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sur 3136 notes
Il s'agissait de voler deux heures à la guerre. Avec la folle intention d'impliquer dans une représentation théâtrale des acteurs issus de chaque communauté belligérante : les Chrétiens maronites, les Phalanges chrétiennes, les Druzes, les Palestiniens, Les Chiites. Une gageure imaginée par Samuel, un metteur en scène grec, juif de confession, destinée à prouver que dans un conflit le superflu est essentiel. Et donc salutaire. La volonté insensée de donner aux adversaires une chance de se parler.

Nous sommes au Liban dans la première phase de la guerre des années 1980. Tous les clans en présence dans le pays tentaient de cohabiter depuis l'indépendance (1943) jusqu'à ce que le conflit israélo-palestinien s'invite sur le territoire. Ce fut alors l'éclatement du pays. Les pays voisins se convièrent à la curée. le point d'orgue sera le massacre de Sabra et Chatila par les Phalanges avec le blanc seing de Tsahal, l'armée israélienne.

Tombé gravement malade et condamné, Samuel fit promettre à un de ses amis, Georges un Français fervent militant de la gauche radicale, de monter à sa place la pièce choisie : Antigone de Jean Anouilh. "Le théâtre en paix. La guerre partout ailleurs" avait argumenté Samuel pour le convaincre pour faire éclore la fleur de l'espoir sur le cloaque de la guerre. Il s'agissait d'ouvrir les yeux des adversaires d'une guerre longue et terrible à la réplique d'Antigone "Je ne sais plus pourquoi je meurs."

Engagé par la promesse faite à son ami mourant, Georges va se trouver impliqué à son corps défendant dans un conflit dont il va très vite prendre la mesure de l'horreur. Sorj Chalandon ne nous en épargne rien. Il s'agit de jauger l'homme à l'aune de la haine que se vouent les parties en présence. de le jauger à l'échelle des drames qu'il engendre lui-même et dont il perd la maîtrise au point de rendre utopique toute perspective de réconciliation.

Quelques heures d'avion suffisent pour transposer un homme du confort égocentrique d'un pays en paix dans les atrocités de la guerre. C'est la façon de Sorj Chalandon de souligner la précarité de la paix. Quelques heures d'avion séparent le caprice d'une enfant choyée pour un cornet de glace du spectacle des corps démembrés de ces autres enfants dont l'innocence a été piégée par la folie de leurs aînés. le choc de l'amour et de la haine.

Le quatrième mur, ce peut-être les feux de la rampe des projecteurs que franchissent les applaudissements lorsqu'ils répondent à la générosité des acteurs. Ambiance de paix. Mais lorsque la détestation et la peur laissent la salle désespérément vide, ce quatrième mur peut devenir le mur de béton et d'acier de l'incompréhension. Ambiance de guerre.

