Les intelligences particulières

Koko ne tarde pas à identifier la cause du trouble des Thurston. Dans le coin opposé de la pièce, elle aperçoit une vieille femme qu'elle reconnaît immédiatement comme étant au centre des phénomènes dont ils ont été les témoins. La vieille femme était une précédente occupante des lieux, elle y vivait il y a une quarantaine d'années, et elle ne veut par ailleurs aucun mal aux Thurston. Si elle s'est manifestée à eux, par l'intermédiaire de "lumières", c'est parce qu'ils ont tous deux, la mère et son fils, des "pouvoirs de médiumnisme physique" (powers of physical mediumnism) qui sont inutilisés et trouvent donc un exutoire dans la manifestation de cette lumière. La séance prend un tour légèrement différent, et un peu plus dramatique, lorsque le médium se trouve soudain possédé par l'esprit de la vieille femme. Cette dernière suffoque et elle semble en grande souffrance. Bondissant de son siège, elle se dirige vers l'escalier pour monter dans l'une des chambres -précisément celle où les phénomènes ont été les plus violents.
[...] La-haut, le médium est projeté sur le lit où il continue d'étouffer sous l'influence de l'esprit qu'il incarne. La situation devenant dangereuse pour sa personne, son frère qui l'a assisté tout au long de la séance se penche sur lui sur le lit et dit en s'adressant à l'esprit: " Regarde, ce n'est pas ton corps. C'est un corps d'homme." La vieille femme s'écrie alors: "Oh, mon Dieu!" réalisant ainsi qu'elle était morte, ce qu'elle se refusait à admettre jusqu'ici. Elle relâche son emprise sur le médium, et dans le même temps, apparemment, sur la maison.

A l'issue de ce premier essai, il est déjà possible de conclure que des "intelligences particulières" se déploient autour d'"intelligences particulières". Autrement dit, la compréhension commune et augmentée du monde que met en jeu une expérience d'apparition - ce sens du soi élargi qui attache des êtres à des détails des lieux qu'ils se trouvent percevoir mieux que les autres - prend appui sur les capacités exceptionnelles d'individus singuliers, qui se distinguent par une sensibilité ou une attention plus aiguisée à certaines réalités discrètes.

Comme souvent, les phénomènes semblent se concentrer sur une jeune fille, Grace, qui a tout juste vingt ans et travaille chez les Aked comme bonne. Les autres employées - une femme de ménage et une vieille nourrice - n'accusent pourtant pas Grace et affirment avoir été souvent témoins des incidents sans qu'elle ne pût être impliquée. Grace, pour sa part, met en cause une cuisinière employée pour une courte période par la famille au cours des dernières semaines, qui lui aurait proposé d'entrer en contact avec sa précédente employeuse, décédée d'un cancer peu de temps auparavant. L'initiative a irrité Grace, qui dit avoir commencé à entendre des coups au dernier étage à ce moment-là. Bien que Mme Aked tente de dissiper ces idées, Grace et la femme de ménage sont convaincues que la cuisinière a laissé une "mauvaise influence" dans la maison.