Que voilà un livre magnifique et je remercie NetGalley et les Editions du
Cherche Midi de m'avoir permis de découvrir ce texte. La couverture est magnifique : rouge vif, rouge sang peut être pour rappeler que ce roman va être émaillée de cadavres et que le sang est de la même couleur pour tous les humains : victimes ou bourreaux.
"
Petite", c'est l'histoire tragique et magique de
Petite, Anne-Marie Grosholtz , dite Marie, née en Alsace, de parents pauvres, d'un père soldat Joseph Georg Grosholtz, qui revint défiguré par le recul d'un canon en temps de paix (avec un mandibule métallique qui va accompagner sa fille après sa mort) et d'une mère de 18 ans, Anna-Maria Waltner, élevée à la dure par son père pasteur. Marie ne grandira pas beaucoup, mais elle assumera très vite des tâches d'adulte. Elle apprend à lire la Bible seule. Après la mort de son père, en 1767 alors que sa maman sombre dans la dépression, le couple formé par la mère et la fille devient personnel d'entretien auprès d'un certain docteur Philippe Curtius à Berne : un étrange médecin, à l'allure d'épouvantail, qui a perdu l'habitude de fréquenter ses semblables humains.
Il pratique l'art étonnant de mouler et de créer des fac similés de différents organes du corps humain en cire. Si la mère de
Petite ne supporte pas longtemps la maison et ses étranges compositions,
Petite, elle apprend vite à manier la cire, à dessiner. La maman de Marie va se pendre et être enterrée avec les indigents.
Petite va rester chez Curtius qui l'apprécie tellement qu'il va mouler sa tête en cire et en l'exposant attirer l'attention de son supérieur hiérarchique : c'est ainsi que les commandes vont commencer à affluer et l'argent.
Parce que le chef de l'établissement hospitalier dont dépend Curtius (le docteur Hoffmann) veut lui couper les vivres pour qu'il revienne à ses moulages de parties du corps humain et ne gagne pas plus d'argent avec ses "têtes", Curtius va décider de quitter la Suisse et de gagner
Paris sur les conseils de
Louis-Sébastien Mercier.après avoir eu l'opportunité de faire un moulage de la tête de Rousseau, écrivain et philosophe. Et c'est grâce à Mercier que le tandem
Petite-Curtius va venir vivre contre travail et rémunération chez le veuve d'un tailleur, Charlotte Picot et de son silencieux fils, Edmond Henri que sa mère manipule à sa guise. C'est ainsi qu'entre les mannequins du tailleur et les têtes de Curtius, la fusion se fit.
Petite est confinée dans les tâches ménagères (sans être payée et en logeant dans un placard), pour sa plus grande colère. Les sous rentrent dans la maison au point qu'il faut s'agrandir grâce aux têtes de Curtius et il faut déménager pour s'agrandir, dans ce qui s'appelait alors "l'hôtel des singes", récupéré après la ruine de son propriétaire, Bertrand le Velu. Cette maison va devenir rapidement un lieu de passage obligé pour les célébrités, mais aussi les affreux, les tueurs dont les actions vont être mises en scène dans cette nouvelle maison.
Petite (qui est détestée par la veuve qui ne supporte pas son influence sur son fils et Curtius) va découvrir
Paris : un cloaque à l'époque. Nous sommes sous le règne de
Louis XVI et l'une de ses soeurs, la
petite dernière Mme Elisabeth, va venir visiter l'étrange maison des poupées de cire. Parce qu'elles ont la même allure et des similarités physiques,
Petite va être embauchée au Palais (toujours dans un placard mais avec dorures) pour donner des leçons de dessin à Madame Élisabeth Philippe
Marie Hélène de France et lui apprendre à manipuler la cire pour créer des ex-votos. Elle apaise cette dernière qui s'épanouit.
Petite rencontre le roi sous l'aspect d'un serrurier (elle ne va découvrir sa véritable identité qu'en assistant à un accouchement royal), va composer sa tête en cire et l'envoyer à Curtius. Elle va même réussir à reconstituer un dîner royal avec la reine, ce qui va provoquer son renvoi à l'hôtel des singes : Marie sera devenue alors une jeune femme.
Toujours plus célèbre, la
petite entreprise prend ses aises au Palais Royal pour les célébrités et dans l'hôtel des singes pour les voyous. Dans le cadre de son retour, les compétences indiscutables en matière de moulage et de dessin de Marie vont lui permettre de reprendre sa place aux côtés de Curtius.
Et c'est ainsi que s'ajoutent d'autres personnages plus étonnants les uns que les autres au gré des rencontres : un enfant sauvage, vivant dans la rue, avec des chiens, Jacques Beauvisage Martin Millot, le comptable (qui saura rentabiliser son poste), Georges Offroy, assistant de Marie, André Valentin, renvoyé pour avoir volé dans la caisse (et qui se vengera), Edmond Henri est revenu à la maison après avoir été marié sans joie avec Cornélie Adrienne Françoise Ticre, à la belle dot (papa est imprimeur) : il semble totalement perdu au monde et vit enfermé dans le grenier sur l'ordre de sa mère.
La révolution française, les délations, les années révolutionnaires marquées par la guillotine, les morts (Edmond, la veuve qui fait un avc), la prison et la rencontre avec la future
Joséphine de Beauharnais, l'arrivée de Napoléon au pouvoir et toujours
Petite, aussi résistante qu'une tique (et voyez y un compliment) qui survit à la prison, à l'accouchement de son enfant mort-née, à son mariage avec un panier percé, François Joseph Tussaud, Il y aura la naissance de deux autres enfants, des fils (Petit François en 1798 et Petit Joseph en 1800) et l'immigration de Anne-Marie Grosholtz, devenue
Marie Tussaud, avec l'un de ses fils, à Londres où elle va créer le musée qui portera son nom et lui apportera la célébrité et la stabilité financière.
Ce roman est un croisé entre "
Les Misérables" de
Victor Hugo et un conte gothique où morts et vivants cohabitent par le biais de leur visage de cire. La lecture est d'autant plus agréable que le texte est agrémenté de nombreux
dessins des personnages, des organes de cire du début, des lieux de vie. Anne-Marie Grosholtz a été immortalisée par le peintre
Jacques Louis David : c'est bien le moins qu'elle méritait. J'ai aussi beaucoup pensé à "
L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique" de
Garcia Marquez en lisant ce roman : ce n'est pas le même lieu, ni le même temps, mais l'étrange et le magique y cohabitent pareillement.dans un univers hostile et imprévisible.