L'Empire de Seth est au bord du chaos. L'ordre établi depuis si longtemps menace de voler en éclat sous les coups de boutoir de ses opposants. Ainsi que de ceux venus de l'intérieur. Car des ambitieux veulent davantage de pouvoir, afin de guider le peuple dans une direction qu'ils jugent plus respectable, plus proche du credo divin. Mais le peuple est-il d'accord ? Et les autres dirigeants ?
La scène d'ouverture du premier roman d'une future trilogie (un tome par an, selon l'éditeur) donne le ton. Ici, sans conteste, l'avenir sera sanglant. La modernité se mêle à la pauvreté, l'espoir à la cruauté. Pas de pitié pour les faibles et les vaincus ! La première victime est un pauvre chat, égaré sur le rail du monorail, engin moderne mu par la vapeur, qui ne parvient pas à regagner la terre ferme à temps et finit réduit en purée. Il ne sera pas le seul. Car quand l'Histoire, avec un grand H, avance, elle ne s'embarrasse pas des misérables qui s'attardent sur sa route. Elle avance, aveugle à toute souffrance.
En effet, l'Empire vacille sur ses bases. le peuple, lassé de vivre dans la pauvreté et le mépris des plus riches, commence à gronder. Des escarmouches se multiplient. Mais ce n'est pas de là que partira la révolution. C'est d'en haut. Les puissants ne s'entendent plus : deux conceptions s'affrontent. Les fidèles du culte des dieux, amis du clergé et respectueux jusqu'à l'outrance de la tradition. Arsène de Virolles en est le parfait représentant et le chef incontesté, tant son pouvoir de nuisance est grand. Il connaît les secrets, il en use avec rigueur et sans aucune pitié. Face à lui, le prince Phébus, qui a renié ses pairs, pas pour tout briser, mais pour revenir à un Empire plus proche des dieux (eh oui, encore eux), tout en ne rejetant pas la modernité. Modernité que symbolise Alfred de Pergoal, noble en déchéance à cause de son amitié pour le jeune Phébus. Et aussi pour son inventivité phénoménale. Une grande partie des inventions qui bouleversent peu à peu le quotidien des habitants de Seth sort de sa cervelle. Et cela finit par jouer. D'autant que cette avancée de la science est associée à une remise en cause des dieux et donc, de l'ordre établi. Tout est là pour une explosion dévastatrice.
Et tiens, puisque l'on parle d'explosion, toute l'histoire commence par une scène puissante, lorsque Alfred de Pergoal se rend à une fête qui réunit tout le gratin de Seth. Il y est accueilli en paria et soudain, bien malgré lui, il se retrouve au coeur d'un attentat terrible qui fait des dizaines de morts, dans des conditions atroces. Son sort semble être scellé. Tout comme celui de l'Empire. Puisque cette explosion a servi de déclencheur : les forces en présence se mettent en branle. L'Empire a vécu.
L'Empire s'effondre.
Sébastien Coville a le verbe haut. Il aime les envolées lyriques, qui rappellent un peu les auteurs classiques du XIXe siècle. Un peu
De Balzac, avec ses descriptions vivantes, mais parfois longuettes, brillantes mais parfois pompeuses. Heureusement, le style n'est jamais amphigourique (eh oui, moi aussi, je peux lâcher quelques termes plus rarement sortis du dictionnaire). Et il s'en donne à coeur joie dans les descriptions de combats. Tant dans la préparation du décor : « L'aurore commençait à se le ver et fit blondir les épis dans les champs. Toute la nature était d'or, et la pierre blanchissait à vue d'oeil. L'été ondulait dans la brise chaude et caressante. » (page 411), que dans les combats eux-mêmes : « C'était une seule masse, une masse grouillante, vivante et galopante qui faisait vibrer l'air avant de fracasser les corps ; la charge était immense. » (page 418).
Sébastien Coville emprunte même parfois son rythme ternaire à
Victor Hugo. Vous savez, le rythme qui sonne bien à l'oreille : un nom accompagné de trois adjectifs (ou autres). Pas deux, pas quatre, trois. Il paraît que cela sonne mieux. Et je ne suis pas loin de penser que c'est vrai.
Un style classique et, pour le dire franchement, que j'ai trouvé un peu lourd au début. Mais, une fois l'histoire démarrée, je l'ai trouvé très adapté et parfaitement en phase avec le récit. Il permet de mener cette histoire avec efficacité et brio vers une direction que je n'attendais pas.
En effet, les dieux prennent une place de plus en plus grande, au fur et à mesure. de simples prétextes à des cérémonies, ils deviennent centre de la guerre : croyants contre non-croyants, religieux contre scientifiques. Et ils apparaissent, enfin, plus ou moins, comme protagonistes réels. Pas seulement des figures inventées par des hommes en mal de prise sur le monde ou de pouvoir sur leurs condisciples. Mais des êtres vivants, avec leurs pouvoirs et leurs particularités, mais aussi leurs liens tendus, leurs haines et leurs amours, leurs préférences et leurs dégoûts. Ce côté divin est à peine évoqué dans ce premier tome. Gageons qu'il le sera davantage dans les suites. Et je suis curieux de voir la direction choisie par l'auteur.
Car cela ne partait pas, pour moi, dans ce sens. En effet, le monde qui s'offre à nous est un monde très proche par beaucoup d'aspects de notre XIXe siècle. Une société très hiérarchisée, avec une noblesse et un clergé puissants et peu désireux de partager leurs richesses et leur pouvoir. Un peuple maintenu dans l'ignorance, la précarité et la crasse par habitude et par confort. Pourquoi changer un système qui a fait ses preuves ? On se croirait vraiment dans le
Paris des Dumas,
Zola,
Balzac et Hugo. Avec des particularités, bien sûr : architecturales (la ville est bâtie sur plusieurs niveaux) et scientifiques (le monorail et les voitures à vapeur, par exemple). Mais cela fait écho aux bouleversements de l'Europe au XIXe siècle, avec l'arrivée en force des machines. Cette ressemblance, qui s'amenuise progressivement a été pour moi un frein au début et, au contraire, une bonne chose par la suite.
Si j'ai eu un peu de mal à rentrer dans ce premier tome de
L'Empire s'effondre de
Sébastien Coville, rapidement, ce roman a su me fasciner et me faire pénétrer dans un univers riche, habilement construit et aux personnages forts, auxquels je me suis fortement attaché. À tel point que je compte les mois qui me séparent de la publication du deuxième volume. Et ce d'autant plus que les dernières pages ouvrent de
nouvelles perspectives, pleines d'interrogations. Vivement 2022 !
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