Il existe des livres plus ou moins difficiles d'accès.
Des livres difficiles à écrire, des livres difficiles à lire. Ce ne sont pas forcément les mêmes.
En principe, comme toute oeuvre d'art, plus le roman est complexe, plus il demande d'efforts, plus le plaisir sera grand, car on y trouvera toujours quelque chose de nouveau, qui ne nous était pas apparu à la première lecture.
C'est précisément le cas du Nom de la Rose. Et
Umberto Eco s'en explique dans l'apostille, une véritable leçon d'écriture. Il revendique cet élitisme que l'on aime tant à rejeter depuis quelques années.
Or l'élitisme n'est pas condamnable en soi, c'est cette suffisance, cette pédanterie qui en découle qu'il faut combattre. Amener un lecteur, et plus généralement toute personne, à se dépasser est un joli challenge. Eco souligne qu'il faut « révéler le lecteur à lui-même » et non lui donner forcément ce qu'il demande. C'est justement ce que je soutiens mordicus et qui fait la différence entre l'art et le commerce.
Si l'écrivain effectue son travail ; le lecteur doit fournir sa part. Amener le lecteur au livre et non l'inverse. Quelle réjouissance d'avoir ingéré ce qu'on pensait hors de portée, quelle fierté de partager cette impression d'avoir accès à un niveau supérieur, quel bien-être de se sentir porté, élevé. Randonner en montagne n'est pas autre chose.
Eco révèle que son titre de travail était « l'abbaye du crime », plutôt réducteur au vu du foisonnement final. Cette abbaye du crime, c'est j.j. Annaud qui le tourne, dans son adaptation « grand public ».
Le roman est d'une toute autre facture et ces crimes ne sont qu'un vague prétexte à une histoire de la religion, un traité philosophique et quelques questionnements d'ordre politique. du reste, c'est un formidable témoignage de cette époque médiévale où l'inquisition règne en maîtresse, en ogresse.
Le dosage est parfait : on apprend tout en se divertissant (ici, le rôle de l'enquête menée par un franciscain anglais qui ressemble davantage à
Alec Guiness qu'à Sean Connery). Cependant, il vous faudra faire un effort, à commencer par tous ces passages en latin, non traduits (et en cela, c'est une erreur, l'élitisme ici se change en une détestable volonté d'exclusion – une note de bas de page n'aurait pas été du luxe).
Eco reconnaît que les cent premières pages sont, en quelque sorte, un examen de passage, une pénitence (ce sont ses propres mots!) afin d'avoir accès au reste du roman. Il l'a voulu, comme une sorte de clé. Personnellement, je n'ai pas vu ces fameuses cent premières pages. Pour moi, hormis les chapitres de pure enquête et déduction (le premier, donc) ainsi que l'incendie générale, le roman en son entier est obscur et demande une grande attention (en principe, comptez une vitesse de lecture deux fois moindre que pour une banale comédie romantique).
Débat sur la pauvreté du Christ, quête absolue du savoir (et en écho, quête de l'Amour), place de l'église. Mais le personnage central du roman n'est ni Guillaume de Baskerville, le futé enquêteur aux raisonnements dignes d'un Holmes, ni le moinillon novice qui relate les faits mais bien la bibliothèque de l'abbaye, organisée en véritable labyrinthe. Tout est mis en oeuvre pour y interdire l'accès. Ce paradoxe m'a toujours heurté : c'est dans les bibliothèques de l'Eglise qu'on trouve le plus d'
oeuvres interdites, que l'Eglise condamne, hérétiques en somme. Un qualificatif qui revient quasiment à chaque page de cette période inquisitoriale.
Comme si l'Eglise nous affirmait : voici les livres dont vous n'avez pas accès... mais que nous sommes seuls à pouvoir les consulter. L'élitisme dans toutes ses dérives, justement.
Et parmi les livres interdits, le seul, l'unique, le plus recherché. Un écrit d'
Aristote... Mais, chut ! Je n'en dis pas plus.
Du reste, le titre était une évidence : le labyrinthe.
Eco parle en effet du titre, sous-entendant qu'il doit en dire suffisamment tout en en révélant le moins possible. Ce labyrinthe, il est là, entre vos mains. A vous d'essayer d'en sortir.