Avec un style syncopé qui restitue le fracas des combats et le halètement de l'homme pris dans la tourmente, Sorj Chalandon nous livre un ouvrage très dur sur l'innocence martyrisée par la folie guerrière et le découragement de l'homme de paix à faire entendre sa voix. Un ouvrage que l'on peut trouver morbide et désespérant. Mais ne sont-ce pas les caractéristiques même de la guerre.
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Monter Antigone à Beyrouth en pleine guerre civile dans un Liban à feu et à sang c'est la décision de Samuel Akounis. Un défi lancé à la face des hommes qui ont toujours une bonne raison pour s'entre tuer au mépris du dialogue étouffé par les idéologies exacerbant les rivalités politiques, ethniques comme religieuses.
Réfugié Grec à Paris, tenace, durci par son passé de combattant du régime des colonels et animé par ses origines d'enfant de juifs déportés à Auschwitz il va réussir. Sa distribution de rôles est établie entre Palestinien, Druze, Maronite, Chiite , Chaldéen et Arménien qui l'ont rejoint dans son aventure. Impensable, et pourtant Il touche au but quand il est frappé par un cancer qui va ruiner tant d'efforts pour réaliser ce rêve. Mais non, il ne va pas laisser tomber comme ça, ce n'est pas dans son tempérament. Et sur son appel, son ami Georges un jeune metteur en scène Français qu'il sait sensibiliser fortement à son projet viendra le relayer à Beyrouth en laissant femme et enfant en France.
Mais passer du rêve à la réalisation dans ce cadre de guerre civile terrible va vite se révéler mission impossible face à l'horreur dans laquelle malgré son inimaginable dureté à la limite du supportable l'extrême puissance de l'écriture de Sorj Chalandon nous entraine à travers ce roman aussi dur que magnifique.
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Tout commence par une explosion en 1983. « Je ne pensais pas qu'un char d'assaut pouvait ouvrir le feu sur un taxi. » (p. 5) En réalité, tout commence quelques années plus tôt, quand Georges, jeune étudiant propalestinien, milite avec ses camarades de fac à Jussieu. Il rencontre Samuel Akounis, juif de Salonique qui a fui la dictature des colonels. « Racisme, antisémitisme, mépris de l'autre, leurs idées étaient à combattre, comme leur haine du présent, leur dégoût de l'égalité, leur aversion de la différence. » (p. 45) Mais le mouvement s'essouffle, les banderoles palissent et les slogans perdent de leur puissance. Georges devient metteur en scène, épouse Aurore, fonde une famille. Pendant ce temps, au Liban, Samuel monte un projet fou : faire jouer Antigone de Jean Anouilh. « le théâtre est devenu mon lieu de résistance. Mon arme de dénonciation. » (p. 28) Son Antigone, Samuel la veut multiculturelle. « Mon ami avait eu l'idée de voler deux heures à la guerre, en prélevant un coeur dans chaque camp. » (p. 98) Mais Samuel est malade et doit rentrer en France. Au nom de leur amitié, Georges accepte de le remplacer à Beyrouth. C'est à lui qu'incombe de faire cohabiter sur scène des chrétiens, des Druzes, des chiites, des sunnites ou encore des Arméniens. « La calotte [...] devait se mêler au keffieh, au turban, au fez, à la croix et au croissant. » (p. 115) Chaque camp voit dans la pièce de Jean Anouilh une exaltation de son propre combat, chacun le comprend de la manière qui le flatte le plus. Georges accepte tout du moment que la pièce se joue. Mais que peut une poignée de comédiens face aux bombardements d'Israël ? « Tu n'es pas au-dessus de cette guerre. Personne n'est au-dessus de cette guerre. Il n'y a plus d'autre tragédie ici que cette guerre. » (p. 164)

Sorj Chalandon n'en finit pas de me saisir là où les émotions hurlent. Comme dans Mon traître, on retrouve des militants convaincus que leur cause est juste, guidés par des figures fortes, paternelles ou fraternelles. Ces hommes et ces femmes sont prêts à donner leur vie pour leur terre ou leur peuple. « L'antinationalisme ? C'est le luxe de l'homme qui a une nation. » (p. 20 & 21) Tout vibre dans ce texte, tout tremble. Impossible d'en sortir froid ou indemne. Comme au théâtre quand les acteurs sont exceptionnels, on vit avec eux leurs tirades, leurs émois, leurs agonies. le quatrième mur tombe : il n'y a plus de fiction, tout est réel parce qu'humain, et parce qu'humain, universel.
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Jouer Antigone d'Anouilh dans le Liban en guerre des années 80, l'idée était plutôt incongrue, mais cette utopie était presque devenue réalité grâce a la foi en la paix de deux intellectuels de gauche, hommes de théâtre.
L'idée était celle d'un acteur provenant de chaque camp des belligérants, et dieu sait si il y en avait des camps dans le Liban de 1982!
Mais Sam, l'initiateur de ce projet avait réussi à convaincre chacun de laisser ses convictions et ses haines de côté pour revêtir les habits d'un acteur et devenir un personnage au message de tolérance et de paix.
Cependant, la réalité de la guerre est bien loin des échauffourées estudiantines de ces anciens héritiers de 1968 et la confrontation du narrateur a la violence, la sauvagerie et la haine inouïe le détruira complètement, l'amenant à renier son idéal de paix pour la vengeance....
Un livre bouleversant ou Sorj Chalandon exprime les émotions et les sentiments comme il sait si bien le faire, avec profondeur, justesse et sans jugement.
La réalité d'un homme ordinaire aux prises avec la guerre qui sait si bien manipuler les êtres les plus pacifiques pour les transformer en monstres sanguinaires aveugles de haine....
Pas franchement optimiste, mais magnifique tout autant que dérangeant et troublant.
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On ne peut pas dire un coup de coeur vu la gravité du sujet, mais un coup de poing certainement. Bouleversant. Tragique. Des descriptions douloureuses.
J'ai eu du mal à accrocher aux chapitres qui racontent la "jeunesse militante" du personnage principal... à l'inverse de ceux qui se passent au Liban. Que ce soit ceux consacrés au théâtre... ou à la guerre. Et il n'y a pas besoin de connaître Antigone ou la guerre du Liban pour être bouleversée par cette histoire et comprendre la douleur, l'horreur de cette guerre. de toutes les guerres.
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J'ai traversé le Quatrième Mur sans m'en apercevoir. J'ai quitté la scène pour entrer dans la réalité, au contact de l'humanité et ce qu'elle a de plus beau et de plus laid.

