacrés.
Dehors des enfants écrasaient leur nez contre la vitre fermée et regardaient la lampe allumée, la petite flamme droite et vibrante comme la queue d'un petit chien, et les paysans immobiles et penchés vers moi. Et moi, entre-temps, j'avais fini la première lettre et je commençais déjà la deuxième.
Deuxième lettre
Mon éternel amour. Je ne puis rester longtemps sans prendre ma plume pour te communiquer les sentiments que mon cœur nourrit pour toi. Ton image me suit partout où je vais, et je vois ton visage dans les frondaisons, dans les fleurs qui naissent légères du sein des prés verdoyants, dans le vent qui tremble dans les blés. Je t'aime, je t'aime passionnément.
Mais une fois, en écoutant ce passage, Turi-du-vieux-don-Carmine avança son bras et le tendit comme s'il voulait arrêter un taureaux furieux, en me disant :
Turi-du-vieux-don-Carmine.– Ah ! non, faites excuse don Pietro, mais ce "passionnément" ne me paraît pas juste. Je sais que je suis un analphabète, mais quand même, tout le monde sait que "passionnément" c'est du patois, mais l'expression correcte c'est "patiemment", n'est-ce pas ?
Puis lorsque j'étais sur le point de finir la lettre, il rougit et me dit tout bas :
Turi-du-vieux-don-Carmine.– Voilà... je m'excuse... don Pietro, mais vous me pourriez pas lui ajouter, avec des mots corrects, qu'il n'est pas juste que sa mère m'arrose, comme la dernière fois, en jetant par la fenêtre une bassine d'eau sale, alors que je l'avais attendu au coin de la rue jusqu'à minuit, planté là comme un piquet, rien que pour pouvoir lui dire quelques mots..."
Je ne sais si j'ai raison d'écrire ici ces rêveries, mais il est vrai que parfois elles semblent gravées en moi, comme des souvenirs vrais et confus d'une enfance fabuleuse et lointaine. Mais celui qui écrit n'est pas toujours le même homme immobile, au fil de son histoire viendront se nouer les divers aspects des conditions extérieures, comme le froid ou la chaleur, ainsi que les conditions intérieures, par exemple, une petite satisfaction ou les troubles de l'incertitudes, et enfin l'influence de ses propres organes, comme les intestins, le foie, la vessie ou le pénis. Et puis il faut comprendre qu'un pauvre tailleur comme moi, plongé dans ce long hiver d'oisiveté forcée, enfoncé dans la misère qui l'écrase et l'opprime, ne peut éviter de s'abandonner aux chimères les plus bizarres et les plus sottes, issues de ce village abandonné, qui n'est en fait qu'un amas de ruelles débordantes de boue et de merde et de vieilles maisons qui se délabrent et s'effondrent, où vivent, tous ensemble, hommes, ânes et poulets.
En ce moment, je pense davantage au vent qui parle dehors et qui se glisse comme un souffle liquide entre les volets de la cuisine où je suis en train d'écrire. Dans les livres de l'école primaire, je lisais que le vent c'est de l'air qui bouge, mais cela n'est vrai que dans la journée, quand chaque pierre, chaque rue, chaque bête occupe un espace clair et net. Mais la nuit, d'après moi, le vent vit et sent comme un être humain. Et je n'ose pas ouvrir la fenêtre, parce que j'ai peur que ce que j'écris puisse être vrai.