Voici une biographie originale, qui ne s'attache pas seulement à retracer la vie d'un individu, mais d'une famille de trois personnes : le ministre Necker, qui joua un grand rôle dans les dernières années de Louis XVI, sa femme et sa fille, Madame de Staël, une des fondatrices du romantisme, contemporaine de Chateaubriand. Il n'est pas fréquent de voir un groupe familial, ici restreint à trois personnes, faire l'objet d'un récit biographique.
L'originalité même de l'entreprise implique son principal défaut, la dispersion : à soi seule, une vie de Necker permettrait d'entrer en profondeur dans la question financière et budgétaire du règne de Louis XVI, sans parler de l'intense vie politique française des années 1775-1790. Mais l'auteur ne peut s'y consacrer entièrement (j'imagine en plus que d'autres historiens l'ont fait) : il doit retracer la vie conjugale de Necker et de sa femme (intéressante figure d'une protestante dévote et mondaine à une époque d'irréligion), et en plus l'enfance et l'éducation de leur fille, et aussi les débuts littéraires, politiques et mondains de cette dernière jusqu'en 1794, année de la mort de Madame Necker. Or la vie et l'oeuvre de Madame de Staël, fille des Necker, sont aussi intéressantes que la vie politique de son père : bien qu'elle soit un auteur bien oublié aujourd'hui. Le biographe, fidèle à sa perspective familiale, s'arrête au moment où commence la vraie carrière de Mme de Staël, ce qui est frustrant. Le livre hésite donc entre l'histoire politique et l'histoire littéraire.
Un dernier reproche, peut-être : il est de bonne méthode de citer les écrits des personnages que l'on étudie, et c'est inévitable avec les Necker, qui vécurent tous trois la plume à la main. Hélas, si les années 1780 furent celles de la douceur de vivre, d'après Talleyrand, on écrivait un français détestable, emphatique, sentimental, larmoyant, à longues phrases vides. Rousseau, qui n'aimait guère la sobriété, avait lancé cette mode de prose "sensible". Torrents de larmes, cris de joie, invocations, serments d'amour verbeux, plaintes, pâmoisons et sensiblerie (même dans les écrits politiques et financiers du père) rendent très pénible la lecture de bien des pages de ce volume.
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(Mme de Staël) dira que "l'amour est de toutes les passions la plus fatale au bonheur", et que pourtant il reste la seule passion des femmes : "l'amour est l'histoire de la vie des femmes, c'est un épisode dans celle des hommes."
p. 344
La lecture et l'écriture sont les deux piliers de l'éducation rhétorique qu'a reçue sa mère, et qu'elle a reçue d'elle. "Le tiers de la vie des gens riches est consacré à la lecture", assure Mme Necker ... Elle s'applique à réfléchir sur les moyens de faire en sorte que la lecture conduise au bonheur. Les femmes aiment écrire, et doivent écrire, pense la maman* de Germaine.
*sic
p. 176
Jean-Denis- Bredin : "Avec Chateaubriand et Flaubert, je serais volontiers parti en voyage"