Georges est un jeune militant, engagé dans les émeutes étudiantes des années 70, passionné de
théâtre et de révolution.
Entre deux manifestations, il colle des slogans pro palestiniens sur les murs de Paris, et des uppercuts dans les estomacs d'extrême droites.
Quand il rencontre, au printemps 74, Samuel Akounis, metteur en scène grec et farouche opposant à la dictature de Papadópoulos, il ne se doute pas que cette amitié va bouleverser sa vie.
Car au début des années 80, le grand frère d'armes, atteint d'un cancer, lui fait promettre sur son lit de mort de monter l'
Antigone de
Jean Anouilh à Beyrouth, au coeur de la guerre civile qui ravage le Liban, avec des acteurs venus de factions opposées.
L'Art, comme un rempart dressé contre la barbarie, capable d'unir les peuples le temps d'une représentation, c'est le projet fou, complètement utopique, imaginé dans le coeur d'un humaniste grec en phase terminale et de son ami anarchiste.
Antigone est une pièce que j'affectionne particulièrement, parce qu'adolescente, je m'étais fortement identifié à l'idéalisme fougueux de «la petite maigre » d'
Anouilh.
Elle va risquer sa vie en bravant l'interdiction du pouvoir en place d'enterrer dignement son frère, désigné traitre par le roi. Son combat peut paraître dérisoire, et on pourrait juger vaniteuse son opiniâtreté; pourtant, il y une forme de grandeur dans le sacrifice d'
Antigone pour une cause qu'elle juge plus grande que son bonheur et sa vie même.
Et quand on sait que la pièce fut écrite en 1942 sous l'occupation allemande, l'histoire prend un éclairage particulier…
Des frères ennemis, du sang versé pour une terre si longtemps disputée, une soeur de sang trop idéaliste, éprise de liberté.
Sorj Chalandon replace l'histoire d'
Antigone dans le contexte du conflit libanais, sans complaisance pour aucun des différents camps, ni pour son personnage principal qu'il malmène dans ses contradictions.
Georges, avec ses discours de paix outrecuidants, m'a fait l'effet d'un petit garçon naïf qui joue à la guerre.
La réalité sur le terrain des affrontements le rattrape vite. C'est très agaçant de le voir gesticuler pour une simple pièce de
théâtre, alors que la mort est partout, que la peur est le quotidien des gens.
C'est très agaçant mais c'est cela qui le rend si proche d'
Antigone, cet orgueil immense qu'ils ont en commun.
Ce parallèle est très bien vu et construit tout le livre.
L'écriture quand à elle est puissante, avec ce lyrisme caractéristique qui m'avait un peu gêné par moments dans
Retour à Killybegs, et qui ici porte le récit, exacerbe l'horreur et l'obscénité des scènes de massacres des populations. J'ai été bouleversé par certaines pages, d'une violence insoutenable.
Le mot de la fin est laissé à
Anouilh,
« Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire - même ceux qui ne croyaient en rien, et qui se sont trouvés rapidement pris par l'histoire sans rien y comprendre. Morts, pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore, vont commencer à les oublier et à confondre leurs noms. C'est fini. »
Finalement les guerres, celles-ci mais toutes les autres aussi, sont terriblement vaines. Et l'idéalisme acharné d'une
Antigone ou d'un Georges n'y changera rien.
Là est toute la tragédie.