Tout d'abord la forme de l'ouvrage m'a un peu déçue : une couverture fade, un texte dense, des pages épaisses. le livre se présente sous la forme de mots classés par ordre alphabétique (normal pour un dictionnaire) et sont inscrits dans des formes géométriques (normal pour des mots parfaits).
Je n'ai pas accroché à la lecture de cet ouvrage. Je n'ai pas ressenti l'émotion des auteurs pour leur mot préféré. On a l'impression que le mot est analysé, décortiqué, plutôt que senti, éprouvé. Il perd de sa beauté, de sa poésie. Mais ce n'est que mon avis. Peut-être que cet ouvrage est destiné à un lectorat plus averti.
A la fin du dictionnaire, j'ai apprécié l'index des mots parfaits et les notes sur les auteurs que je ne connaissais pas pour la plupart.
Merci à Babelio et aux éditions Thierry Marchaisse pour cette découverte.
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CHOSE - Alain Leygonie -
Chose ... En voilà un mot, un bon mot ! Mot élastique, extensible à souhait, polysémique comme pas deux (comme pas cent). S’étire, cultive le flou dans des expressions comme « quelque chose, pas grand-chose, peu de chose, bien des choses (bien des choses à madame), de choses et d’autres, chaque chose en son temps, chose promise, chose due, les choses humaines, les choses de la vie, leçon de choses, se sentir tout chose, prendre les choses du bon côté (par le bon bout), aller au fond des choses, les choses étant ce qu’elles sont ... »
Bien dit, bien trouvé. Les choses sont précisément ce qu’elles sont, c’est là leur plus grand mérite.
(...)
Pris isolément, le mot chose n’est peut-être pas le plus musical qui soit, de ce point de vue on fait mieux (papillon, alouette, cauchemar), mais il résonne comme aucun dans les expressions comme : « les choses de la vie », « les choses humaines » (Aragon : « j’ai tout appris de toi sur les choses humaines ») ou encore « aller au fond des choses », une expression qui fait sens. Qui vient nous rappeler que les choses ont du fond, sont profondes. Une plume qui tombe a une profondeur, un poids métaphysique considérable. Une essence tombée du ciel.
C’est en cela que le mot « chose » est parfait.
CORNICHON - Frédérique Deghelt -
(...) son espace sonore en fait un mot parfaitement subtil. Il a une existence acoustique hors norme. Il est une déclaration insolite avant que d’être le fiancé des viandes froides. Qui aurait pu à la fois être fruit, se déguster dans l’aigritude du vinaigre et se déclarer corps et nichon ? Il évoque la chair douce alors même que sa saveur convoque un rictus (...)
A l’âge où lire n’existe pas encore, les mots sont d’abord une oralité tandis qu’on vous apprend ce que nommer les choses veut dire. Cornichon était donc un mot pour rire alors que le déguster faisait plutôt grimacer. J’aimais qu’il soit double, qu’il parle d’autre chose que ce que l’on mangeait. Je m’appliquais à bien le prononcer pour que les adultes entendent son ambiguïté. Mais ça n’avait pas l’air de fonctionner. Ils connaissaient l’orthographe, leurs oreilles s’étaient désormais bouchées.
HÔTE - Cécile Ladjali -
Il est le plus beau mot de la langue française. Il est l’unique voyelle de l’absolue réciprocité. Il est un miracle transitif, le ministre lexical de la courtoisie. (...).
L’hôte s’installe en hiver devant l’âtre de la cheminée,
au printemps dans la bibliothèque à lire Ronsard et des histoires de roses,
l’été à l’ombre du grand tilleul au fond du jardin,
en automne dans la cuisine à goûter des confitures. (...).
Être l’hôte c’est tisser un lien invisible entre deux âmes, tracer un trait d’union suturant deux cœurs ardents, inventer le cheveu d’ange qui coudra entre eux les feuillets du livre de nos très riches heures.
Ainsi l’hôte est-il la réalité d’un principe qui se situe à la jonction de l’amitié et de l’amour, de la fraternité et de la sympathie.
Il est un soir qui ne tombe pas mais qui s’ouvre comme une main.
Il est un vol de palombes au-dessus des orangers.
