Tressage entre Crab, sa geste, quelques commentaires acides d'une voix, et l'entretien de cet écrivain, dont il serait peut-être la main droite, et d'une journaliste qui veut savoir pourquoi ce qui est écrit est étrange, ou absurde, enfin qui fait son boulot, avec une pointe d'agressivité peut-être.
Et Crab est lui-même si Crab peut-être cerné, mais il est tel qu'on l'aime, même terrible. Et surtout l'écrivain en profite pour dire ce qu'il pense du roman etc... et c'est à lire, pour la délectation, mais pas uniquement.
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On eut recours aux méthodes d’auscultation les plus perfectionnées et c’est ainsi que furent détectées enfin ses nombreuses malformations congénitales – du jamais vu : à la place supposée de son estomac, en effet, Crab avait un cœur, à la place de la rate, un autre cœur, à la place du foie, un autre cœur. On distinguait très nettement deux cœurs sur les radiographies là où auraient dû se trouver ses poumons, et deux autres plus petits là où auraient dû se trouver les éléments de sesoreilles internes ; quant à son pharynx, un cœur en assumait vaillamment les fonctions.
La métaphore, voilà une belle figure de la liberté dont nous jouissons, ou plutôt que nous pouvons prendre malgré elle à l’intérieur de la langue. J’aime détourner celle-ci de son usage, la détourner de l’usage, et la métaphore permet justement de créer cet écart maximum entre le mot et son objet qui mesure aussi notre marge de manœuvre dans un monde ordonné par le verbe. C’est toujours une construction extrêmement fragile, puisque édifiée par un seul homme dans une langue inventée par le génie de tout un peuple au cours des âges. Cette fragilité, et cet aplomb pourtant, m’émeuvent grandement, sans mentir. Quand je lis une métaphore réussie, j’éprouve aussitôt qu’un espace nouveau s’ouvre pour ma conscience, un lieu mental de plus pour elle où se retourner et faire face.
Crab, quand il fend la foule, c’est comme un fleuve traversant un lac, il se mélange pour de bon aux hommes et aux femmes qui la composent : à celui-ci il va laisser son propre bras, ou quelques-uns de ses doigts à celle-là qui du coup en aura la main pleine et certainement plus qu’il n’en faut ; telle autre en revanche lui cédera une jambe, parfois une jolie jambe, nue, galbée
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Le roman étouffe toute velléité de révolte. On y vérifie à quel point notre imagination est vaine et comme notre pensée toujours bute contre l’os du crâne. Le romancier décrit avec enthousiasme le piège dans lequel nous nous débattons tous. L’écrivain n’a-t-il pas un meilleur usage à faire de son pouvoir ? Le crabe est-il armé de pinces pour tricoter la nasse ?
Oui, selon ce tracé, on ne peut plus passer de Suède en Norvège sans prendre douze mètres d'élan… Il ne sera bientôt plus possible d'échanger autre chose que des ballons d'un pays à l'autre… Une triste période s'ouvre pour l'import-export
«Bêtes de littératures» avec Éric Chevillard
Hérissons, orangs-outans, tortues, flamants roses, insectes… Les bêtes peuplent les livres d’Éric Chevillard. S’interrogent à cette occasion les enjeux de la présence d’animaux, et par là d’altérités non humaines, dans la littérature. Comment rendre compte, avec l’écriture, d’intensités animales au-delà de l’allégorie ou de la fable ? Donner vraiment la parole aux animaux, est-ce pour autant se couper du symbolique ? Et l’humour dans tout cela ? L’entretien sera ponctué d’une lecture d’extraits de «Zoologiques» (Fata Morgana, 2020).
- Modération : Sandra de Vivies
La Fondation Jan Michalski, le 11 septembre 2021
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