Un discours ? Quel discours ?
Ami lecteur méfie toi : il y a tromperie sur la marchandise !
Fabrice Caro n'est pas
René Descartes, son narrateur Adrien n'est pas Étienne de la Boétie (ben non puisque c'est Adrien, faut suivre un peu !), alors ne cherche pas ici un second
Discours de la méthode, encore moins un nouveau Discours de la servitude volontaire !
Point de véritab
le discours dans ce petit bouquin, tu l'auras compris, nulle allocution soigneusement argumentée, nulle prise de
parole savamment construite.
Attends toi plutôt à des bafouilles humoristiques, à des ébauches de déclarations brouillonnes et avortées, en bref aux élucubrations du susmentionné Adrien, parfait dans le rôle du témoin de mariage paniqué et dépité de n'avoir pas su dire non quand son futur beau-frère l'a sommé de préparer le traditionnel laïus en vue des noces prochaines.
Pour notre pauvre quarantenaire écrasé par l'ampleur de la tâche, la mission s'annonce d'autant plus ardue qu'il patauge justement dans les affres d'une probable rupture amoureuse (bien sûr Sonia parle d'une simple "
pause", mais toi et moi savons ce qu'il en est...) et que ses déboires sentimentaux, conjugués aux mille contrariétés du repas familial auquel il assiste contre son gré, parasitent nécessairement son travail de création.
Ressortent alors pêle-mêle des bribes de souvenirs, des réflexions plus ou moins absurdes (mais qui bien souvent prêtent à rire !), des digressions à n'en plus finir autour de la famille, des griefs jamais formulés, des premières amours et du temps qui passe sur tout ça, diluant espoirs et regrets.
Je pourrais piocher dans ce
fatras et te parler en vrac du radeau de la méduse, d'une collecte de stylos pour le Bénin, de Claude Barzotti, d'un porte-serviette artisanal, des dernières minute de Laïka dans l'espace, de chauffage au sol ou de gratin dauphinois, d'une collection d'encyclopédies ou encore d'un Romain à la douleur ancienne, mais je doute qu'une telle liste à la
Prévert t'éclaire beaucoup sur le contenu du bouquin...
Je me contenterai donc de te dire que Fabcaro est un décidément un joyeux luron et que son personnage d'Adrien - complètement dépassé par les évènements, paralysé par l'indécision et la passivité, soumis à une pression familiale qu'il monte tout seul en épingle, et "fatigué de subir, fatigué de cette impression de rien décider de [sa] vie" - m'a tout de suite été très sympathique !
Comment ne pas s'attacher à ce gentil looser, lui qui vient toujours seul aux repas de famille ("par ma faute, nous avons toujours été un nombre impair à table, je suis celui qui ne vient pas par deux, je ne suis qu'une moitié d'entité"), lui dont la fonction au cours de ces fameux repas "n'a jamais été de lancer une discussion mais de prolonger les préexistantes, de poser des questions, de [s]'étonner, [s]'extasier, hocher la tête d'un air concerné, prendre [son] menton entre [son] pouce et [son] index pour signifier que tout ça est quand même assez fascinant, quand on y pense", lui qu'on réduit habituellement au rôle de figurant mais que l'auteur taquin pousse ici sur le devant de la scène (ce dont l'intéressé ce serait bien passé !) ?
En conclusion, même s'il n'a pas fait l'unanimité et que certains lecteurs l'ont jugé "facile" et sans consistance,
le Discours reste pour moi un roman réussi, moderne et décalé, qui m'a plutôt fait l'effet d'un alliage assez maîtrisé de légèreté et de mélancolie, avec lequel j'ai passé un très bon moment.
C'est déjà pas mal, hein ?