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Ce recueil, le dernier de Julio Cortazar (1966), est une merveille. Chaque nouvelle est différente dans sa forme ciselée comme dans son contenu.
Parmi les huit "contos" j'ai préféré :

1.L'Autoroute du Sud
Ce n'est pas un récit réaliste, mais plutôt une parabole du monde moderne qui prend les allures d'une chronique. Elle n'a rien perdu de sa pertinence avec en plus une belle saveur 60's. Comme souvent, Cortazar plonge des gens normaux dans une situation anormale.
Dès le début nous sommes au milieu d' un gigantesque embouteillage sur la fameuse autoroute du Sud qui aurait dû conduire les automobilistes à Paris au retour des vacances. Les personnages n'ont aucune nouvelle par la radio. Ils sont coupés du monde et le temps est comme suspendu. Des gens qui ne se connaissaient pas, qui ne se regardaient pas, qui regardaient fixement vers l'avant en conduisant à toute allure vont devoir vivre ensemble pour un temps absurdement dilaté, en vase clos.
Dans cette petite communauté, les personnages anonymes sont désignés par leur auto, ce qui bien entendu rapellera de bons souvenirs à ceux qui ont connu ces marques . On trouve l'ingénieur à la Peugeot 404 ( le personnage principal), deux religieuses en 2 Chevaux , la jeune fille à la Dauphine (bien séduisante) , le monsieur pâle au volant d'une Caravelle, un couple marié avec leur fille en Peugeot 203 , un soldat et sa femme en Wolkswagen, un couple de paysans en Ariane, deux gamins agaçants en Simca, deux hommes avec un enfant blond dans une Taunus, etc. On spécule sur les raisons de l'accident, on descend pour se dégourdir les jambes, on explore l'environnement (les autres groupes, les fermiers craintifs du coin, les riverains hostiles), on entend des rumeurs parfois dramatiques et souvent contradictoires. Et puis on a soif, on commence à avoir faim etc : il faut agir collectivement. On improvise des modes d'organisation. Une certaine solidarité s'installe, on aide les plus faibles : les vieux, les malades, on noue quelque romance (sur l'autoroute des vacan-ances), on se fait des copains mais on rencontre aussi de la mesquinerie, des tensions, de la violence, des drames, l'imprévu, la mort. La situation semble s'éterniser. Il n'y a aucune référence directe au temps écoulé, les saisons semblent défiler ( la canicule du début fait place à la pluie, à la neige) et les événements parfois dramatiques sont invraisemblables (pas de pompiers, pas d'hélico). Les personnages anonymes, indifférents, prisonniers sans le savoir de leur mode de vie agité et de la modernité s'humanisent. L'embouteillage, phénomène improbable, les révèle, on les suit, on s'intéresse à eux, on s'enthousiasme pour l'utopie communautaire, l'entraide, la fraternité, l'amour... Et puis soudain, il se passe un événement exceptionnel...
Cette histoire est très réussie et vraiment sympa à lire.

2. La santé des malades
Célia va mourir. Avant cela les membres de la famille ont caché à leur mère cardiaque que son fils préféré Alexandre était décédé. Ils ont crée toute une vie fictive au défunt par lettres interposées pour épargner la mère. Tout le monde y a trouvé son compte en particulier la mère qui a des nouvelles régulières de son fils chéri et l'autre fils qui se substitue à l'aîné, mais voilà maintenant il faut lui dissimuler les malaises et la mort de sa fille Célia évoqués succinctement entre parenthèses...Cortazar manie l'humour noir jusqu'au coup de théâtre final.

5.L'île à midi.
La nouvelle raconte l'obsession de Marini, un jeune steward, pour une île grecque qu'il aperçoit tous les jours à la même heure sur la ligne Rome Téhéran.. Cette fascination est telle qu'il décide de s'y rendre et de de vivre avec ses habitants...Fantasme ou réalité ? Les deux plans se chevauchent jusqu'à la chute finale.

