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L'idéologie communiste n'était pas pour nous une chose extérieure, imposée de force. Pronfondément enracinée dans notre conscience, elle était devenue
une norme générale, la règle quotidienne de la vie soviétique. Elle semblait naturelle et donc indestructible. Certains ne l'acceptaient pas , mais ils menaient une double vie, passant un compromis avec les lois de la société tout en tenant de conserver leur souveraineté intérieure. Autrement, il était impossible non seulement de vivre, mais simplement de survivre. Les solitaires qui se soulevaient le payaient très cher, de leurs vies parfois. Le combat se déroulait dans l'esprit, la conscience et l'âme de chaque personne. Nous n'eûmes pas tout de suite la révélation que les drapeaux rouges qui flottaient sur nos têtes balisaient en fait le passage du troupeau, de notre troupeau. Mais ceux qui ne ne voulaient pas en faire partie, qui comprenaient que la voie vers le communisme n'était qu'une impasse, savaient que là où les sorties étaient possibles, des gens armés, des gardes spéciaux, les attendaient pour les remettre à leur place ou les liquider. Il a fallu quelques décennies et trois générations pour comprendre qu'il y avait trop de sang versé, que tout était trop rouge autour de nous.
Le KGB avait de bonne raisons de les tenir éloignées de l'attention des curieux: elles contenaient le arrêts de mort et les actes de l'exécution émanant des organes judiciaires et extrajudiciaires de l'ancienne URSS. Bref, les listes des fusillés.
La parole et la plume ont toujours occupé une place exceptionnelle dans la vie russe. Alexandre Herzen appelait la littérature "le second gouvernement", l"autorité vraie. En Russie, plus qu'un art, elle a toujours été une sorte de parlement social qui compensait l'absence d'un véritable parlement politique en se faisant la voix de la conscience et de la vérité.
Et quel crime est-il prêt à avouer ? La stérilité créatrice. Pourtant, la quantité de manuscrits confisqué montre qu'il publiait peu, mais écrivait beaucoup. Il n'était pas non plus un adversaire du pouvoir soviétique, bien qu'il ne le servît point. Artiste avant tout, il servait son propre talent et sa vocation.
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Quant à mes idéaux, je ne liais pas au parti, mais aux valeurs humaines : les idéaux du bien, le désir que les gens soient libres dans leurs pensées et actes, mais naturellement dans les limites admissibles par la société, sans porter atteinte aux autres.