Connaissez-vous l’histoire du petit bonhomme Trinquiet et de son arbre : un grand chêne qui montait jusqu’au ciel ? Elle m’a fait si plaisir qu’il faut que je vous la raconte.
La première fois que je l’ai entendue, c’est en patois ; et ce-la par un montagnard qui la savait de son grand-oncle. Celui-ci l’avait reçue de sa grand’mère, qui l’avait entendue de son aïeul, lequel à son tour l’avait apprise d’un vieux curé (poitevin) qui aimait à la redire à l’adresse de ceux qui ne savent tenir ni leur langue, ni un secret.
Si, dans ce vieux conte, utile pour les jeunes gens et plaisant pour les vieux, il est question de saint Pierre, comme gardien des portes du paradis, je n’en puis rien. Ainsi le veut la légende, qui depuis longtemps a cru devoir honorer cet apôtre en lui prêtant cet emploi.
– Quand avez-vous quitté le village ?
– Il y a une nuit ; mais, pendant ce temps, le village et moi, nous avons vieilli d’un siècle.
– Qu’avez-vous donc fait pendant cette nuit-là ?
– Je suis allé au fond de la terre.
– Au fond de la terre !… et qu’y avez-vous vu ?
– Je ne sais pas ; mais ce pourrait bien être les magasins du diable !
– Les magasins du diable !
– C’est un sorcier, dit une voix.
– L’est on vaudai ! dit une autre.
À ces mots, toutes les femmes s’écartèrent et s’enfuirent en criant :
– Au sorcier ! au sorcier !
Aussitôt tout le hameau s’assembla et, en moins d’une de-mi-heure, le pauvre Bracaillon, les mains liées, était conduit en justice sous l’escorte du garde-champêtre et de son fils aîné.
En voilà z’en une dont je veux longtemps me souvenir. On a beau passer pour crâne, on ne l’est pas toujours. Il suffit de la nuit pour changer bien des gens et bien des idées. Ce que je vais vous dire s’est passé à Salins dans une grande carrée, en forme de château, avec un toit dont la ramure pourrait chauffer un ba-aillon pendant six mois. Autant il passait là de monde autre-fois, autant tout y est tranquille aujourd’hui. Aussi, quand, de nuit, la lune éclaire la vallée et qu’à l’entrée de ce bois elle se met à regarder cette vieille maison blanche, elle a l’air de lui dire comme ça : « Eh ! ma pauvre amie ! où sont tes beaux jours ? »
En tout cas, si, à l’intérieur du bâtiment, ces nids de poussière, ces aragnes dans les corridors, ces vieux plafonds, ces murs noirs pouvaient se mettre à jaser, – pour des cotterds, il en auraient de puissants à nous dire. Pour le coup, ils nous parleraient de ce fameux chauterai qui y rendait jadis de si jolis services, mais surtout de ce malheureux notaire qui revient la nuit, tout habillé de noir, et qui ne fait que gratter du papier, tourner des pages, feuilleter si bien et si fort que chacun, s’il en a le courage, peut l’entendre du soir au matin.
Rien de gentil comme ce dernier fricot de la veillée près d’un bon feu, quand de gros grugnons de bois pétillent, quand l’appétit se repose, quand on allume sa boufarde et que tout est tranquille autour de soi. C’est l’heure des bons cotterds et des jolies réflexions.