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EAN : 9791041413560
160 pages
Points (26/01/2024)
4/5   120 notes
Résumé :
À l’origine de Sortir au jour il y a cette rencontre dans une librairie entre l’autrice et Gabriele. Gabriele est thanatopractrice. Très vite, entre elles, un dialogue s’instaure où il sera tour à tour question de la quête de sens chez Gabriele, de sa reconversion dans une profession qui véhicule autant de clichés que de préjugés, mais aussi des réflexions qui animent l’autrice à propos du désir de transmission, des pertes et des liens qui unissent les êtres et marq... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Amandine Dhée réalise cette gageure d'écrire un livre sur le thème de la mort dans une ambiance de sérénité.

Les confidences de la narratrice, sur ses angoisses profondes alternent avec les propos d'une thanatopractrice, qui démystifie ce métier inspirant à la fois attraction et répulsion. Un troisième type d'interlude propose des extraits d'une émission de télé-réalité sur le thème Vis ma vie, où la candidate découvre elle aussi les mystères de cette profession.

Crainte de la maladie, difficulté de parler du sujet aux enfants, premiers décès familiaux, toutes ces expériences qui nous font prendre conscience de notre finitude. Les rites, les traditions autour de la disparition inéluctable sont autant de témoins de ce que notre société fait de ses morts.

Quant à ce métier mal connu, que seules quelques séries policières mettent à l'honneur, dans un décor un peu idéalisé, Il a les honneurs des récit et le mérite. Un roman récent en parlait avec beaucoup respect : Une terrible délicatesse de Joe Browning Wroe. On y percevait toute la dimension profondément humaine de la pratique, qui consiste à laisser aux proches une dernière image apaisée de leur défunt. Il nécessite une approche emphatique et un savoir faire qui entretient l'illusion. Il s'agit plus d ‘éloigner la vision d'un cadavre générateur de répulsion que que magnifier le corps, dernier lien physique que l'entourage percevra.


Pas de formule détournée, de métaphore ou d'euphémisme, le texte ose aborder ce sujet délicat, sans tabou, seule façon de ne pas surenchérir sur la peur de l'inconnu.

128 pages La Contre allée 13 janvier 2023
sélection Prix Orange 2023

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Ma rencontre avec une thanatopractrice

Amandine Dhée raconte la rencontre d'une autrice et d'une thanatopractrice, la personne qui prépare et embaume les cadavres. Une fois écartés les préjugés, leurs échanges vont s'avérer passionnants, autour de la mort et de la transmission.

Ce roman est d'abord l'histoire d'une rencontre. Lors d'une séance de dédicace, un visiteur explique qu'il n'aime pas le mot «autrice». Un débat s'engage alors, les opinions s'expriment jusqu'à ce que Gabriele explique qu'une autrice est tout aussi légitime que d'autres professions, dont la sienne, thanatopractrice. Une affirmation qui va éveiller la curiosité de la romancière, car cela lui permet de constater combien ses préjugés sont forts en la matière, à commencer par l'aspect physique de la personne chargée d'embaumer les morts et qu'elle imaginait plutôt triste, vieille et introvertie et qu'elle découvre jeune et pleine de vie!
Après leur échange initial, de nombreuses rencontres vont suivre qui vont permettre de mieux comprendre Gabriele, mais aussi de parler de la mort sous un aspect totalement différent que d'ordinaire, ce qui rend le livre formidablement intéressant.
Il est ici aussi question de technique, d'habitudes et de rituels – quelquefois très curieux – et de l'évolution de la société dans son rapport aux défunts.
Amandine Dhée a eu la bonne idée d'insérer au fil de son récit les extraits de l'émission «Vis ma vie de thanatopracteur», qui, comme l'indique l'autrice en fin de volume, ont été retranscrits avec l'autorisation de Réservoir Prod. Car ces échanges montrent de manière éclatante combien ce métier est méconnu et combien il véhicule de fantasmes. La confrontation entre ce verbatim et le témoignage de Gabriele va même nous offrir un côté burlesque, pas forcément attendu dans un ouvrage parlant de la mort. Oui, il y a dans ce livre d'intéressantes réflexions sur nos rapports aux défunts, sur cette envie de les voir continuer à cheminer à nos côtés, à leur parler et à surmonter la douleur de la perte. Mais il y a aussi l'humour rehaussé par la construction et le style.
