I. JARDINS D'AGRÉMENT, PRUSSE
(1960-1989)
DERNIÈRE RÉSIDENCE SUR TERRE
(pour Pablo Neruda)
À son enclos de feuillage dans l'obscurité
Des pieuvres se cramponnent, dégringolant des tanks
Accroupies sur ses marches, suant de bêtise
Les blattes secrètes de l'ordre public
Aux câbles du téléphone, comme morve qui prolifère
Les oreillards de la milice, sous ses arbres
Les fusils pointés, attendent les cadavres
Immortels dans leur infamie, dans la peur hispanique :
Mais dans sa chambre encerclée le poète
Dit, plus sûrement que jamais, sa vie
En ses feux ultimes, la meurtrière vérité.
p.37
II. LE MASSACRE DES ILLUSIONS
(1990-2000)
LA POÉSIE
Elle danse sur les tombes, avec grâce
Avec sa mémoire sauvage.
AH ! NOUS NE POUVONS RIEN RETENIR. À mon appel
Se lèvent les crevés, les oubliés
Avec leurs couteaux, leurs exigences. Amour
Éteint, colère froide, temps gâchés. Qu'est-ce
Que penser : nous sommes mortels
En face du GRAND INUTILE. Elle ose le penser
Souterrainement, là où tout vit.
Comment est-ce possible ? Pour faire danser l'état de choses
p.124
ULTIMATUM À L'ÎLOT PERSIL
Quelques phrases dictées
À cet îlot sans défense... C'est quoi, ces traces ?
Du sel et des pieds indéfinis
Taillis, respiration impénétrable.
Falaises, ne relevant d'aucune puissance.
Et bancs de poissons tournant casaque.
Qu'y a-t-il à l'intérieur ? Déserts ? Mugissements
Traces de vie (les inspecteurs les trouveront).
Ces gestes nus et dissimulés, du pétrole en sommeil
Le désordre. Personne pour diriger la mer :
Saleté et entêtement, le séparatisme des sentiments.
Les patrouilles interceptent les bateaux qui coulent.
Que chuchote-t-on, un secret, YAKUZA, JACUZZI
Cela appelle des représailles.
Ces pensées, si mobiles, qui visent au plus simple
Un rivage à personne... Comment d'ailleurs
Peut-il rester là, étendu dans la mer remontée
Un blanc indépendant. Rends-toi, petite île
Laisse tomber tes réfugiés, tes chèvres chétives
Accepte l'ordre
Arrache ton persil
Et accueille les cavaliers blindés
p.131
I. JARDINS D'AGRÉMENT, PRUSSE
(1960-1989)
TIRÉ DU SOMMEIL DOGMATIQUE
Qu'as-tu fait de ta nuit ? – Je me suis exercé
À l'attente. – De quoi ? – La connais-tu aussi
Cette souffrance, aimer l'inconnue ? –
L'action inconnue ? – Comment ? – De quoi parles-tu ? –
Les veines de ma chair étaient près d'exploser.
Comme je suis las de traverser la place Saint-Marc. –
Tu rêves, n'est-ce pas, tu rêves avec conséquence. –
Et dans les rues souffle la transparence.
p.65
III. L'OPULENCE
(2001-2014)
CHAUSSEESTRASSE, LE CIMETIÈRE
Dans un cimetière nous nous sommes retrouvés
Ses lèvres sauvagement ensevelirent les miennes.
Alentour le silence s'était installé
Tandis qu'insatiablement nous nous appelions
Mon aimé ! Ma si belle ! Que tu viennes !
Les pierres le proclamaient : l'amour est éternel !
Et le désir nous culbuta entre les tombes.
Karl, qui dégustait son vin rouge sous la terre
Y fumait également ses lauriers je présume.
Je savais que c'est toujours au cimetière
Qu'on se retrouve, et mes lèvres dans les siennes
S'ensevelirent. Mais, comme ivre de vie, elle
Referma sur mon corps ses jambes. Alors je vis
Comme la terre était noire, et si proche le ciel.
p.128