Hors d'atteinte ?

Décidément, j'aime beaucoup Emmanuel Carrère. Pourtant j'ai souffert avec ce personnage qui est l'exact opposé de ce que je suis. J'ai eu envie de laisser tomber tant Frédérique m'insupportait mais, impossible; je voulais savoir comment elle allait "finir".
Ça se passe dans les années 80.Frédérique est une prof de collège de 36 ans. Elle est "à moitié mariée" et a un jeune fils. C'est aussi et surtout un pur produit de mai 68: elle déteste l'épargne, le confort petit-bourgeois, le salariat, l'ordre. Elle est frustrée de ne pas avoir réussi à terminer sa thèse. Alors elle joue, pas pour gagner non; elle joue pour jouer. Elle travaille d'arrache pied à se marginaliser. Je l'ai trouvée pathétique et triste à pleurer mais, c'est un vrai bon personnage de roman. Malgré le mépris que je n'ai cessé d'éprouver à son égard, malgré la tentation d'abandonner à la moitié du roman, le talent d'Emmanuel Carrère m'a tirée jusqu'à la fin dans un état d'excitation que seuls peuvent procurer les bons écrivains.

Hors d'atteinte ?
Emmanuel CARRERE

Le démon du jeu, le frisson du hasard, la fièvre des paris.
Voilà ce qui anime et devient la seule raison de vivre de Frédérique.
Professeure parisienne, divorcée et mère d'un petit garçon.
Elle s'entend très bien avec son ex-mari ce qui est facilitant quand on décide sur un coup de tête d'aller jouer dans un casino à Forges les eaux, Deauville ou Divonne les bains !
Mais ce n'a pas toujours été le cas.
Il a simplement fallut qu'un jour en compagnie de son ex mari, de son beau-frère et de sa soeur ils décident de finir la soirée au casino et qu'elle découvre la roulette pour que sa vie change.
Depuis elle déserte l'appartement familial, ne va plus au travail et ment à tout le monde.
Depuis elle dilapide son héritage et écume les casinos en compagnie de Noël qu'elle a rencontré dans l'un d'eux et qui devient son compagnon d'(in)fortune.


C'est le 3 ème livre d'Emmanuel Carrère que je lis et c'est celui que j'ai le moins aimé.
Si la glissade vers la dépendance est très bien racontée, la froideur de Frédérique et son détachement maternel ne m'ont pas plu.
Un livre en signe d'avertissement vers montre bien que pour quelques minutes de frissons n'importe qui peut tout perdre !

J'éprouvais comme de la déception lorsque je m'embarquais dans ce roman. Je ne m'attendais pas à ce que l'un des auteurs les plus reconnus de la littérature française contemporaine pût s'attarder sur des descriptions frivoles de la vie d'une femme insignifiante. Quand tout s'est éclairé lorsqu'elle est entrée pour la première fois dans le casino de Trouville... L'insignifiance qui me rongeait les nerfs a pris d'un coup tout son sens. Hors d'atteinte est le récit (en 37 chapitres!) du choix, fait à un moment critique, de vivre en fonction des hasards de la roulette. Rien à voir avec pile ou face, la roulette est plus complexe, elle offre tant de possibilités qu'elle a le don de vous faire oublier tout le reste.
Attention, faites vos jeux! rien ne va plus!

Hors d'atteinte? présente le monde des casinos et particulièrement le microcosme des adeptes de la roulette avec réalisme et minutie. On suit la descente aux enfers d'une enseignante engoncée dans un conformisme bobo parisien, depuis sa découverte du jeu jusqu'à sa perte de repères et même son oubli de ses obligations familiales et professionnelles. Cependant, attention je divulgâche, la fin est incompréhensible. Après avoir détroussé un de ses compagnons de jeu, l'héroïne se retrouve en Italie puis on ne sait pas pourquoi, revient à Paris et est totalement guérie de son addiction. On a du mal à comprendre comment une ludopathe qui est allée jusqu'à dilapider un héritage et qui a certainement été radiée de l'Éducation Nationale pour abandon de poste, peut être guérie aussi facilement. On dirait que l'auteur n'a pas voulu une fin tragique à son roman et qu'il a voulu une fin heureuse sans même un Deus ex Machina. C'est dommage.

Frédérique est professeure de collège, elle vit avec son fils et est séparée de son mari qu'elle voit souvent, pour une soirée, pour des vacances, pour une nuit. Frédérique n'est pas satisfaite de sa vie ou plutôt de l'image de sa vie, de ce qu'elle imagine que les autres peuvent penser d'elle. Elle se voudrait plus originale, plus riche, plus mystérieuse, qu'on se souvienne d'elle. Comme une sorte de Mme Bovary, Frédérique voudrait une vie différente. Quoi d'autre ? Elle ne sait pas. Elle semble insatisfaite par nature.

Un jour, par hasard, elle découvre le casino, la roulette. Elle croit qu'elle a trouvé ce qui lui permettra d'être moins banale. Elle va claquer son argent comme si elle n'en avait rien à faire, dans une volonté de flamber pour se sentir exister. C'est aussi à son éducation qu'elle dit merde : "Sa mère, de son vivant, avait l'habitude de compter en nouveaux francs ce qu'elle possédait, réservant l'usage des anciens, par goût de la jérémiade, à ce qu'on lui extorquait : elle se plaignait que la Sécurité sociale remboursât 400 francs une prothèse auditive qui lui en avait coûté 100 000."

En suivant Frédérique dans sa course vers quoi ? la tension augmente et on se demande bien comment cela va finir. En même temps c'est la question du sens de la vie qui est posée. Qu'est-ce qu'une vie réussie ? Et la mienne, qu'a-t-elle d'original, qu'en restera-t-il à la fin ? Quant à moi je crois que la trace qu'on peut laisser passe par les relations humaines. L'engagement pour progresser soi-même et aider les autres dans leur progression.
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