Armentières. Le 14 avril 1995
A Armentières, dans l'air piquant, de rares flocons dansaient, légers, puis venaient fondre sur le macadam glissant. Dans le plaisant café Leffe sur la place du Général De Gaulle, attablé devant son petit noir, comme chaque matin, Pascal David ne pouvait détacher son regard de la une du quotidien « La Voix du Nord » : Un charnier venait d'être mis au jour au lieu-dit du «Bois des Carmes », sur les berges du canal de Furnes, non loin de la frontière Belge. Il avait lu avec empressement l'article en page 3, tout y était consigné ; les trois squelettes, les âges, les mensurations et les époques approximatives.
Il est bien plus facile de haïr que d’aimer, la haine permet de fuir, de se replier, de se recroqueviller, d’être seule et de ne rien devoir à personne, nourrir la haine en son sein, c’est l’engendrer, la multiplier, lui donner de la force, c’est la négation de l’avenir. L’amour au contraire est contraignant, il oblige à se découvrir, à s’ouvrir, à aller vers les autres, à montrer ses fractures, ses travers et ses défaillances comme dans le miroir convexe
Pascal blêmi sous le choc de cette nouvelle inattendue. « Ils les avaient déterrés !!! » ces mots s'imprimèrent un à un dans sa tête, tel un glas funeste répété en écho. Son front, malgré la fraîcheur ambiante s'emperla de sueur. Les jambes flageolantes il régla sa consommation, plia le journal qu'il fourra dans sa poche instinctivement, sortit du café, et, semblable à un homme ivre, prit en titubant le chemin de son domicile.
Il fallait vivre et ne pas s’enterrer dans un quotidien déprimant, ne pas mourir, ouvrir ses yeux, ses bras et son cœur, c’est plus simple à dire, qu’à faire !