6. Directives pour John Howell
J'ai écouté Directives pour John Howell, interprétée par la comédienne Loleh Bellon. J'ai vraiment beaucoup aimé cette écoute d'autant plus que le récit se passe au théâtre. La première phrase annonce la couleur: « "Un théâtre n'est rien d'autre qu'un pacte avec l'absurde". Comme souvent chez Cortazar, le texte joue sur le thème du double, entre illusion et réalité. Et puis il réserve bien des surprises.
Rice assiste au premier acte d'une pièce bourgeoise médiocre qui l'ennuie profondément. A l'entracte, un homme en gris s'invite dans sa loge et le somme de l'accompagner en coulisses. Rice le suit sans savoir s'il s'agit d'une plaisanterie ou non. L'homme lui dit qu'il doit jouer John Howell, le mari d'Eva, qui le trompe avec Michael. On le coiffe d'une perruque et on lui enfile des lunettes d'écailles. Rice proteste, il n'est pas acteur. Justement, répond l'homme, il n'est pas acteur il est Howell. Il peut faire ce qu'il veut sur scène. Et ils le poussent sans le pousser sur la scène. Il se sent nerveux, crispé, Eva lui tend sa main froide, le fait assoir, le rassure, les mots s'enchaînent comme un château de cartes ». Mais, à la fin de ce deuxième acte elle chuchote à son oreille : « Empêche-les de me tuer »…
Le récit est fameux, difficile de vous en parler sans dévoiler les péripéties et la vertigineuse mise en abyme du texte, qui va au-delà du récit fantastique traditionnel. Cortazar instille dès le début un climat d'angoisse et conditionne le lecteur à penser qu'il y aura un meurtre. Mais la phrase d'Eva fait-elle partie de la pièce ou de la réalité ? Cette phrase restera dans un coin de votre tête. Comment réagira Rice-Howell sur les deux plans ? Va-t-il jouer banalement, comme une marionnette ou bien improviser sans suivre les directives comme le ferait un acteur de premier ordre ? Va-t-il continuer à accepter les directives menaçantes ou se rebeller ? Et après pourra-t-il reprendre sa place de spectateur banal et désabusé qui regarde un mauvais acteur jouer ou devra-t-il fuir pour sauver sa peau ? Tout au long de l'histoire, il se pose des questions concernant sa servilité et sa lâcheté ainsi que sur les limites de sa liberté d'action. Cortazar semble s'adresser au spectateur et/ou au lecteur peu exigeants qui se laissent facilement embobiner mais peut-être pense-t-il également aux comportements des gens sous une dictature ou dans la vie en général.
La fin est ouverte, Cortazar ne donnera évidemment pas de directive.
C'est vraiment une nouvelle riche et je suis curieuse de connaître votre opinion.

7.J'ai écouté sur mon vélo la nouvelle Tous les feux le feu magnifiquement interprétée par André Dussolier. Et j'ai beaucoup aimé. Laissez-moi reprendre mon souffle. Un coup d'eau. Voilà. Alors il y a une double histoire. La première se déroule dans une arène de la Rome antique où s'affrontent des gladiateurs sous le regard apparemment blasé du proconsul, de sa femme Irène et de leur amie . Irène est secrètement amoureuse du beau Marco (qui semblera secrètement téléguidé par l' intelligence d'Irène dans son combat ) mais son mari pour l'humilier (quel salopard, je le verrais bien incarné par Peter Ustinov) lui a donné un adversaire redoutable et inattendu. Son amie a parié sur lui. Irène sourit pour donner le change. Dans la seconde histoire, on est à Paris au XXe siècle. Jeanne téléphone à son mari Roland, alors qu'elle vient d'apprendre qu'il la trompe avec leur amie Sonia. A côté d'elle son chat et un tube de comprimés. Leur conversation est parasitée par une étrange dictée de chiffres. Les deux histoires se font écho et fusionnent à la fin. du grand art.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/andre-dussollier-lit-tous-les-feux-le-feu-de-julio-cortazar-9474207
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TOUS LES FEUX LE FEU de JULIO CORTAZAR
Des nouvelles qui semblent bien banales et qui finissent dans le cocasse ou l'insolite.
1. L'autoroute du Sud, retour de week-end sur 6 files sur l'autoroute, on avance à petits pas, la 2 CV des bonnes soeurs, la 404 de l'ingénieur, la dauphine de la jeune fille, le soldat Volkswagen et la Taunus, l'Anglia, la DKW et quand plus rien ne bouge, alors des liens se tissent d'une voiture à l'autre, on prend rendez-vous, les rumeurs enflent, un avion s'est écrasé sur la route , on est bloqués pour des jours…
2. La santé des malades. Tante Clelia est malade mais est préoccupée par sa maman, très malade, il ne faut pas qu'elle apprenne son problème surtout qu'il y a déjà la mort d'Alexandre qu'on lui a caché, mort en Uruguay elle le croit au Brésil, l'oncle lui écrit des lettres mais maman s'étonne, Alexandre n'utilise pas le petit nom qu'elle lui donnait…
3. Réunion. Souvenir d'un débarquement pour atteindre la Sierra Maestro, 60 morts sur 80 dans les marécages par des avions en piqué, et puis Luis qu'on croyait mort, retrouvé…
4. Directives pour John Hanell. Rice va au théâtre voir une pièce genre absurde, il aime bien mais trouve le premier acte ennuyeux. On vient le chercher dans sa loge et on lui dit qu'il va jouer le deuxième acte, il ne comprend pas mais n'a pas le choix, il doit improviser…
5. Tous les feux le feu. le proconsul et sa femme Irène regardent les jeux du cirque dans une odeur de sang et de fumier, les arènes prennent feu avec des jarres d'huile alors que de nos jours, Jeanine parle à Roland de Sonia qui doit venir, éteint mal sa cigarette et met le feu à l'appartement…
6. L'autre ciel. Il est courtier en bourse, fiancé à Irina, il flâne le soir avec Josiane sa copine rousse dans le quartier où Laurent assassinait des jeunes femmes…
On navigue du comique au tragique, de Paris à Buenos Aires, Cortazar nous entraîne à sa suite dans des aventures aux accents quotidiens pour les transformer anecdotes inquiétantes.
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Julio Cortazar excelle dans le récit court . Il a, de plus, la capacité d'attirer son lecteur dans sa toile à partir de situations banales : un embouteillage (L'autoroute du sud) , une vieille femme à qui l'on ment pour préserver sa santé( La santé des malades) , une opération de l'appendicite (Mademoiselle Cora) , un soir au théâtre (Directive pour John Howell) , une île vue du ciel (L'île à midi).Peu à peu s'insinue le doute , la fêlure dans le réel , l'angoisse. Deux nouvelles (« Tous les feux le feu » et « L'autre ciel » ) brouillent la temporalité. « Réunion » , enfin,nous plonge dans la guérilla cubaine sur un air de Mozart. J'adore.
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Avec ce recueil de huit nouvelles, je découvre cet auteur emblématique de la littérature sud-américaine. J'ai longtemps cru que le réalisme magique n'était pas pour moi. Alors si c'est ça, je me rétracte parce que j'adore ça. J'ai été fort impressionnée par l'écriture de Cortázar qui met l'expérimentation formelle au service d'histoires très originales.

