Ce livre de
Florence Deville-Patte ravira non seulement les lecteurs qui s'intéressent aux mots et à l'étymologie, mais aussi tous ceux curieux d'en savoir plus sur la façon dont les langues ont traversé les siècles.
Le concept est original. L'auteure a choisi de parler aux lecteurs de quelques mots spécifiques qu'elle aime ou qui simplement l'interpellent, « certains jolis à entendre, d'autres avec une histoire qui mérite d'être contée ». Pour elle, les mots véhiculent des images, stimulent l'inspiration et invitent à la rêverie.
Les 24 mots sélectionnés sont présentés de manière aléatoire, « ils se sont juste bousculés au portillon avec la force d'une source qui jaillit du sol ». Pour n'en citer que quelques uns : Personne, Anomalie, Colonne, Suspicion, Babel, Doux, Méditerranée, Esthétique, Optimisme.
Dès l'avant-propos, elle prend le parti de tutoyer le lecteur et cela peut surprendre. On se dit toutefois que le livre s'adresse aussi aux lecteurs plus jeunes et que, compte tenu du sujet, cette approche directe est plus engageante auprès d'un tel public. En fait, au fil des chapitres, le lecteur peut s'imaginer en conversation avec l'auteure et le tutoiement paraît donc approprié.
Plutôt que de disséquer les mots comme le ferait un livre classique traitant d'étymologie,
Florence Deville-Patte a choisi de les aborder de manière beaucoup plus simple, voire ludique. Pour ce faire, elle distille de nombreux détails et anecdotes, glanés au fil de ses recherches et de ses lectures, de toute évidence exhaustives, mais aussi de sa vie personnelle et de ses voyages. Elle avoue d'ailleurs qu'elle révèle beaucoup d'elle-même à travers ce livre, suggérant que si le mot étymautobiographie (traité d'étymologie et récit autobiographique) existait, il serait le terme le plus approprié pour qualifier son ouvrage.
Prenons le mot Anomalie, un mot tout à fait anodin de prime abord. Plutôt que d'en exposer simplement la racine, l'auteur nous explique que chez les grecs anciens ce mot pouvait par exemple désigner un épi de blé (ou une mèche de cheveux) qui avait poussé de travers, et donc pas aligné. Et pour mieux illustrer son propos, nous voici avec elle à la douane de Rabat où elle réceptionnait un colis de France ! L'anecdote est cocasse et fait mouche, car le lecteur perçoit ainsi tout ce que peut évoquer un simple mot.
Tous les mots sont abordés de la même façon. La racine, qu'elle soit grecque, latine, sanskrit, indo-européenne ou autre, est expliquée voire déconstruite, avec toutes les déclinaisons possibles, en plusieurs langues si nécessaire. On découvre ainsi la richesse de la langue des anciens grecs, romains, mésopotamiens ou phéniciens : « certaines racines ont 2 images, un peu Jekyll et un peu Hyde ».
Le lecteur est lancé sur un jeu de piste, l'auteure le mettant parfois au défi à la fin d'un chapitre : « Quand aux colonnes d'Hercule…. Mais au fait où sont-elles ? Cherche un peu pour voir »…. Si tu passes un jour à Rome, cette colonne (Trajane) vaut le détour ». « Si je te dis la monnaie et le monument, tu me répondras sans aucun doute, je ne vois pas le rapport… Il y en a pourtant un, cherche du côté du Temple de Junon Moneta ». Les indices sont là et le lecteur un peu curieux peut poursuivre ses propres recherches.
Page après page, les mots sont décryptés à grand renfort de détails destinés à capter l'attention du lecteur et à lui prouver que l'étymologie est tout sauf rébarbative. On part ainsi dans des jardins en Lorraine, puis on se retrouve dans un salon de beauté avec Denise, la marraine très coquette de
Florence Deville-Patte. le mot Babel est même prétexte à mentionner la scène mythique de la cuisine des Tontons Flingueurs et les savoureux dialogues de
Michel Audiard ! « Et la taulière, une blonde comac…. Comment qu'elle s'appelait nom de Dieu ? »
Ce livre d'environ 200 pages à la présentation gaie et très soignée est vraiment surprenant. Chaque chapitre (un par mot choisi) se savoure et permet au lecteur de redécouvrir la richesse des mots auxquels il ne prêtait parfois plus très attention.
Pour qu'une langue reste belle, il faut en cultiver les mots…..