I – FIN D'UNE CONCEPTION TRADITIONNELLE DU DEVELOPPEMENT :
- La pensée de l'environnement ne se réduit pas à l'économie de l'environnement : la dimension éthique et politique ne peut être négligée.
- le mode de développement grâce à une énergie abondante et bon marché n'est plus possible,
- L'appel à la démocratie a trop servi d'alibi à l'absence de réflexion morale,
- La logique sacrificielle et le fondement mathématique ne sont pas des réponses,
- Les trop grands systèmes induisent contre productivité et perte de sens,
- le savoir prédictif remplace les effets inconnus des bonnes intentions,
- la responsabilité individuelle dans la globalisation se révèle insuffisante,
- La mystification ne peut plus faire passer pour naturel un mal politique.
II – CONSTATS PRELIMINAIRES A UN CATATROPHISME ECLAIRE :
- la sécurité est fille de la peur,
- la dissuasion est imparfaite et son auto réfutation échappe,
- le temps de l'histoire n'est plus le rétroviseur mais le futur qui guide,
- la précaution inutile : se confond avec la prévention d'un danger avéré,
- l'excès de notre puissance sur notre capacité à prévoir,
- l'obstacle n'est pas l'incertitude du pire mais le fait de ne pas y croire,
- le savoir ne fonde plus la crédibilité du danger,
- l'évolution créatrice se double d'une évolution destructrice,
- la finitude de notre nature au même plan que l'état des connaissances,
- l'effort scientifique seul ne saurait combler le fossé des apories,
- l'obligation de savoir se heurte à l'impossibilité de savoir,
- la gestion du risque revient à gérer ce que nous ne pouvons pas savoir,
- l'autonomie de la technique supplante la décision de l'homme,
- les dynamiques des systèmes s'auto renforcent dans leur direction,
- Les frontières des intelligences artificielles et humaines se brouillent,
- La mystification fait passer un mal naturel pour une aliénation.
III - ARGUMENTS POUR EN FINIR AVEC LES VRAIES-FAUSSES MESURES DU RISQUE:
1- La complexité des écosystèmes rend dérisoire le calcul « coûts -avantages » des experts techniques parce que loin des seuils de risques. La sérénité comptable et raisonnable des gestionnaires de l'équation du MINIMAX (minimum du risque maximal) participe à la résignation à l'intolérable. La rationalité procédurale n'est pas séparable de la rationalité substantielle.
2- Les systèmes techniques créés pas l'homme substituent à l'infini le naturel par l'artificiel et la production autonome et libre par la production monopolistique et instrumentale, d'où le principe structurel d'écarts et de fluctuations non prévisibles par les théoriciens économistes et assureurs des hasards solvables.
3- Un état de chose dépendant d'un savoir futur revêt un caractère définitivement imprédictible et le savoir prévisionnel restant en deçà du savoir technique, se pose le problème éthique de la maîtrise de soi face :
a. au pouvoir excessif des sciences et techniques
b. et au mythe empoisonné du partage équitable d'une volonté de puissance grisante mais illusoire.
4- Cependant la probabilité en matière de catastrophe ne saurait être une « survenance » irrationnelle, subjective ou psychologique telle que le pari, la bonne fortune ou la question de chance, et donc une justification rétrospective. le jugement probabiliste doit se fonder en amont sur le terrain de l'objectivité sociale et politique, combinant analyse du voile de l'ignorance et fortune morale.
IV- PROPOSITION D'UN CATASTROPHISME ECLAIRE
Au vu de la puissance technologique et scientifique déjà en place, le destin contemporain a le statut d'une erreur, d'un accident qu'il nous est loisible de ne pas commettre. Nous sommes en effet embarqués dans une bombe à retardement et il ne tient qu'à nous que son explosion inscrite comme une fatalité peu probable, ne se produise pas.
Pour éviter ce suicide autoprogrammé de l'homme par l'homme, la futurologie scientifique et la méditation sur les fins de notre civilisation permettraient d'obtenir une image de l'avenir suffisamment repoussante et suffisamment crédible pour déclencher les actions qui empêcheraient sa réalisation, à un accident près.
A défaut de disposer d'observateur divin ou de calculateur infini, cet aléa est hors de portée de notre esprit. Paradoxalement, ce « raté » inconnaissable, non quantifiable, rarissime et futur, offre une marge de manoeuvre, celle de la vigilance permanente.
Dans la situation de destruction mutuelle assurée, faire comme si nous étions la victime tout en gardant à l'esprit que nous sommes la cause unique de ce qui nous arrive est la condition nécessaire de notre salut. Faire « comme si » la cause du mal était exogène pour s'éloigner de nos choix endogènes de développement.
La catastrophe devient alors un projet volontaire, celui d'un avenir tenu pour fixe mais dont on ne veut pas, et contre lequel l'anticipation, l'actualisation, la coordination sont des composantes fondamentales et des conventions qui engagent notre destinée.