Tous les textes du recueil sont excellents et je pense que les préférences dépendront des affinités de chacun. Mes nouvelles favorites sont La santé des malades et Mademoiselle Cora. Dans la première, les proches d'une vieille dame malade préfèrent lui cacher les malheurs qui s'abattent sur la famille, ce qui les entraine dans une spirale infernale de mensonges. Dans la seconde, une jeune infirmière s'occupe d'un adolescent hospitalisé pour « une petite opération de rien du tout ». Cette nouvelle illustre bien le style singulier de l'auteur. La narration passe subtilement d'un personnage à l'autre, parfois dans une même phrase, pour donner accès aux pensées intimes des protagonistes qui se font face. J'ai moins aimé la nouvelle Réunion, par son thème de la guérilla. Dans plusieurs nouvelles, des glissements s'opèrent entre différentes consciences ou différents espaces-temps. de manière générale, leur lecture exige une attention particulière, mais je l'ai trouvée fascinante et elle m'a procuré beaucoup de plaisir.
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Je ne sais pas pourquoi, mais je me doutais que ça allait marcher entre monsieur Cortazàr et moi, et résultat, ça n'a pas manqué : j'ai eu un gros coup de coeur pour "Tous les feux le feu".

Avant de parler des 8 nouvelles présentes dans ce recueil, je dois dire que ce que j'ai adoré par dessus tout, c'est la plume de l'auteur : Julio Cortázar est un écrivain argentin, principalement "surréaliste" tout comme pouvait l'être Jorge Luis Borges, mais plus ludique dans l'écriture que celui-ci. La plume de Cortazàr m'a conquise car tout en étant abordable, elle reste très originale et reconnaissable entre mille, ceci par la présence de petits détails. On a souvent de très longues phrases sans ponctuations rapportant des dialogues indirectes, une plume tantôt comique tantôt tragique qui peut basculer très vite d'un ton à l'autre, et un réalisme magique à peine effleuré dans certaines histoires, qui rajoute une saveur toute particulière à l'ensemble de ses récits.

Mais ce n'est pas que cela qui a rendu ma rencontre avec cet auteur excellente, car parmi les 8 histoires présentes dans ce recueil, pas une seule ne m'a déçu. Si je dois vous parler de mes 3 préférées :

- "L'autoroute du Sud" est ma nouvelle préférée du recueil. le pitch : des automobilistes se retrouvent coincés dans un embouteillage de plusieurs jours et doivent s'organiser dans leur micro-société pour survivre. La situation est absurde, mais le récit est extrêmement puissant : en 30 pages, je me suis attaché à l'intégralité des personnages et j'ai eu beaucoup de peine à devoir les quitter. D'ailleurs, tous ces personnages nous sont présentés un peu abruptement au début et il faut s'accrocher (ce que l'auteur fait aussi dans d'autres nouvelles de ce recueil) ; cela peut paraître déstabilisant mais j'ai trouvé ça extrêmement original. Tout est absolument génial dans cette histoire, c'est une claque.

