Une histoire sportive de la guerre froide

Je me faisais une joie de recevoir grâce à Masse critique cet essai dont le titre jumelait histoire contemporaine et sport. Joie vite douchée…

Le premier abord de cette histoire sportive de la guerre froide n'est pas engageant avec des pages entières sans saut de ligne. Je déteste ce type de présentation. Les paragraphes sont là pour structurer la pensée, permettre au lecteur de passer d'un sujet à l'autre, ou d'un exemple à l'autre. Là, l'auteur, agrégé d'histoire, a fait le choix de mettre touche à touche pour chaque thématique sa vaste documentation en usant d'exemples mis bout à bout. le procédé est fatigant à la lecture et tient un peu de la liste de course : vous me mettrez 10 courgettes, deux salades et un kilo de tomates…

Ce phénomène est particulièrement pesant sur son premier chapitre portant sur l'après seconde guerre mondiale, avec les pays du nouveau bloc de l'Est, URSS en tête, qui se rendent compte qu'exister sur le plan sportif peut servir leur propagande. Ils adhèrent aux différentes fédérations sportives internationales, créent des Comités Olympique nationaux, entrent dans les instances dirigeantes de certains sports. Vous voulez des dates et des exemples précis, le nom des premiers champions soviétiques ? Vous les aurez… tous.

Le livre ne se contente pas de la seule guerre froide, au sens opposition entre blocs communiste et occidental, il traite de toute la période pendant laquelle elle a existé, en gros de l'après guerre au début des années 90. Une période où les instances sportives, à commencer par le CIO, étaient initialement dirigées par des membres des classes dirigeantes de l'Ouest, vantant un sport amateur et pratiquant l'entre soi. La décolonisation les a bousculé : les nouveaux pays ont demandé à avoir toute leur place, même si pendant longtemps, en fonction de leur orientation politique, leur sport de haut niveau a été développé par des intervenants et entraîneurs des ex-puissances coloniales ou du bloc de l'Est.

Autre sujet cristallisant les oppositions : la participation ou le boycott de l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Les membres du CIO se divisaient sur la question.
Les USA ont connu semblable discussion interne dans les années soixante sur le rôle politique du sport, vis à vis de la guerre du Viet-Nam ou la place donnée aux Afro-Américains. On se souvient ainsi des athlètes Tommie Smith et John Carlos levant leur poing ganté lors de la cérémonie de remise de médailles pour souligner la condition des noirs en Amérique.

Le livre fait apparaître à de nombreuses reprises l'ancien dirigeant américain du CIO Avery Brundage, pour qui la politique n'avait pas place aux JO, et qui en conséquence a suspendu ces deux athlètes, qui ont été bannis à vie.

L'argument était totalement spécieux : l'histoire du sport de cette deuxième moitié du vingtième siècle, c'est celle de la mise en avant de régimes politiques grâce au sport. C'est aussi la négation des droits de l'homme en Argentine pour la coupe du monde de football en 1976.

Les chapitres sur le basculement vers le professionnalisme des JO et sur la chute finale du bloc de l'Est, et ses répercutions pour les sportifs de ces pays, sont plus intéressants. Moins pesants.

Même si la quatrième de couverture met en avant des Emil Zátopek, des Bobby Fischer, ou des Nadia Comaneci, la réalité est que ces quelques exemples n'occupent au plus qu'une petite page chacun pour évoquer leur situation par rapport au régime de leur pays, ou leur rôle dans l'opposition Est-Ouest. Et c'est bien dommage. le sport est le ressort d'exploits humains, d'individus qui ont sacrifié leur jeunesse (Comaneci) ou leur santé (ceux qui se sont dopés), pour vivre leur amour du sport. Ces exemples auraient mérité un petit approfondissement.

Le tout est donc un essai universitaire, extrêmement documenté, dont on peine à percevoir le lectorat potentiel : journalistes sportifs ? Historiens du vingtième siècle ? le grand public, lui, préfère souvent juste se rappeler des champions, des moments de gloire ou de déception.

Maître de conférences à l'université De Nantes où il enseigne l'histoire du sport et des pratiques physiques, Sylvain Dufraisse tente d'écrire une Histoire sportive de la Guerre Froide, après avoir déjà publié Les héros du sport, une histoire des champions soviétiques (années 1930-années 1980), (Ceyzerieu, Champvallon, 2019).

Tout en prenant soin de préciser de manière claire et concise le contexte géopolitique tout au long du livre, il montre comment le sport devient peu à peu un enjeu majeur pour les puissances établies, ainsi que pour les autres pays, pour diffuser son modèle idéologique, ou s'affirmer sur la scène internationale.
Élément majeur du soft power, le sport devient une des facettes de l'opposition entre les deux blocs, mais permet aussi parfois de dépasser cette logique d'affrontement idéologique, en facilitant le franchissement des frontières séparant ces deux mondes.

