Je me suis souvent demandé pourquoi l'Europe était la seule région du monde à avoir développé la fabrication du fromage. En Chine ou en Asie du sud-est les vaches sont rares, mais même des peuples d'éleveurs comme les Mongoles ou les Peuls se contentaient – et se contentent toujours - de lait séché, au mieux caillé. Même le Moyen-Orient, où il a probablement été inventé, n'en fit qu'un usage assez modéré. Serait-ce là la vraie raison de la domination de l'Europe sur le reste du monde ?
La réponse à la première question (la seconde, je laisse le débat ouvert…) est peut-être dans ce livre ; car le lien entre, homme, animal et territoire qu'on y découvre est sans égal. Toutes ces races de vaches constituaient des adaptations très locales, des spécialisations particulières. Parfois pour un usage en particulier, telle la Villarde, originaire comme son nom l'indique de Villard-de-Lans, sélectionnée pour sa robustesse qui permettait de l'utiliser pour le débardage. En fait, la variété des races était incroyable. Chaque région avait la sienne, voir les siennes.
Ce catalogue des races disparues, ou pas loin de l'être, fait ressurgir du passé une longue file de silhouettes d'une incroyable variété de taille, de morphologie, de robe… Recensant une soixantaine de races, l'ouvrage s'appuie sur un riche fond documentaire, et un gigantesque travail d'enquête. Les plus fascinantes sont incontestablement les « sauvages » et les « archaïques » : les minuscules (1 mètre au garrot !) Corses, les Betizus des Basques vagabondant par les montagnes, les noires du Val d'Hérens… Cette dernière est la seule qu'il m'a été donné de connaître. Puissante, râblée, très mauvaise laitière mais parfaitement adaptée aux montagnes, et dégageant un impressionnant sentiment de force.
Aujourd'hui forcément la mondialisation est passée par là, et les
Holstein ont tout balayé. Mais ça et là, une poignée de passionnés s'attachent à tenter de faire survivre les anciennes races. Leur combat, qui rappelle celui des semences de céréales, n'a rien d'anodin : c'est la diversité génétique d'une espèce clé de notre agriculture qui est en jeu.
A l'époque, le respect pour son bétail était une chose véritable. Quand on était assez riche pour avoir deux ou trois vaches, elles faisaient littéralement partie de la famille ; dans certaines régions, elles étaient nourries à la main en hiver ; toute l'économie de la maisonnée reposait sur elles. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'un métier qui permet à peine de survivre…