L'horreur au sens premier... La guerre, les meurtres, la vengeance, ... Tant d'humanité reçue comme une claque.
Pourtant, la plume est belle. Fluide, sensible et douce. Pour narrer ce qu'il y a de plus abjecte en nous.
Sorj Chalandon m'a emmenée au coeur des combats. M'y montrant l'atrocité la plus vile mais aussi l'amitié, les sourires et l'amour.

Ce roman vous déchire. Vous ne pouvez pas l'aimer et pourtant vous l'aimez quand même. Il est le juste milieu de ce que nous sommes : des êtres bons et mauvais, beaux et laids. Tout à la fois. Des êtres qui gaspillent leur vie pour des futilités (soient-elles la guerre ou une boule de glace chocolat tombée par terre...). Des êtres qui refusent la Vie...
Cessons de choisir un camp. Vivons pleinement sur cette scène du milieu, dans ce cinéma abandonné, pile sur la ligne verte. Juste là, ensemble.

À lire. Sans conteste.
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Ce roman de Sorj Chalandon, auteur que je suis depuis quelques livres, ancien grand reporter, notamment en Irlande du Nord et au Liban, nous raconte sur un ton plutôt léger, au début, l'histoire de Georges qui, pour respecter les volontés de son ami (mentor aussi) Sam, mourant, va essayer de monter Antigone d'Anouilh en pleine guerre du Liban (1982) en prenant un acteur dans chaque camp. Sam a préparé le terrain, y a plus qu'à. Mais Georges sera happé par la guerre et ses protagonistes, et la fin est ... wouf ! sidérante.
Avec une écriture superbe, Chalandon nous emmène au coeur des familles, du danger, de l'horreur. Je n'avais jamais aussi bien compris la guerre du Liban et ses enjeux, même si c'est d'abord une histoire d'hommes (et de femmes), avec Georges qui est en quelque sorte notre Candide. le livre pose plein de questions, il m'a bouleversée.
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Difficile de donner un avis sur un tel livre... d'autant plus qu'avec 255 critiques au compteur, tout a dû déjà être dit. Une question se pose à moi : ma lecture terminée, suis-je d'accord avec celle qui l'ayant trouvé magnifique, me l'avait chaleureusement recommandé (une dame inconnue d'un certain âge) ? Je ne pense pas que c'est l'adjectif que j'utiliserai pour qualifier cet ouvrage. En effet, si la violence dans la fiction ne me gêne pas, la cruauté de la réalité (ici les atrocités de la guerre du Liban) m'est difficilement supportable.

Années 80 à Paris, Sam, le juif grec, et Georges, sont devenus amis. Empêché par la maladie de poursuivre l'objectif qu'il s'était fixé, Sam fait promettre à Georges à qui il reproche d'utiliser la violence au nom de ses idées politiques, de relever un défi à sa place. Dans une ville de Beyrouth dévastée par la guerre, son idée est de suspendre le conflit une poignée d'heures, le temps que quelques acteurs amateurs pris parmi les différents camps ennemis jouent "Antigone". Le courage de l'inconscience ouvre des portes et ce qui pouvait passer pour un projet irréalisable prend forme lors des premières rencontres entre les acteurs : palestinien, druze, chiite, catholique, maronite unissent leurs différences au nom d'une paix provisoire. Mais que peut peser la tragédie d'une pièce de théâtre face à la tragédie de la guerre ?