- "Directives pour John Howell" : ici c'est le côté absurde et comique de la plume de l'auteur qui est présenté : un homme se fait recruter dans le public au dernier moment pour jouer la pièce de théâtre qu'il est venu voir, à la base. Beaucoup de flou et d'humour dans cette histoire, c'est ce que j'ai adoré.

- "Tous les Feux le Feu" : La nouvelle qui donne le titre au recueil, basé sur une double temporalité entre un combat de gladiateurs et une histoire d'adultère contemporaine (!). Encore une fois très originale, qui commence de façon déstabilisante et finit tragiquement. Je pense que c'est d'ailleurs le fil rouge que l'on peut retrouver entre toutes les nouvelles de ce recueil, car à peu près toutes les histoires sont construites de cette manière.

Les 2 nouvelles abordant le thème de la guerre, "Réunion" et "L'autre ciel", ont une construction différente, où dans l'une l'auteur développe un peu plus le côté poétique de sa plume tandis que dans l'autre le lecteur est brouillé par le personnage principal qui arrive à voyager entre deux époques : la fin de la Seconde Guerre Mondiale à Paris et la fin de la guerre de 70 à Buenos Aires. Ce sont les deux nouvelles qui m'ont un peu moins marquées (même si ça reste excellent).

Avec cette découverte, je place Julio Cortázar dans la liste de mes auteurs préférés du moment (avec Dan Simmons et Ray Bradbury). Ça sera sûrement une de mes meilleures lectures de 2021, et je ne suis que joie d'avoir enfin pu découvrir ce recueil qui me faisait de l'oeil depuis pas mal de temps. Je vous le recommande absolument, c'est pour moi un petit bijou de la littérature espagnol.
Bon, sur ce je vous laisse, je pars dévorer l'intégralité des romans de l'auteur (en plus il paraît que "Tous les feux le feu" n'est pas le plus côté de ses livres, c'est génial non ?).
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Eh bien par pur hasard, après "Feu" de Maria Pourchet, j'enchaîne avec "Tous les Feux le Feu " de l'écrivain argentin Julio Cortazar, dont c'est ma première rencontre grâce au billet d'un ami babeliote c128057 ( agent secret babeliote 😁, aah ces pseudos !), que je remercie en passant. J'espère que ce Feu qui me poursuit est de bonne augure 😊!
Ceux sont des nouvelles, genre que j'adore ( je sais, peu apprécié sur Babelio 😊), et débute avec une histoire très forte avec une chute irrésistible, celle d'un embouteillage sur l'Autoroute du Sud ( le titre) , qui a d'ailleurs inspiré une comédie au cinéaste italien Luigi Comencini, "L'ingorgo". Un embouteillage surréaliste qui bloque la route pour une éternité va créer une micro société, où les personnages sont désignés par leurs voitures et où La Ford Mercury et une Porsche en profiteront pour faire du traffic de victuailles 😁.....
Par la suite on assiste à une pieuse comédie joué en famille, on rencontre Che Guevara asthmatique, sans ventoline qui débarque à Cuba avec 81 guérillas pour renverser Battista, un steward italien qui s'amourache d'une île grecque, un ado à l'hosto qui veut jouer les grands avec l'infirmière, un clin d'oeil au théâtre de Peter Brook,metteur en scène britannique qui jette les conventions du théâtre, le bon goût et le savoir-vivre, et propose des formes différentes, des récits improvisés,.....et dans la nouvelle qui donne son nom au titre, la tromperie, le jeu de dupes, la mesquinerie des hommes et la violence des sentiments qui finiront par tout embraser.

On n'est pas loin du fantastique, l'auteur change de genre d'une nouvelle à l'autre, brouille nos repères spatio-temporels et narratifs , joue sur des effets de style pour corser des anecdotes banales, bref c'est surprise à chaque coût et réjouissant !

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J'ai énormément apprécié ce recueil de nouvelles.

Je découvre Cortazar avec ces nouvelles et je suis définitivement tombé sous le charme de cet auteur argentin.

Outre une plume magnifique, il possède le don rare de pouvoir changer de narrateur au sein d'un même paragraphe, d'une phrase à l'autre, sans que cela n'altère en rien la lisibilité du récit. Cela m'a impressionné, une telle aisance d'écriture.

