Un Decoin de plus, mais un Decoin dans son versant intimiste, voire anodin.
Je ne suis pas sûr que cette tendance chez lui soit celle qui m'enchante le plus. L'absence du romanesque infusant "
Une Anglaise à bicyclette" ou "
La Femme de chambre du Titanic" me laisse sur ma faim. Néanmoins, lire cet auteur n'est jamais totalement une perte de temps.
Car en effet, nous passons d'une visite d'al Capone à Saint-Pierre en pleine prohibition à un envol spectaculaire d'oies sauvages depuis les vasières du Saint-Laurent, du suicide d'un comptable japonais à rien moins que deux résurrections.
Joanne, coiffeuse au bord de la liquidation, n'a jamais rien vu du monde que les berges battues par la houle de Saint-Pierre-et-Miquelon. Son amant américain, marié et représentant en articles de coiffure, vient lui offrir quelques jours d'amour à chaque solstice, la laissant le reste de l'année rêveuse et déçue, entre ses quelques clientes et sa mère Denise, fine mouche kleptomane de petites cuillères.
Arrive un jour une jeune sauvageonne, Manon, accompagnée de
Louise, une oie sauvage à l'aile brisée.
À son corps défendant, irritée, bousculée, il est sans doute temps pour Joanne de prendre son envol.
Joanne/Manon, toutes deux marquées par des hommes bien anodins: " un vendeur de shampooings qui ne piquaient pas les yeux et un raconteur d'histoires qui ne remettaient rien en question". Joanne/Manon, seules à être à la hauteur l'une de l'autre sans le savoir, l'une revenant de loin et l'autre n'ayant jamais rien vu, mais encore faudrait-il oser prendre, donner sans frein.
On peut toujours compter sur Decoin et ses talents de raconteur d'histoires, sa manière de choisir des fils disparates pour les tisser en un univers et une intrigue particuliers, même si ici cela grince un peu plus qu'ailleurs.
Louise sonne comme un alliage fondu à une température hasardeuse, avec des blocs de matières différentes dont l'amalgame ne coule pas totalement de source.
Et puis...
Sur la dernière ligne droite, le roman passe à la vitesse supérieure, le champ limité (géographique, sentimental) de Joanne semble s'ouvrir à de nouvelles possibilités. le romanesque en sourdine s'exprime enfin, tel qu'on l'aime chez Decoin. Car l'auteur, incorrigible sensible romantique, aime ses personnages. Il n'y a aucune cruauté sous sa plume. Et cela fait du bien, parfois.
Ce roman, qui nous propose un verre de caribou avant de danser sur le parvis de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde en chantant Somewhere de West Side Story, ne peut pas etre totalement mauvais.