Le Caporal Klein est une fine gâchette et un homme pleins de réflexes et de ressources ; heureusement pour lui car il se fait canarder de tous bords, de la première à la dernière page de ce récit, sans qu'il ne sache initialement précisément pourquoi, mais suite à l'assassinat de son frère Paul, l'aîné qui l'a élevé et qu'il ne veut que venger, oeil pour oeil, tête pour tête.
"Je restai des heures dans le couloir, les yeux vides, songeant à de petits riens, à Paul évidant une citrouille pour en faire une lanterne, à Paul m'emmenant aux douches municipales, à la foire du Trône, au cinéma.
De toutes petites choses. »
En plus du style inimitable de Fajardie et de l'exaltation ce récit en forme de course poursuite, il y a en prime pour moi ma Normandie natale, ses chevaux et son café-calva.
« Dans la banlieue est, quartiers déshérités glissant vers l'abîme, la délinquance et la misère relevaient du quotidien et toute sollicitude vous aurait fait passer pour un gonze aux moeurs spéciales. Ici Los Olvidados eux-mêmes auraient fait figure de minets poseurs et bavards. »
Un plaisir bref et intense.
Commenter  J’apprécie         40
C’était un petit trocson minable, exactement ce qu’il me fallait. Je m’assis près d’une fenêtre et commandai un café-calva.
Le café-calva, ça m’était venu presque involontairement. Peut-être parce que, depuis la mort du frangin, l’oncle de Normandie était ma seule famille.
La patronne, une grosse rougeaude, avança péniblement, coulissant sur un jeu compliqué de varices. Elle soufflait comme un phoque et, moustache comprise, elle y ressemblait singulièrement, les varices mises à part. Sûr que la pauvre bonne femme attendait avec l’énergie du désespoir le promoteur qui construirait un parking ou un supermarché à la place de son cloaque.
Dans la banlieue est, quartiers déshérités glissant vers l’abîme, la délinquance et la misère relevaient du quotidien et toute sollicitude vous aurait fait passer pour un gonze aux moeurs spéciales. Ici Los Olvidados eux-mêmes auraient fait figure de minets poseurs et bavards.
Les pieds dépassaient, étrangement incongrus, conférant à la scène un côté ludique et, un instant, je me pris à imaginer la fille, rejetant la couverture, allait se lever. Elle marchait vers moi avec son ventre ouvert et me tendait une bobine de fil noir et une longue aiguille : "Dépêchez-vous, Klein. Il faut me recoudre. Ce n'est pas convenable un ventre ouvert. On pourrait me voir au portillon".
Le vieux salaud l'écartait d'une chiquenaude et, m'appuyant son calibre sur l'œil, enchaînant d'une voix trainante, bercée de son accent chantant :
- Hé ! griveton, tu ne vas prendre du fil noir ! Ca va se voir, petit.
J’avais derrière moi onze mois de vie militaire dont deux, assez pénibles, en stage dans les chasseurs de chars. C’est sans doute cette technique, alliée à un fort instinct de conservation, qui fut à l’origine de ma course dingue.
Zigzag, debout-couché, brusques changements de direction, roulés-boulés : toute la gamme déprimante y passa.
Par deux fois, le tireur rata complètement sa cible. Une première fois à l’occasion d’un brutal écart et la seconde lors d’un plongeon.
C’était sans doute un excellent tireur, calme, froid et méthodique, mais il avait les défauts de ses qualités et, dès la troisième balle, une part de mon cerveau avait enregistré son unique erreur : les tirs se succédaient avec la régularité d’un métronome et l’écart de temps entre chacun d’eux était exactement le même.
Chaque homme, quelque part au fond de lui-même, dispose sans doute d’une toquante discrète, invisible et qui ne doit pas comporter plus de trente secondes dans une vie.
Sauf que, dans ma situation, c'était pas un cadeau à lui faire au tonton vu que tous ceux qui m'approchaient cannaient de mort violente. Au moyen-âge, les mecs de mon genre on leur filait une robe de bure à capuchon, une crécelle et vogue le bubon.
– Il faut être courageux, mon garçon ! dit-il d’un air contrit.
Ce type-là n »était pas sincère. Peut-être bien curieux, parce que ce qu’il allait me dire n’était pas banal, mais sincère, sûrement pas.
Reconnaître un frimeur, ça me venait du frangin. Comme tout le reste. Comme les études, l’université, la vieille Simca, la façon d’aborder les filles, l’air à la fois paumé et candide.
Les psychiatres diraient qu’il m’a fait de l’ombre en me protégeant. Moi, je dirais plutôt que le frangin a sacrément déblayé le terrain devant mes pas.
Chronique consacrée aux grands noms de la littérature policière, et animée, depuis octobre 2018, par Patrick Vast, dans le cadre de l'émission La Vie des Livres (Radio Plus - Douvrin).
Pour la 34ème chronique, le 08 janvier 2020, Patrick présente l'auteur français Frédéric H. Fajardie.
Patrick Vast est aussi auteur, notamment de polars. N'hésitez pas à vous rendre sur son site : http://patricksvast.hautetfort.com
Il a également une activité d'éditeur. À voir ici : https://lechatmoireeditions.wordpress.com
La page Facebook de la Vie des Livres : https://www.facebook.com/laviedeslivres62