L'approche est chronologique, suivant l'évolution des relations internationales durant la Guerre Froide. L'auteur évoque bien sûr les trajectoires de sportifs, mais ne se borne pas à dresser uniquement une galerie de personnages, les références bibliographiques permettant au lecteur d'approfondir par lui-même ces portraits. Histoire des différentes fédérations, évolution du mouvement olympique devant s'adapter à cette logique de blocs et à la décolonisation, grands événements sportifs, viennent jalonner ces décennies de relations internationales.

Ouvrage historique rigoureux, fluide, et passionnant pour tout amateur de sport et de géopolitique, Une histoire sportive de la Guerre Froide rend accessible à un large public les recherches de S. Dufraisse, dépassant les classiques références à Comaneci ou au "bain de sang" de Melbourne en 1956.

Cet essai est une véritable mine de renseignements pour toute personne qui, comme moi, est férue de sports, de géopolitique et d'histoire. le contenu du livre est dense et regorge de références et de notes de bas de page, preuve du sérieux de la démarche de l'auteur. Cela dit, la lecture est fort agréable et peut par contre rebuter la personne qui ne s'intéresse pas (ou peu) à la politique internationale.

Il ne s'agit pas d'un ramassis d'anecdotes croustillantes sur les frasques des athlètes lors de compétitions internationales, durant la période allant de la fin de la seconde guerre mondiale à la chute du bloc Soviétique (1991-1992). L'auteur nous dresse un excellent tableau du rôle joué par le sport dans les relations diplomatiques internationales; de la façon dont il a permis aux pays socialistes de mieux intégrer certaines instances internationales et de tisser des liens avec des pays émergents. Il examine aussi le rôle du sport à titre de vitrine pour mieux exposer ce qui se faisait de bien chez eux, durant la période en question.

Par l'apport des pays de l'Est, la science de l'activité physique a pu faire de grands progrès pour parvenir à une certaine uniformisation des méthodes d'entraînement et de préparation des athlètes d'élite. Sans oublier le soutien et la contribution active et positive des nombreux professionnels de domaines variés (psychologie sportive, nutrition, physiothérapie, biomécanique, etc.). L'auteur ne sous-estime pas, non-plus, le rôle accru pris par la marchandisation du sport spectacle et la place majeure occupée par les entreprises capitalistes avec le développement des marchés sportifs, et la recherche des commanditaires; phénomène qui a largement contribué à atténuer la prépondérance des pays socialistes dans le "merveilleux monde du sport". Derrière tout ça, nous retrouvons aussi de nombreuses organisations transnationales qui ont utilisé le sport et la guerre froide pour faire valoir leurs droits et intérêts. Bref, un univers fascinant fort bien analysé et décrit.

En refermant ce livre, on prend conscience qu'il est fort utopique de considérer le sport comme un monde apolitique, comme d'aucuns oseraient le prétendre, et comme nous l'a démontré, notamment, l'Allemagne nazie en 1936, donc bien avant la guerre froide. On découvre aussi que le monde sportif Allemand a très peu souffert de la fameuse dénazification des instances.

Voila un livre très sérieux voire parfois austère, qui n'est sans doute pas destiné à un grand public.
Mieux vaut être passionné de géopolitique ou de sport pour s'y intéresser.
Si c'est le cas la lecture s'avère instructive car le récit est clair ,précis et bien documenté.
J'ai particulièrement apprécié les chapitres consacrés aux années 80 avec les boycotts des Jeux Olympiques de Moscou et de Los Angeles qui sont parfaitement expliqués.

Contrairement à ce que la couverture pourrait faire penser, ce livre n'a absolument pas été conçu pour être attrayant/pédagogique sur la forme : pas de saut de ligne, pas de hiérarchisation de l'information, aucune illustration (mis à part quelques photographies au centre du livre)... C'est d'autant plus dommage que le sujet s'y prêtait bien !
L'impression à l'ouverture du livre s'est malheureusement confirmée à la lecture : à moins d'être passionné du sujet (et non uniquement intéressé comme je l'étais), la lecture s'avère monotone, du fait de la forme mais aussi du niveau de détail impressionnant.
C'est donc un essai documentaire très complet, qui m'a permis d'apprendre beaucoup de choses sur cette période, mais qui n'a pas été agréable à lire pour ma part.

(Livre lu dans le cadre d'une opération masse critique, merci à Babelio et aux éditions Nouveau Monde)