Quand, durant la rédaction du livre, survient la pandémie, «ce scénario éculé de science-fiction, le coup du virus dévastateur», puis le confinement qui fait émerger un nouvel ordre social ponctué par l'annonce tous les soirs du nombre de morts, l'autrice comprend une chose essentielle: «Écrire sur la mort me tient en vie».
Écrire va aussi lui permettre de comprendre combien son affinité avec Gabriele n'est nullement le fruit du hasard, bien au contraire, puisque toutes deux font un peu le même métier: raconter une histoire. «Gabriele dénoue les traits des visages défunts, ferme les yeux, fait se joindre des mains. Elle met en scène une fin paisible, elle oppose un récit au chaos. C'est bien que la personne ait l'air endormie plutôt que décédée. Ce n'est pas un mensonge, puisque tout le monde veut y croire. Parce qu'on en a besoin, parce qu'on a peur. Personne n'est dupe, mais on joue le jeu. J'apprends que la chambre mortuaire s'appelle un amphithéâtre. le temps d'une veillée, nous lier avec ce récit.»
Amandine Dhée démontre ce côté théâtral dans le spectacle qu'elle a conçu autour de «Sortir au jour» et qui est en tournée actuellement et qui prouve lui aussi qu'une autrice ne doit pas avoir de sujet tabou. N'hésitez pas, à votre tout, à aller danser avec la mort.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Dans une librairie, Amandine Dhée rencontre une thanatopractrice, Gabriele. Pour cette dernière, en quête de sens , ce métier est une reconversion qui suscite bien des étonnements, voire des rejets.
Entre les deux femmes s'instaure un dialogue , entrecoupé par des extraits du verbatim d'une émission : Vis ma vie de thanatopracteur.
Quelle drôle d'idée un livre sur la perte, pourrait-on penser. Mais l'autrice, mêlant ses réflexions sur la mort, mais aussi la création et la volonté de transmission instaure un échange fécond , souvent surprenant, mais riche d'humanité.
Elle y évoque, souvent avec humour, aussi bien le confinement et ses conséquences ,"Ce soir , le président de la République nous pousse à l'intérieur de nos maisons et nous ordonne d'y rester. Il nous invite même à lire, c'est dire si la situation est grave. " que sa famille , "On parle de liens du sang, mais les familles sont d'abord faites de beurre et de sucre, n'en déplaise aux scientifiques et aux diététiciens. "
Le ton se fait parfois plus grave, mais la tendresse règne toujours quand il s'agit d'évoquer ses enfants ou de rendre un hommage à France Gall.
Quant à Gabriele, elle nous permet de voir l'envers d'un décor qui trop souvent est occulté .Elle aussi sait se montrer drôle mais se révolte aussi contre les hypocrisies sociales qui veulent passer la beauté de sa profession à la trappe.
Un livre plein de vie qui ferait presque la nique à la mort.

 
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Huitième livre d'Amandine Dhée, un pour chaque jour, chaque heure, dans le repli du soir, en pleine solitude, lire « Sortir au jour ».
Ressentir et consentir à l'écho de la trame. Sentir sur sa peau les frissons même de la vie. Les ombres qui assignent ce récit apprenant et intuitif.
Entrelacs des existences, la mort apprivoisée, enfin. « Sortir au jour » est une marelle entre ciel et terre.
Amandine Dhée conte sa rencontre dans une librairie avec Gabriele. Cette dernière est thanatopractrice. Changement de voie, suite à un travail dans la communication internationale et un bac + 5, Gabriele était en perte de sens. Ce métier-ci est une vocation, la glorification du travail, puisqu'il s'agit également de souffler sur les braises et de faire de la mort, la beauté ultime, d'un visage, d'un corps, prêt au grand départ. La dignité pure sur un drap blanc lissé.
Elles échangent durant un temps certain. L'une cherche les réponses. L'autre octroie le délicat message de l'après. Briser les tabous, et désacraliser un décès. Lui redonner une apparence d'être vivant, maquillage, cheveux lavés, les habits de fête pour un au-delà à apprendre encore.