La fonction performative de l'énonciation contemporaine d'une catastrophe inéluctable diffère de la prophétie antique comme accomplissement eschatologique : on projette une catastrophe pour que, par notre action rétroactive, elle ne s'accomplisse pas. La posture catastrophiste prévoit réellement l'avenir dans le seul but de le changer.
⇒ Résultats d'activités de prédiction et de simulation comme des signaux avant-coureurs à partir desquels trouver des solutions et des issues.
De ce stratagème de négation de cet évènement négatif, l'autodestruction, résulte l'évènement positif – la vie- .
Patricia JARNIER
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Je ne pense pas avoir tout compris, même en relisant plusieurs fois certains passages. C'est un livre qui se diffuse. Il faut y revenir pour bien en absorber tous les savoirs.
Au fur et à mesure des chapitres, on y découvre les angles morts de la pensée humaine, on appréhende les outils qui nous permettent de les dépasser. Tout cela au service d'une cause, comment agir face à la catastrophe qui s'annonce. Une question dont l'importance se fait chaque jour plus prégnante.
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Résultat paradoxal : passés les seuils critiques, plus la production hétéronome croît, plus elle devient un obstacle à la réalisation des objectifs mêmes qu’elles est censée servir : la médecine corrompt la santé, l’école bêtifie, le transport immobilise, les communications rendent sourd et muet, les flux d’information détruisent le sens, le recours à l’énergie fossile, qui réactualise le dynamisme de la vie passée, menace de détruire toute vie future et, last but not least, l’alimentation industrielle se transforme en poison.
(page 26)
L’autoroute, le rein artificiel et l’Internet ne sont pas seulement des objets ou des systèmes techniques ; ils trahissent un certain type de rapport instrumental à l’espace, à la mort et au sens.
C’est ce rapport instrumental, le rêve de maîtrise qu’il recouvre que la critique se doit d’analyser pour en mesurer les effets délétères.
Car il ne faudrait pas qu’en voulant dominer la nature et l’histoire par leurs outils, les hommes ne réussissent qu’à se faire les esclaves de leurs outils.
(page 28)
Non, ce qui est ici en question est la critique du projet technicien qui caractérise la société industrielle.
J’entends par là la volonté de remplacer le tissu social, les liens de solidarité qui constituent la trame d’une société, par une fabrication ; le projet inédit de produire les relations des hommes à leurs voisins et à leur monde comme on produit des automobiles ou des fibres de verre.
(page 27)
Simplement, l'hétéronomie n’est ici qu’un détour de production au service d'une fin qu'il ne faut pas perdre de vue:l'autonomie. Or l’hypothèse d’Illich est que la “synergie positive” entre les deux modes n'est possible que dans certaines conditions très précises. Passés certains seuils critiques de développement, la production hétéronome engendre une complète réorganisation du milieu physique, institutionnel et symbolique, telle que les capacités autonomes sont paralysées. Se met alors en place ce cercle vicieux divergent qu’Illich a nommé contreproductivité. L’appauvrissement des liens qui unissent l'homme à lui-même, aux autres et au monde devient un puissant générateur de demande de substituts hétéronomes, qui permettent de survivre dans un monde de plus en plus aliénant, tout en renforçant les conditions qui les rendent nécessaires. Résultat paradoxal : passés les seuils critiques, plus la production hétéronome croît, plus elle devient un obstacle à la réalisation des objectifs mêmes qu'elle est censée servir : la médecine corrompt la santé, l'école bêtifie, le transport immobilise, les communications rendent sourd et muet, les flux d'information détruisent le sens, le recours à l'énergie fossile, qui réactualise le dynamisme de la vie passée, menace de détruire toute vie future et, last but not least, l'alimentation industrielle se transforme en poison.
L'inflation médicale a donc un effet, sinon une fonction : de plus en plus de gens sont convaincus que, s'ils vont mal, c'est qu'ils ont en eux quelque chose de déréglé, et non qu'ils réagissent sainement par un refus d'adaptation à un environnement ou des conditions de vie difficiles, et même parfois inadmissibles. Des médecins prescrivent, ou ont prescrit, des médicaments prétendument capables de traiter le “mal des grands ensembles” ou l' “angoisse née des conditions de travail”. Cette médicalisation du mal-être et tout à la fois la manifestation et la cause d'une perte d'autonomie : les gens n'ont plus besoin ni envie de régler leurs problèmes dans le réseau de leurs relations. Leur capacité de refus s'en trouve étiolée, leur démission de la lutte sociale facilitée. La médecine devient l'alibi d'une société pathogène.
Colloque de rentrée 2013 : Science et démocratie
Conférence du jeudi 17 octobre 2013 : Science et démocratie : discussion
Intervenant(s) : Jean-Pierre Dupuy, Philosophe, Professeur à l'Université de Stanford
Retrouvez la présentation et les vidéos du colloque :
https://www.college-de-france.fr/site/colloque-2013
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