J'ai trouvé la deuxième partie du livre dramatiquement poignante. Un homme ne peut rester indemne après avoir été le témoin de tels horreurs et le lecteur va découvrir les séquelles sur Georges et sa famille d'un tel traumatisme. N'étant pas une grande spécialiste de ce conflit, j'ai eu quelques difficultés à identifier les différents belligérants et leurs motivations propres. Cela ne m'a évidemment pas empêchée de trouver le message de ce roman très justement élu Prix Goncourt des Lycéens 2013, d'une grande et belle ambition. Au cours de cette lecture, le cœur du lecteur passe par toutes les émotions, de l'espoir à l'anéantissement. J'ai malheureusement déploré que la volonté de paix ne fasse pas le poids fasse à la cruauté de l'homme poussé par le désir de vengeance. Un livre d'un réalisme profond, d'une écriture nerveuse qui signe l'urgence, qui mérite un 17/20.
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Ce livre est très fort. le récit est simple : un metteur en scène veut monter l'Antigone d'Anouilh à Beyrouth dans les années 80. Sa mission échoue presque, mais il passe le relais à Georges, le narrateur qui accepte par amitié. La distribution est savamment composée d'acteurs des différentes parties. La grosse partie du récit consiste à réunir les comédiens en subissant des brimades, humiliations, menaces. Lorsque le destin est scellé, les répétitions se déroulent dans un théâtre à ciel ouvert criblé de balles. le propos théâtral est ainsi plus présent dans ce passage du livre. L'espoir de créer une trêve pour donner une représentation unique quitte le royaume du rêve pour quasiment devenir un espoir ; mais la violence et la guerre ont le pouvoir. Je vous passe le dénouement tragique à la limite du supportable. Contrairement à certains auteurs écrivant sur ce thème, nulle complaisance malsaine dans la violence, la provocation ou la moralisation. Les aller-retours entre les personnages et les habitants sont bien dosés. du haut de ce quatrième mur, le lecteur se sent impuissant et doute de plus en plus sur le projet de Georges. le conflit est si fort, si long... L'écriture ciselée et profondément juste nous dérange parfois. le retour à la réalité parisienne est pour moi l'un des passages les plus violents, lorsque Georges découvre les luttes dérisoires après ce qu'il a vu là-bas... Comment sortir grandi de ce genre d'expérience ? Comment ne pas céder au désespoir et à l'enlisement fatal ? le théâtre peut-il encore changer les choses ? Vous vous doutez des réponses, mais si vous n'avez pas lu cette histoire, vous ne savez pas à quel point l'auteur arrive à nous emmener dans cette utopie. Un grand auteur, à suivre !
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« Ouvre l'oeil et regarde, tu verras ton visage dans tous les visages. Tends l'oreille et écoute, tu entendras ta propre voix dans toutes les voix. » Khalil GIBRAN – poète et peintre libanais.
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Le quatrième mur est un roman tragique et puissant.

« Une volée de marches, un drapé de rideau, une colonne antique. C'est le dépouillement, la beauté pure ».
Résistante et fière Antigone.

La fraternité et l'amour - La liberté et la lutte – La violence et la douleur – Un décor de feu et de sang, de larmes et de terre. Réalité de la guerre dans toute son horreur.

« Tu as croisé la mort, mais tu n'as pas tué, a murmuré le vieil homme (…) Et je n'ai pas osé lui dire qu'il se trompait ».

Qu'adviendra-t-il d'un rêve de scène dans une ville théâtre de tragédie …

« J'étais entrée en violence pour défendre l'humanité ». Son ami lui rétorquait « La violence est une faiblesse ».
Georges a la hargne de défendre ses idées, atteint physiquement, sa colère reste intacte.
Il était chagrin et colère, Samuel, son ami, son frère, gaîté et sagesse.

Le Liban - Beyrouth - Au coeur d'une ville qui n'est alors que le théâtre de la violence et des combats, mettre en scène « Antigone » d'Anouilh semblait ubuesque, Georges portera cette idée belle et folle héritée de son ami Samuel. « C'était sublime. C'était impensable, impossible, grotesque ». Mais c'était une promesse faite à un frère.

« La guerre était folie ? Sam disait que la paix devait l'être aussi. »
Imaginer une scène sur une ligne de front. le théâtre pour faire taire la guerre quelques instants...
Une représentation – instant de trêve – dans une ville puzzle, une pièce avec des acteurs de tous les camps pour une suspension du temps dans une ville fragmentée.

« Retrancher un soldat de chaque camp pour jouer à la paix. Faire monter cette armée sur scène (…)
Demander à Créon, acteur chrétien, de condamner à mort Antigone, actrice palestinienne. Proposer à un chiite d'être le page d'un maronite. »

L'espoir d'un répit dans la tourmente des combats et de la mort qui rôde…
Mais les bombardements vont faire de Beyrouth un théâtre de martyrs suppliciés dans un décor meurtri, de débris d'obus, de massacres, de destruction – pays exsangue et dévasté aux cèdres spectateurs silencieux du désastre.

Un quatrième mur pour se protéger de la peur, de la mort…
Mais qu'en sera-t-il des rêves, des promesses, des traumatismes, au milieu de cette guerre…

L'analogie avec « Antigone » est très troublante et magnifique, une violence inouïe.
C'est d'une poésie désespérée et d'une beauté tragique.
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Quelle découverte ! Quelle sensibilité chez cet auteur que je commence à peine à lire.
C'est d'une intensité redoutable.
J'ai trouvé ce roman bouleversant, j'ai ressenti de profondes émotions lors de ma lecture. J'en ressors ébranlée.
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