« Parfois, les gens insistent, mais pourquoi tu fais ça ? Sous-entendu : c'est quoi ton problème ? »
« Ma famille m'a soutenue dans mon choix de réorientation. Avec ma mère on a toujours parlé de la mort librement. »
Amandine se place. Elle puise dans son quotidien, dans sa vie de mère, de femme, l'interpellation de la mort. Ce qui pourrait blacklister ses insouciances et convictions.
« Est-ce que je vais mourir, moi aussi. J'ai répondu oui d'une voix tranquille. le cycle de la vie, tout ça les humains…. »
« Deux heures plus tard, une fois dans mon lit, j'ai réalisé que j'avais complètement merdé. J'aurais dû lui dire, que, avant de mourir, une longue vie l'attendait. »
On ressent une fusion qui coopère entre Amandine et Gabriele. le noir et le blanc qui vont s'assembler. Plus on avance dans le récit, plus l'on ressent une autrice qui réalise l'existentialisme. La gravité des années qui filent comme une noria d'oiseaux en plein vol. L'ère des petits riens et des grandes importances. Gabriele ne doute pas. Elle dévoile l'idiosyncrasie de son travail, le corpus sociologique et psychologique. Les relations avec les familles des défunts, son écoute et la justesse de ses gestes. Sans pathos avec cet art d'une belle personne.
Amandine rassemble l'épars. Elle écrit les paroles de Gabrielle et les vertueuses mains qui rendent hommage au grand départ. Amandine conte sa famille, ses étreintes, ses peurs et ses disparus. Avec cette capacité hors norme de faire de la contemporanéité son chemin de traverse. Libre toujours immensément libre.
« Sortir au jour » écrit il y a peu encore, dans ce temps du Covid si prégnant encore, le confinement qui a tout bousculé. L'arrogance de nos certitudes. La vulnérabilité qui cède sa place à l'humilité, aux apprentissages d'un cloisonnement spéculatif. « Les brides d'information attrapés ici ou là, la radio qu'on écoute trop et dont on ne baisse pas le volume assez vite. On reçoit des chiffres, on cherche des clés. Digérer les morts, résister à la bêtise. »
Amandine Dhée sort au grand jour. L'aube réalisée. L'initiation annoncée, le viatique de la vie-même. Gabriele en filigrane qui dépeint les rites funèbres dans une langue tissée de simplicité et de normalité. Ici, c'est le monde qui agite ses ailes. Amandine Dhée est prodigieuse de rectitude. « Sortir au jour », le chant étincelant des philosophies acquises.
« Je redresse mes épaules, cherche mon souffle. Je regarde le noir face à moi, cherche les yeux derrière ce noir. Après ces mois vides, nous voilà de nouveau sur scène. »
Fondamental, d'utilité publique, la pierre angulaire d'une littérature qui apporte sa pierre à l'édifice du VIVANT. Ce livre brise les tabous, les carcans et nos ignorances. Comprendre le mot thanatopractrice. Puiser dans ce métier notre élan pour demain. « Sortir au jour » montre la voie de la minute même pour tout apprendre de l'autre et de notre venue au monde. Ce livre bleu nuit est un edelweiss à flanc de rocher. À noter, une magnifique couverture conçue par Renaud Buénerd. Publié par les majeures éditions La Contre Allée. En librairie le 13 janvier 2023.
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Mettre au monde la vie fabrique dans le même temps la mort. le corps fragile peut exploser dans le temps on sait mais jamais quand. Alors on oeillère ou affrontement. Chacun ses parades pour faire face à la dévoration.
Et s'il suffisait de raconter le non-événement pour puiser fond loin dans les entrailles d'angoisses. Pourvu que rien ne change se dit le potentiel malade. Pourvu que je retarde la mort. Oui mais sinon. Sinon il y a Gabriele.
Perdre soi eux l'ensemble qui tourne en boucle. Si tu aimes tu dois avaler la perte au passage elle happe et la peur paralyse les mots les projets. Alors mettre au monde l'envie.
Parfois la mort rit face catastrophe il est tentant de comprendre.
Je lis Amandine Dhée depuis La femme brouillon, je me délecte de la force simple de ses mots. le quotidien le presque rien quasi tout, la vie.
On ne sait pas parler la mort on ne sait pas l'entendre on l'esquive ou la blague on ne veut pas connaître l'issue des aimés le nous face terre est inconcevable pour l'immense majorité. Taire est plus effrayant que dire dit l'enfant. Je te crois disent les mères.
