Merveilleux roman de Colette Laussac, historienne, juriste et enseignant le droit à Toulouse. Elle nous fait revivre ici les horribles persécutions dont sont victimes les gens dans le pays Cathare jusqu'à la mise au bûcher, broyés par l'implacable machine inquisitoriale.
Son écriture est riche, poétiques, pleine de pudeur et de retenu, lorsqu'elle décrit la vie intense de ces bergers, leur métier comme leurs sentiments et leur croyance. le roman est fluide et coule comme l'eau pure d'un ruisseau. C'est un bonheur de se plonger dans sa lecture : on vit un autre temps où tout semble ralenti et j'ai eu véritablement l'impression de vivre la nature et la vie de ces pauvres gens avec intensité. Il est resté en moi comme un écho, une résonance et je ne me promène plus en Pays Cathare de la même manière. Chaque pierre, chaque ruine, chaque château me rappelle le calvaire qu'ont vécu ces gens au nom du Dieu de la Sainte Inquisition.
Dans ce roman, nous suivons la vie de Guillaume Fort, berger de son état, qui sera jugé une première fois, et contraint au port des croix et à la discipline publique. Puis jugé une deuxième fois et condamné au bûcher, en 1321 à Pamiers. Nous découvrons au fil de son histoire tous ses sentiments et ressentiments face à l'injustice qui tombe sur lui et ses concitoyens.
..."Le petit miracle de ce roman, l'accord parfait entre l'esprit de son histoire et son expression..."
Commenter  J’apprécie         20
Tous les dimanches, je devais quitter le troupeau pour aller à la messe, écouter le sermon et recevoir la discipline. De même aux processions et aux trois grandes fêtes de l'année : Pâques, Pentecôte et la Nativité où je devais, de plus, me confesser.
Chaque fois, j'avais envie de hurler, de révolte et de haine. De quel droit me faisaient-ils subir un tel sort ? Au nom de leur Dieu de bonté ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas laisser les honnêtes gens en paix ?
Dans ma haine, je les voyais morts, brûlés eux aussi sur place publique comme ils le faisaient des nôtres. Le curé qui portait beau et menait grande vie, emprisonné, la bedaine fondue au régime du pain et de l'eau, sa belle assurance envolée. Je leur faisait connaître les pires tortures, ongles arrachés, langues et sexes coupés, ce n'était que justice.
Je me fermais, de plus en plus taciturne et difficile de caractère.
Le vieux Pons me disait :
_ Mon garçon, cela ne sert à rien, si ce n'est à t'empoisonner la vie. Que t'importent ces châtiments ? Ils n'atteignent que ton corps, pas ton âme... Tu es toujours libre dans ta tête, aucun homme n'a jamais pu en asservir un autre.
C'était des mots, seulement des mots. Pour l'heure, je ne pouvais les entendre.
Les curés. Une gent d'excréments à la belle robe et aux bonnes paroles, à l'aspect et au poil luisant mais l'âme sale de toutes les bassesses. Courant après les femmes, celles des autres de préférence. Usant de leur pouvoir pour les contraindre à prêter leurs services. Des feignants, des sangsues qui se nourrissent de la sueur du pauvre monde et qui au prêche font la morale sans jamais l'appliquer à eux-mêmes.
Le curé de Roquefixade, fort heureusement pour nous, fermait les yeux et les oreilles sur tout ce qui se passait au village : déviations dites hérétiques, réunions dans les maisons autour d'un parfait, lui-même croyant de nôtre foi, abondance de biens ne nuit pas, mieux vaut être en bons termes avec tout le monde.
A cause de cela, on lui pardonnait peu ou prou ses abus de pouvoir, sauf quelques maris rancuniers.
Certainement le vieux Pons a-t-il pressenti ma tristesse.
_ Guillaume, mon garçon, a-t-il continué, les temps sont durs, l'heure n'est plus au choix, depuis longtemps. L'inquisition se fait de plus en plus pressante, plus terrible que jamais, afin de nous faire disparaître tous. Un à un, jusqu'au dernier d'entre nous. Je crains que notre foi ne survive pas à une telle cruauté, à un tel acharnement...
Je n'ai rien répondu. Je ne voulais pas le contredire, assuré, avec l'inconscience et le feu de la jeunesse, que cela ne pouvait jamais être.
J'ai perçu la voix de mon compagnon de geôle.
_ Garçon, disait-il, n'oublie jamais, chaque jour que Dieu fait, de bien regarder autour de toi. De savourer chaque instant, il peut être le dernier. Afin qu'au jour de ta mort, tu n'aies aucun regret. Et puis, tu penseras à moi, très fort. Peux-être de mon cachot pourrais-je voir par tes yeux...
J'ai compris depuis que les leçons de vie sont donnés par les femmes. Elles seules savent dissocier l'essentiel de l'inutile.