Si nous voulons comprendre un peu, un temps, soit si peu, en quoi la profondeur peut être un mouvement. Alors il faut entrer dans les lieux d'Hantaï.
Se rendre aveugle, détourner le regard lorsque cela se crée, s'absenter du « fait », se rendre autiste à l'oeuvre même, il y a là démarche particulière pour un peintre .
Se rendre à s'en voir révéler. Attendre cette révélation.
Enfermer, fermer, sceller, cacheter, envelopper, recouvrir, nouer, plier, « en mailles ôter » pour que le travail opère - hors de la main - hors de l'oeil.
Laisser la décomposition agir, la fragmentation, l'étiolement et puis déplier, arracher, extraire, briser, découdre, développer, décacheter, dénouer, couper, trancher, racler, étirer, agrandir, dévoiler et enfin voir en y perdant le regard.
La méthode d'Hantaï est la poursuite d'un travail infini. L'incomplétude du geste en parfait accord avec l'infinitude de l'instant
L'opposition des forces contraires ( matière et vide – couleurs et failles ),le mouvement respiratoire ( affaissement - soulèvement de la toile), la percussion de la lumière par les ondes chromatiques provoquent
l'étoilement de l'oeuvre, sa germination vers une capillarité démesurée.
Il faut briser pour que l'éclatement se produise. Il plie, il brise la surface. Il pèse, il presse.
Hantaï se concentre sur cette respiration intérieure, il s'y voue entièrement.
Et dans ce silence intérieur, cet aveuglement il capte la réminiscence du présent, la ressource contenu dans l'instant - hors temps - de son oeuvre.
Il explore, et ne veut aboutir- il sait l'impossible -l'impouvoir- il sait le lâcher prise, il sait toute la puissance que cela provoquera.
Il se soustrait à ce qui nous dépasse , à cet impossible connaissance.
Sous les plis il se passe quelque chose, au dedans il se produit quelque chose,
Mais il sait que cela s'est produit alors il découvre l'empreinte -
« Voyez bien ! »
Archéologue, pêcheur chercheur, il fait remonter du fond de la toile les traces de ce qui hors-temps s'est réalisé.
La toile s'invagine, s'involue puis rend, délivre ce qu'il lui en reste.
Ce qui sur lequel on peut encore opérer à l'infini : pliage, découpage, oeuvre de peinture.
A l'infini. Hors de notre temps.
Il creuse, il crevasse, il enfouit., il recouvre de matière la toile qui n'est plus qu'un matériau entre ses mains. Il broie, malaxe, il « enverse » tout à s'en perdre totalement.
Il ne perd pas le contact il change le rapport.
Par le pliage il en arrive à « mouler des ondes » et « moduler des empreintes ».
Il quitte la statique de la peinture pour capter la résurgence – le tellurisme du travail de l'oeuvre.
Le dénouement ? « dégager un noeud invisible jusqu'ici ».
Par
l'étoilement, la mise en étoile, accoucher d'un espace.
Un lieu, la fable du lieu dans l'installation de son instant.
Vertical, horizontal deux axes qui se conjuguent pour créer l'évènement, là où cela se produit, c'est à dire le lieu saisi dans le maillage des bris et des lignes.
L'enfouissement, cette profondeur, par l'action de la gravitation et de la pression entraîne la fusion, la profusion, jusqu'au rayonnement du contenu de l'oeuvre. La profondeur est un mouvement.
Superbe lecture d'entailles ici nous est donnée.
« Tout ce qu'il convient de laisser tomber » pour qu'une force vivante se crée.
Astrid Shriqui Garain