Mes filles ont questionné à l'âge où, et moi de répondre un sanglot en voix derrière et mon cher et roc de m'observer en souriant de savoir ce qui palpite au coeur et puis la mort aux portes et c'est palpable pourtant il faut rire encore sinon l'attente boue.
Alors j'apprends pour détourner d'elle lui prêter un coin de canap facilitant la trahison du premier jour qui n'en ai une que pour celui qui ne veut pas entendre. Les enfants font face si on ne cache rien. Alors on dit et on voit en mangeant le beau en vol.
Vivre en comblant d'éclat l'attente et si c'était ça la mort désinvolte au pas et si on ne sait rien et que rien c'est mieux.
Alors j'attends avec délectation pour l'autour pour les autres j'essaie et si ça se trouve ça ira vieille
Je manipule la vie pour souhaiter l'ordinaire, juste ça.
Mes deux morts d'enfance : un réel arrière-grand-père dont le tissu velours que j'ai refusé me reste en main et une fiction My girl ou la fillette vit dans un funérarium. C'est ma première traversée autour et elle ne m'a jamais quitté. Familier et éprouvant familier et angoissant peut-être justement parce qu'elles ont bercé mes joues d'enfance. J'imagine très bien Gabriele et les morts sur la table à maquiller. Je vois le sous-sol de la maison les corps qui attendent entourés de fleurs les restants qui ne savent pas où ranger leurs chagrins.
Sortir au jour en ouvrant ou fermant la porte à la manière que l'on a eu de stationner vie dans le bruit du monde qui ne sait pas comment entretenir ses deuils.
Pleurons à l'endroit et vaille, ne nous habituons pas à l'effroi
Et puis apprendre à "parler pour qu'on n'ait plus à en parler" pour mieux pour plus pour les ailes et leurs racines, pour ne pas "prendre en otage dans un chagrin" pas à eux et pour "leur apprendre à aimer la vie".
L'autrice me parle elle sait ce que je sens passation sororelle, peut-être, sûrement.
J'espère mourir loin, mes filles vieilles, sous arbre, ce serait beau, ce qui se rapprocherait le plus de la plénitude douce du vivant.
Vaille sortons au jour prêt.e.s à entrer en scène à "transformer la peur en énergie". Déterrer un Nous hors solitude. Parce qu'"on est rien, à part du lien."

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critiques presse (1)
LeSoir
27 mars 2023
Amandine Dhée fait face à la mort avec la complicité d’une thanatopractrice dans « Sortir au jour ».
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
Dans ma famille, chaque fois que le silence s’étend un peu trop pendant un repas, il y a toujours quelqu’un pour lancer : si on n’entend rien, c’est que c’est bon. Tout le monde acquiesce. Avec ces quelques mots, crever le silence et refaire communauté.
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Près des vêtements, j’ai vu une médaille. Il est fréquent que les vieux messieurs soient enterrés avec leurs décorations de guerre. Je l’ai accrochée à sa veste et j’ai regardé par curiosité. Il s’agissait en fait d’une médaille de fidélité Daxon. Je suis retournée voir la voisine, elle m’a dit qu’elle savait qu’il avait eu une médaille militaire, mais elle ne l’avait pas trouvée, alors elle avait mis celle-là. Mais vous êtes sûre qu’on la laisse ?, j’ai demandé. Elle m’a dit, Ne vous inquiétez pas, de toute façon, personne ne viendra.
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(Les premières pages du livre)
C’est le nombre de peluches dans la salle d’attente qui m’a mis la puce à l’oreille. Cette générosité. Cette opulence. C’était suspect à force d’être mignon. On est restés plantés au milieu de la pièce une bonne minute puis on s’est assis du bout des fesses sur les chaises en plastique.
Une femme d’une cinquantaine d’années s’est approchée avec un doux sourire. Elle s’est présentée, bénévole pour l’association des maladies cardiaques congénitales. Je lui ai adressé un sourire de pure forme. Que ce soit clair : nous n’irions pas plus loin, elle et moi. Notre rencontre était accidentelle et il était hors de question que j’entretienne la moindre relation avec une bénévole de l’association des maladies cardiaques congénitales.