Je pense que 'Marelle' me tend les bras!

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Julio Cortázar, auteur argentin majeur du XXème siècle nous offre un recueil de nouvelles brillant et habile au ton surréaliste et onirique.


Le recueil démarre sur une scène d'embouteillage qui s'étire à l'extrême dans le temps, passent les heures puis les jours… La vie s'organise peu à peu entre conducteurs et passagers coincés sur l'autoroute. Après ce début marquant, suivent d'autres nouvelles également réussies comme La santé des malades (où les membres d'une famille cachent la mauvaise santé de son entourage à leur mère) ou encore Directives pour John Howell (où un spectateur trainé de force pour jouer une pièce essaie désespérément d'en changer la fin).


Dans toutes ces nouvelles, Cortázar joue avec les mots comme un pianiste virtuose joue avec les touches. Il manipule l'espace et le temps, place opportunément des effets de miroirs, joue sur la subjectivité des narrateurs et slalome entre la vie et la mort, le rêve, la fiction et la réalité. Comme pour son autre recueil Fin d'un jeu, il est exigeant avec son lecteur, l'obligeant souvent à prendre quelques minutes après chaque nouvelle pour en trouver le sens.


Un livre parfois déroutant mais aussi savoureux que subtil, un bon cru.
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Comment parler de cet étrange recueil de nouvelles ? Les histoires, les lieux, les personnages sont très différents pourtant on retrouve une trame commune : un bouillonnement. Je me suis perdue dans les noms propres, les prénoms, les époques, les lieux, les dialogues et les phrases parfois très longues. L'auteur, après avoir vous avoir plongé avec beaucoup de force dans une scène de la vie quotidienne, prend un malin plaisir à vous égarer, à vous amener à vous interroger, à relire la phrase précédente et à finir en vous laissant parfois pantois, parfois sur votre faim.

Je n'ai pas réussi (comme souvent dans les récits courts) à m'immerger complètement dans les histoires ou dans la psychologie des protagonistes.

Mais plus que le récit en lui-même, c'est l'exercice de style qui m'a séduite, par exemple dans Mademoiselle Cora, le changement de point de vue bascule d'un personnage à l'autre entre un adolescent émotif, une mère anxieuse et une jolie infirmière orgueilleuse chacun avec une intense palette d'émotions. le balancier s'accélère jusqu'à changer à l'intérieur même d'une phrase.

Une belle expérience littéraire
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Plus je lis Cortazar, et plus il m'impressionne par sa versatilité. Chez lui, chaque aspect du réel peut déchaîner une tempête d'idées. Au milieu de ces embruns, il érige sa petite île quasi-fantastique, située « à midi », comme le décrit la nouvelle centrale de ce recueil, qui est sans doute ma préférée.

Ses idées ne sont pas seulement des histoires, mais aussi des manières de les raconter : dans la nouvelle éponyme et dans « Mademoiselle Clara », Cortazar adopte un maillage de focalisations internes, qui se traduit par des va-et-viens incessants entre narrateurs, sans que le texte nous indique clairement qui parle. Je ne cache pas que c'est un peu épuisant à lire, mais l'intensité ainsi créée est assez fascinante, et confère à ces récits une dramaturgie digne du Colisée.

Cortazar rend aussi hommage à certaines figure tutélaires, comme celle du poète Lautréamont, qui hante le dernier texte. A qui d'autre pourrait se référer la figure de ce Sud-Américain dépourvu d'accent espagnol, tapis dans les passages nocturnes, en mal d'aurore ? Ses yeux de fantômes, tout à fait ailleurs, font dériver ce texte hors du temps et de l'espace (littéralement).

Et c'est vrai qu'il y a du Lautréamont chez Cortazar, dans ses phrases tortueuses, dont les virgules sont comme autant de volutes de la pensée, de l'imagination, qui se déploient à un rythme fiévreux, où le lecteur peut aisément se perdre ou se décourager, laissé sur le bas-côté de l'autoroute, comme le conducteur de la voiture "Floride" qui, excédé, quitte le recueil dès la moitié du premier récit, "L'autoroute du sud". Une impatience un peu regrettable mais compréhensible quand on n'adhère pas à ce nouveau rythme qui nous est imposé.

Et pourtant, ceux qui suivront Julio jusqu'au bout des embouteillages surréalistes de sa pensée pourront se surprendre à pousser des soupirs mélancoliques une fois chaque histoire achevée. Car dans ces machines à la route hasardeuse, il y a des humains pas si fantomatiques.
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