Autonomie des sciences sociales:
pp. 16-17 C’est dire que la politisation d’une discipline n’est pas l’indice d’une grande autonomie et les difficultés majeures que rencontrent les sciences sociales pour accéder à l’autonomie, c’est le fait que des gens peu compétents, du point e vue des normes spécifiques, peuvent toujours intervenir au nom de principes hétéronomes sans être immédiatement disqualifiés.
Si vous essayez de dire à des biologistes qu’une de leurs découvertes est de gauche, ou de droite, catholique ou pas catholique, vous allez susciter une franche hilarité, mais il n’en a pas toujours été ainsi. En sociologie, vous pouvez encore dire ce genre de choses. En économie, ça peut évidemment se dire aussi, bien que les économistes s’efforcent de faire croire que ce n’est plus possible.
Tout champ, le champ scientifique par exemple, est un champ de forces et un champs de luttes pour conserver ou transformer ce champ de forces. On peut dans un premier temps décrire un espace scientifique ou un espace religieux comme un monde physique, comportant des rapports de force, des rapports de domination. Les agents, par exemple les firmes dans le cas du champ économique, créent l’espace et l’espace n’existe en quelque sorte que par les agents et les relations objectives entre les agents qui s’y trouvent. Une grande firme déforme tout l’espace économique, lui conférant une certaine structure. Dans le champ scientifique, Einstein, telle une grande firme, a déformé tout l’espace autour de lui. Cette métaphore einsteinienne à propos d’Einstein signifie qu’il n’y a pas de physicien, petit ou grand, à Brioude ou à Harvard, qui (en dehors de tout contact direct, de toute interaction) n’ait été touché, bousculé, marginalisé, par l’intervention d’Einstein, de même qu’une grande firme qui abaisse ses prix rejette hors du champ économique toute une population de petits entrepreneurs.
Comprendre, c'est pardonner:
p. 38 Cette prise de conscience objectivante (qui peut s’appliquer au sujet objectivant lui-même lorsqu’il pend pour objet, comme je l’ai fait dans Homo Academicus, le champ même dont il fait partie) est impliquée dans le fait de situer ces points de vue dans l’espace des prises de position et de les rapporter aux positions correspondantes, c’est-à-dire à la fois de les déposséder de leur prétention « absolutiste » à l’objectivité (liée à l’illusion de l’absence de point de vue) et aussi de les expliquer, d’en rendre raison, de les rendre compréhensibles, intelligibles.
On voit qu’en dehors de toute intention moralisatrice, ce point de vue qui objective les points de vue et les constitue comme tels ; et qui est souvent décrit, à tort, comme « épinglage » réducteur, implique la substitution d’une vision compréhensive et indulgente – selon la formule, « comprendre c’est pardonner »- des différentes positions et prises de position, à la vision polémique, partielle et partiale, des agents eux-mêmes qui, en tant que telle, est fausse même si ce qu’elle révèle ou dévoile ou dénonce contient une part de vrai. Par là, elle constitue une contribution possible à la compréhension mutuelle des occupants des différentes positions dans le champ et du même coup à l’intégration de cette institution, qui n’implique nullement la suppression des différences de points de vue.
Realpolitik de la Recherche :
p. 56 Et l’on vient donc aux responsables de l’administration de l’institution, aux administrateurs scientifiques. Il est remarquable que ces gens qui ne parlent que critères d’évaluation, qualité scientifique, valeur du dossier scientifique, qui se précipitent avec avidité sur les « méthodes scientométriques » et « bibliométriques » et qui sont friands d’audits impartiaux et objectifs (voués en général à produire à grands frais des constats triviaux et des propositions inutiles, comme tel audit récent sur les procédures d’évaluation du CNRS) sur le rendement scientifique des instituions scientifiques, s’exemptent eux-mêmes de toute évaluation et se mettent soigneusement à l’abri de tout ce qui pourrait conduire à appliquer à leurs pratiques administratives (et pas seulement à leur pratiques scientifiques, comme le fait la polémique ordinaire) les procédures dont ils préconisent si généreusement l’application.
Recherche appliquée / recherche fondamentale
p. 42 Je dois ce sujet dire mon désaccord avec la manière dont à été présentée, ici même, par Bruno Latour (in Le métier de chercheur) une notion telle que celle de « RANA » - Recherche appliquée non applicable – qui ne fait que conférer un label de scientificité aux intuitions les plus cyniques ou les plus désespérées – c’est souvent la même chose – de l ‘auto-analyse indigène, telle celle qu’exprimait avec un certain bonheur la formule issue des réflexions collectives de mai 68 : « Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche ». Sous les apparences du radicalisme critique, les demi-analyses de cette sorte flattent les attentes les plus convenues et les plus convenables : au lieu d’inciter à une réflexivité critique, donc constructive, ceux qui s’en rendent responsables encouragent le cynisme dans la pratique scientifique, ou, pire, donnent des armes à la vision managériale des cadres de l’institution, plus soucieux de contrôler et de contraindre que de comprendre et de transformer de manière inspirée et constructive.
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Ce livre a pour objectif initial de regrouper dans un même document les différentes formes de travail et d'emploi existant dans les trois ordres de la société d'Ancien Régime. Après avoir souligné le caractère inégalitaire de celle-ci, l'auteur exploite ensuite la question du pouvoir pour ébaucher des points de similitude avec le contexte politico-social actuel. Cet ouvrage propose des comparaisons en utilisant comme points de passage entre les deux mondes les concepts de Pierre Bourdieu que sont l'habitus, le capital économique, le capital social, le capital culturel et le capital symbolique.
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Bonnes lectures !
Crédit : Ariane, la prise de son, d'image et montage vidéo
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