Nous n’avons pas attendu longtemps. Une jeune femme vêtue d’une blouse blanche nous a invités à entrer et a prié mon fils de se déshabiller. Mon petit garçon s’est exécuté, puis s’est allongé sur la table.
Il était paisible. Il s’est toujours prêté de bonne grâce aux examens médicaux, avec une confiance qui me serre le cœur. Il se hisse sur les grands fauteuils de cuir, grimpe sur les tables d’examen, allonge son inspiration, tend le bras sans rechigner pour la piqûre.
Si au moins il pouvait résister et pousser quelques hurlements, il m’offrirait l’occasion de le rassurer, de jouer ma partition de mère protectrice et, ce faisant, me détournerait de ma propre angoisse. Mais sa conduite digne m’oblige à rester stoïque et me laisse me ronger du dedans. Inutile de compter sur son père. Face au corps de notre petit garçon allongé sur la table d’examen, nous évoluons sur deux pôles opposés. Lui adopte une technique simple pour canaliser son angoisse : il l’ignore. Il surjoue la normalité pour mieux forcer le destin. Pour un peu, il siffloterait. Tiens bonjour madame, ah oui c’est sympa pour occuper son temps libre, l’association des maladies cardiaques congénitales, quelle bonne idée !
Moi, je fais l’inverse, je brandis le pire pour l’exorciser, je dis maladie, peur, mort. Un jour, de retour d’une promenade avec mon fils, j’avais fait remarquer, la voix gorgée d’angoisse, que notre enfant toussait exactement de la même façon que le défunt cocker de mon enfance qui souffrait d’un souffle au cœur. Mon compagnon m’avait jeté un regard ahuri, avait ouvert la bouche, puis s’était ravisé. J’étais restée seule à mouliner mon pressentiment morbide. L’ennui avec la paranoïa, c’est qu’elle ressemble beaucoup à une folle intuition. Dès lors, comment s’en débarrasser ?Depuis nos rives éloignées, nous nous contemplons lui et moi avec stupéfaction, chacun trouvant l’autre un peu cinglé mais se retenant de le dire parce que, vraiment, ce n’est pas le moment. La peur nous retient de nous disputer et, à bien y penser, je me demande si ce n’est finalement pas le plus inquiétant pour notre enfant, cette harmonie artificielle et tendue.
La soignante a recouvert le corps de mon petit garçon avec des électrodes. Voilà, on y est. Au lieu de gambader dans la cour de récré ou de s’efforcer d'obtenir un bon point, qui fait une grande image avec un animal sauvage dessus au bout de dix, mon fils est là. L’écran s’est animé, la machine a pris le relais, l’examen a commencé. L’engin a ensuite crachoté du papier.
La jeune femme a arraché la feuille, observé attentivement le tracé sans dire un mot. Ça a duré environ un millénaire. Puis elle a félicité mon fils pour son courage et l’a invité à se rhabiller. Elle a de nouveau regardé le tracé et nous a annoncé que c’est le médecin qui nous donnerait le résultat. Ma gorge s’est nouée. Elle fuyait, c’était évident. La jeune femme s’est alors tournée vers un grand coffre en plastique, a plongé son bras dedans et tendu une peluche à mon fils en slip. Elle l’a de nouveau félicité pour son courage, ça devenait lourdingue.
Porte suivante. Cardiologue. L’enfant s’allonge une fois de plus. Cette fois, l’homme passe du gel sur sa peau et promène une sonde sur son cœur. Ça dure une minute ou deux pendant lesquelles, comme tout le monde à l’orée du drame, je fais enfin preuve d’humilité. Je prie je ne sais quelle entité supérieure, en régie générale, je supplie, dégouline de gratitude, promets de ne plus me plaindre, de voir enfin la chance qui est la mienne. Si seulement rien ne bougeait, rien ne s’abîmait. C’est simple, je supplie que rien ne change, surtout que rien ne change.
