L'auteur ne se départit jamais d'un ton très polémique qui semble peu approprié au sujet. Chesterton semble intriqué dans une bataille contre tel ou tel courant de pensée de l'Angleterre de son temps, et y consacrer une énergie plus grande que celle qu'il consacre à éclaircir le fond de la pensée de saint Thomas. On n'apprend pas grand chose si l'on connait déjà le proverbe. Pour une ligne consacrée à l'auteur, il faut en lire 10 de bons mots et d'effets rhétoriques rapidement lassants.
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Quelques grands personnages ont marqué l'histoire : saint Thomas d'Aquin est l'un d'eux. Il est vrai de dire qu'il est un très grand homme qui a réconcilié religion et raison ; ouvert les voies à l'expérimentation scientifique ; rendu aux sens leur dignité de fenêtres de l'âme et à la raison son droit divin à se nourrir de fait ; affirmé que la foi devait s'assimiler à la substantifique moelle de la plus dense et de la plus pragmatique des philosophies païennes. C'est un fait, l'Aquinate livrait bataille en stratège digne de Napoléon pour la vraie lumière et la vraie libéralité, si on le compare avec ses rivaux ou d'ailleurs ceux qui lui succédèrent ou l'évincèrent. Ceux qui, pour diverses raisons, ont cru devoir accepter la Réforme devaient néanmoins faire face a cette évidence que le Scolastique était le vrai réformateur et que les réformateurs protestants n'étaient en comparaison que des réactionnaires.
Oui, le contraste est flagrant et parfois comique entre ces deux compagnons, l'un gros l'autre sec, l'un grand l'autre petit ; entre le vagabond et l'étudiant, le commis et l'aristocrate, l'ennemi et l'amoureux des livres, le plus abrupt de tous les missionnaires et le plus doux de tous les professeurs. Il n'en reste pas moins que le fait majeur qui dominent le Moyen Âge fut qu'ils travaillèrent à la même œuvre, l'un par la pensée, l'autre dans les rues. Ils n'introduisaient rien de neuf dans le christianisme, au sens d'y glisser un relent de paganisme ou d'hérésie. Au contraire, ils rechristianisaient la chrétienté. Ils ramenèrent le christianisme malgré certaines tendances historiques pétrifiées par maintes écoles et autorités considérables de l'Eglise. Ils utilisèrent des instruments et des armes qui paraissaient à beaucoup paganisantes ou hérétiques. La nature fut pour saint François ce qu'Aristote fut pour saint Thomas. Certains estimaient qu'ils avaient recours à une divinité et un sage païens. Ce que tous deux firent en réalité constituent l'objet principal de ce livre. Il est bon de pouvoir comparer Thomas à un saint plus connu et moins intimidant car cela permet de considérer son œuvre de la façon la plus simple. Il paraîtra paradoxal, peut-être, de déclarer que ces deux saints nous ont délivrés d'un cauchemar effrayant, le pur spiritualisme. Il est à craindre que je sois mal compris si je professe que, par son amour des animaux, saint François nous a sauvés d'être bouddhistes et que, par son amour de la philosophie grecque, saint Thomas nous a protégés d'être platoniciens. Le mieux donc est de dire la vérité sous sa forme la plus simple : ces deux grands saints ont réaffirmé l'Incarnation et ramené Dieu sur terre.
« Existe-t-il quelque chose ? » À cette question, saint Thomas commence par répondre : « Oui ». S'il commençait par répondre non, ce ne serait pas le commencement mais la fin. C'est ce qu'un certain nombre d'entre nous appelle le bon sens. Ou il n'y a ni philosophes ni philosophies, ni penseurs ni pensées, ni rien, ou il y a un réel jeté entre l'esprit et la réalité. Quant à ce que suppose son premier pas, saint Thomas est moins exigeant que nombre de penseurs, beaucoup moins que la plupart des rationalistes et des matérialistes. Nous allons voir qu'il se satisfait de dire que sa réponse implique la reconnaissance de l'Ens ou Etre comme quelque chose d'absolument extérieur à nous. L'Ens est l'Ens. Les œufs sont les œufs. Il est impossible de soutenir que tous les œufs proviennent d'un merle blanc.
A l'intellectuel morbide de la Renaissance qui s'interroge : « Etre ou ne pas être ? Telle est la question », le massif docteur médiéval répond d'une voix de tonnerre : « Etre ! Tel est la réponse. » Cela vaut qu'on y insiste. Car il ne faudrait pas croire, ce que l'on fait volontiers, que la Renaissance marque le moment où l'on commence à faire confiance à la vie. C'est l'époque au contraire où, pour la première fois, quelques esprits commencèrent à désespérer de la vie. Le Moyen Âge avait mis des freins à l'universel appétit de vivre qui tournait parfois à la fureur de vivre. Les freins furent quelquefois exagérément serrés il est arrivé que des interdits soient promulgués en termes brutaux, voire carrément féroces. Mais ils servaient à contenir une force naturelle très puissante : la force d'hommes qui veulent vivre. Avant l'apparition de la pensée dite moderne, on n'avait jamais eu à combattre des hommes qui désiraient mourir.
La vérité est que l'Eglise catholique commença par être platonicienne – peut-être même trop. L'air doré de la Grèce que respirèrent les grands théologiens grecs étaient saturé de Platon. Les Pères de l'Eglise furent plus authentiquement néo-platoniciens que les néo-néo-platoniciens de la Renaissance. Chrysostome ou Basile pensent tout naturellement Logos ou Sofia, qui est le mot des philosophes, comme n'importe quel tenant d'une religion actuelle pense question sociale, progrès et crise économique mondiale. L'évolution intellectuelle de saint Augustin, qui fut platonicien avant d'être manichéen et manichéen avant d'être catholique, suit une courbe naturelle. C'est ici exactement que l'on peut apercevoir la première faille, le signe avant-coureur du danger d'être trop platonicien.
"[…] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux.
[…] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes.
[…] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions.
[…]" (Roland Jaccard.)
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Référence bibliographique :
Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration :
Marquise de Lambert : https://de.wikipedia.org/wiki/Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles#/media/Datei:Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles.jpg
George Bernard Shaw : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Bernard_Shaw#/media/Fichier:G.B._Shaw_LCCN2014683900.jpg
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