En d'autres lieux (Jacques le Sophiste :
Lacan, logos et psychanalyse) ),
Barbara Cassin s'est présentée comme « femme-philosophe ».
Dans son dernier livre au titre inspiré par
Rimbaud, elle nous propose une « autobiographie philosophique », « un chant d'amour ».
Elle le dédie à ses deux fils comme « une manière de leur donner de la liberté ».
On le sait,
Barbara Cassin est une spécialiste des présocratiques et de la sophistique grecque. Mais ici, même si elle revisite les étapes de ses recherches et de sa vie, elle affirme encore et encore que philosopher, c'est mettre des mots sur les actes, les choses, les êtres pour les faire vivre.
En résumé : comment passe-t-on de la vie à la pensée ? de l'anecdote à l'idée ?
Rien de dogmatique. Rien d'ennuyeux.
Les mots pour elle sont essentiels. Elle y a consacré son existence. Aux mots rares. Aux mots intraduisibles. Aux mots qui « éveillent » et « réveillent », comme elle le raconte dans une anecdote.
Si on la lit, si on la connaît, on retrouvera ici de nombreux épisodes de sa vie évoqués ailleurs. Ses amours avec
René Char, sa rencontre ratée avec
Lacan, ses activités auprès d'enfants handicapés, son amour de la Corse, ses entreprises universitaires ou pluridisciplinaires.
Mais c'est l'épilogue de ce livre qui donne une tonalité émouvante à ces 244 p. qui se parcourent en apnée, avec admiration et parfois agacement, car
Barbara Cassin réussit tout, même à être une cavalière d'exception et une artiste peintre de talent. Elle a pourtant échoué à l'agrégation plusieurs fois, mais elle avoue que les échecs peuvent être féconds, et même souhaitables. Il vaut mieux ne pas aboutir et continuer à chercher.
Il vaut mieux préférer l'altérité à l'Un.
Il faut connaître «
plus d'une langue », comme elle l'a fait graver sur son épée d'académicienne.
Plus d'une langue pour savoir celle que l'on parle.
Et mentir souvent, mais en laissant des « traces de son mensonge pour que la personne à qui je mens puisse savoir que je mens, et donc que je ne lui mens pas. »
Et enfin
Barbara Cassin dit que des épreuves peut naître le bonheur.
Dans son cas, c'est la maladie et la mort de son mari aimé qui lui ont permis paradoxalement de répondre à la question : « Qu'est-ce qui donne de la joie ? ».
« Nous étions incroyablement heureux, alors qu'il était mourant. C'est fou. Mais ce n'est pas fou du tout : cela tient à la perception de ce qu'est, un autre ».
D'où le titre rimbaldien choisi pour ce livre « le bonheur, sa dent douce à la mort ».