Très vite, il annonce : tout est normal. Il le répète, tout est normal, pour être sûr que cette phrase atteigne les cavités les plus lointaines de nos cerveaux. L’air afflue de nouveau, un sourire barre nos visages. L’horizon se dégage d’un coup, les épaules descendent. Pour la première fois depuis que j’ai franchi le seuil de cet hôpital, je vois en couleur. Super, je dis. Super, je répète. Voilà, c’est fini. Le médecin écrit son compte-rendu, il parle d’un enfant éveillé et plein de vie et d’énergie, il en rajoute un peu, puis nous regarde droit dans les yeux et nous dit adieu. Il dit encore, on ne se reverra jamais. Je crois que j’ai répété super, n’essayant même pas d’être un peu polie. Nous sommes ressortis d’un pas léger. Dans le couloir, la femme bénévole a passé sa tête, j’imagine qu’à nous voir, le sang revenu au visage, le frou-frou animé du bonnet, écharpe, manteau, les corps de nouveau élastiques, elle a tout de suite su, mais elle a quand même posé la question. Tout va bien, lui avons-nous annoncé avec cette fois un peu de chaleur dans le regard. Alors adieu, a-t-elle dit elle aussi. J’imagine que cet adieu est un truc auquel ils ont réfléchi. Un adieu, ce n’est pas un au revoir, c’est beaucoup plus puissant. Un adieu pour gratter vigoureusement la tache, effacer la peur et faire en sorte que l’on ne regarde pas notre fils comme une bombe à retardement les vingt prochaines années. Ce qui s’est passé n’est pas un avertissement mais une erreur d’aiguillage.
Chaque fois que je raconte cette histoire, je me demande ce qu’est devenue la fameuse peluche que l’on a offerte à mon fils ce jour-là. J’imagine que personne ne lui a reprise (rends-nous ça tout de suite, petit imposteur !), mais je suis incapable de me souvenir de ce qu’elle est devenue.
Un soir, chez des copains, une femme m’a dit qu’il lui était arrivé la même chose, le dépistage d’un souffle au cœur, l’examen du cardiologue. Non, elle n’avait pas eu peur, c’est des conneries elle avait dit, c’est pour faire marcher la machine à fric, ces examens. Je lui avais envié ce cynisme, il m’aurait été tellement secourable.
Ce non-événement a été l’une des premières choses que j’ai racontées à Gabriele. Elle m’avait demandé si j’en savais plus sur ce que je voulais écrire. J’avais répondu que non, que je ne savais pas exactement encore mais que je sentais que c’était important pour moi. Je crois que j’essayais de faire quelque chose avec ma peur.
La naissance de ma petite fille avait de nouveau ouvert la brèche. Pouls, souffle, palpitations. Comme s’il m’avait fallu fabriquer de la vie pour la savoir si fragile. Serrer contre moi cette minuscule densité, son ventre collé au mien, son abandon contre ma peau, et le creux de mon cou qui guérit tout.
J’ai si peur de perdre. Je n’arriverai jamais à me débrouiller avec cette pensée, à lui faire une place, qu’elle s’y tienne, qu’elle se taise. D’abord, il faut faire avec l’idée que tout dépend de nous, et puis que plus rien ne dépendra de nous. Quel est le pire?
J’aimerais tellement réussir à prendre de la distance, accepter, m’injecter de la philosophie en intraveineuse. La plupart du temps, je parviens à ériger de fragiles barrages, mais parfois : tsunami d’angoisse. Les plus grandes joies sont talonnées par la peur. Et si ça disparaissait ? Je m’agrippe aux statistiques. Tout va bien se passer. Mais les chiffres réconfortent si peu. Je sais à quel point ma peur est partagée, même si personne ne la nomme jamais. Au point que la société n’a même pas voulu inventer de mot pour dire les parents qui perdent un enfant.
Heureusement, il me reste l’agitation.
Les journées très remplies, le travail, comme c’est pratique pour s’offrir des angoisses plus digestes, leur donner forme humaine, et tandis que je flirte avec le burn-out au moins je ne pense pas à la mort, et d’ailleurs je ne manquerais pas de lui dire si elle se pointait, sa faux sur l’épaule : désolée, je n’ai pas le temps, je bosse, moi !Le dictaphone a enregistré ma voix qui bégaye lorsque je tente d’expliquer tout cela à Gabriele. Je veux lui dire ma peur de la mort, mais ça ne vient pas tranquillement, ça bute, ça lapsus, et je m’entends dire: j’ai meurs.
Le métier de Gabriele, c’est d’être là quand la catastrophe a eu lieu. Elle travaille avec les morts.