Il est une promesse à tenir.
VIE - Jean-Pierre Martin -
(...) un mot comme « la vie » (...) malmené, blessé, trituré, malaxé, banalisé, fatigué, mal famé, cuisiné, vieilli, manipulé, avili, dévitalisé ... exposé à la routine, au train-train, à une usure paléolithique ... battant le pavé, courant les champs, empruntant étourdiment tous les chemins qui bifurquent, distribuant ses increvables clichés : c’est la vie, c’est pas une vie, on a qu’une vie ... eh bien malgré toutes ces épreuves, elle ne cesse de renaître sous nos yeux, la vie. Presque intacte. Énigme entière. Mannequin de haute couture qui change de vêtement avec professionnalisme : spirituelle, matérielle, animale, végétale, humaine, toujours à l’aise, toujours à son rythme, surpassant par son énergie tout adjectif qui prétendrait la circonscrire.
La langue allemande dispose d’un joli terme, « Lieblingswörten », pour désigner les mots favoris, les mots « aimés ». Tintement de clochettes dans ce vocable qui sent l’enfance, et sans doute n’est-ce pas un hasard si souvent les écrivains évoquant leurs « Lieblingswörten » les rapportent à la période enfantine. (...)
Car restituer aux mots leur « scientillement d’écume », retrouver en eux ce qu’ils eurent et gardent pour nous d’emotion, de charme, de beauté et de justesse (« de perfection »), peut renvoyer à l’idée d’une langue des origines telle que l’imaginait Jean-Jacques Rousseau : « On nous fait du langage des premiers hommes des langues de géomètres, et nous voyons que ce furent des langues de poètes », car, nées des affects, « les premières langues furent chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodique ».
Une conversation présentée par Raphael Zagury-Orly
Avec
Isabelle Alfandary, auteure et professeure
Belinda Cannone, auteure
Serge Hefez, psychiatre
Le «un» n'est jamais le chiffre de la vie. Certes, il y a les organismes unicellulaires, bactéries, levures, plancton et autre protozoaires… Mais eux aussi on besoin de quelque chose d'autre, d'un milieu.. A la base de toute molécule organique, outre la durée temporelle et les sources d'énergie, se trouvent des multiplicités, des altérités, des combinaisons d'éléments, carbone, oxygène, hydrogène, eau, azote, dioxyde de carbone, diazote… Bien sûr, cela fait la vie sur Terre, la vie des vivants, mais ne dit rien sur la façon dont les êtres humains, eux, choisissent de la porter, cette vie, c'est-à-dire d'exister. de là aussi l'unicité est exclue: on vient au monde «plein des autres», le monde ne vient à l'enfant que par les autres, et il n'y tient que si d'autres d'abord le tiennent et tiennent à lui. Né d'une union qu'il n'a pas choisie, il lui appartiendra ensuite de s'unir volontairement à qui il voudra, par affinité, par intérêt même, par amitié, par amour, et de constituer des couples, des clans, des groupes, des familles, des communautés, des sociétés… Il se peut dès lors que des personnes, pour supporter le faix de la vie, choisissent de la porter à deux, de faire de leur cohabitation une convivance, et de leur existence une coexistence, le plus souvent solidifiée par le ciment de l'amour. La «vie à deux» devient dès lors une vie rêvée que les partages quotidiens rendent réelle. Mais est-ce si sûr? Combien coûte le sacrifice du «un», de la libre et insouciante existence solitaire, qui n'a de comptes à rendre à personne? Combien coûte le sacrifice du trois, ou du quatre, d'union plurielles où la diversité fait loi, où les plaisirs varient et s'égaient de ne point devoir s'abreuver à une seule source? Est-il possible qu'une «vie à deux», soudée par le plus bel amour, résiste aux soudaines envies d'autonomie, demeure imperméable aux petites disputes, aux grosses scènes de ménage, aux soupçons, aux jalousies, aux perfidies, aux humeurs insupportables, aux messages indus sur le portables, aux désirs d'être seule(e), de partir seul(e), de dormir seul(e)? On ne sait pas. On ne sait pas si la «vie à deux» est le paradis de l'amour ou l'enfer de la liberté.
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