À cet endroit que je fuis. Elle et moi nous sommes rencontrées par hasard. J’ai entendu son rire, j’ai vu ses yeux briller. Alors j’ai dit : j’aimerais que tu me parles.
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Pourquoi maintenir les lieux de culte et pas de culture ? Qui décide de notre sacré?
Je crois aussi que Gabriele et moi faisons un peu le même métier: raconter une histoire.
Gabriele dénoue les traits des visages défunts, ferme les yeux, fait se joindre des mains. Elle met en scène une fin paisible, elle oppose un récit au chaos. C'est bien que la personne ait l’air endormie plutôt que décédée. Ce n’est pas un mensonge, puisque tout le monde veut y croire.
Parce qu'on en a besoin, parce qu'on a peur. Personne n'est dupe, mais on joue le jeu. J'apprends que la chambre mortuaire s'appelle un amphithéâtre. Le temps d'une veillée, nous lier avec ce récit.
Sur scène, mes comparses sont à mes côtés, je peux compter sur elles, et elles sur moi. Ensemble, nous tiendrons ce spectacle. Ensemble, nous tiendrons tout court. p. 114
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Ce soir, le président de la République nous pousse à l’intérieur de nos maisons et nous ordonne d’y rester. Il nous invite même à lire, c'est dire si la situation est grave.
La vie ose tout, même ce scénario éculé de science-fiction, le coup du virus dévastateur. Ça ne peut pas bien se finir. Cette fois, nous allons payer nos excès.
Nous rangeons nos corps, aiguillés par la peur et l'absurde d’un virus invisible pour les uns, invincible pour les autres. Un nouvel ordre social émerge: héroïnes ou non-essentielles, épuisement ou désœuvrement. Quelqu'un à la radio annonce tous les soirs le nombre de morts.
Et puis le quotidien reprend.
D'abord, le court-circuit n'est pas si douloureux. C'est même inespéré d'avoir autant de temps avec ma toute petite fille, de ne plus être écartelée entre vie familiale et vie professionnelle, un rab de congé maternité sans la peur de ne pas retrouver sa place, sans la frustration de voir les autres avancer. p. 68
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Vidéo de Amandine Dhée
Sortir au jour est une invitation à réapprivoiser notre rapport à la mort. Deux femmes échangent. La première, double fictionnel de l'autrice, évoque les histoires qui l'ont précédée, la façon dont elle s'en débrouille, dont elle-même se projette dans l'avenir, et son angoisse de perdre. La seconde, Gabriele, parle de sa reconversion comme thanatopractrice. Elle évoque ce métier méconnu, ce soin très particulier auprès des personnes décédées, mais aussi de leurs proches vivants. le texte est issu d'une série d'entretiens menés avec elle. Malgré le sujet qui pourrait paraître grave, c'est un texte plein d'humour et qui penche résolument du côté de la vie. Pour cette lecture musicale mise en scène par Pauline van Lancker (Cie Dans l'arbre), Amandine Dhée sera accompagnée par la chanteuse et musicienne Sarah Decroocq. Celle-ci proposera un travail autour de la voix, de la musique et des sons électroniques.
Amandine Dhée est écrivaine, dramaturge et comédienne. Artiste associée à la Générale d'Imaginaire, elle arpente les scènes pour y confronter son écriture inspirée de la vie quotidienne. La plupart de ses textes sont parus aux éditions La Contre Allée, parmi lesquels La femme brouillon (2017, prix Hors Concours) et À mains nues (2020).
Sarah Decroocq est autrice, musicienne et interprète. Elle a créé le projet June Bug en 2010, un bricolage de musique et d'explorations folk. de 2016 à 2021, elle a été musicienne et comédienne pour le spectacle Les Gens d'Ici, écrit par Amandine Dhée et produit par la Générale d'Imaginaire.
Retrouvez notre dossier "Effractions 2023" sur notre webmagazine Balises : https://balises.bpi.fr/dossier/effractions-2023/ Retrouvez toute la programmation du festival sur le site d'Effractions : https://effractions.bpi.fr/
Suivre la bibliothèque : SITE http://www.bpi.fr/bpi BALISES http://balises.bpi.fr FACEBOOK https://www.facebook.com/bpi.pompidou TWITTER https://twitter.com/bpi_pompidou
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